S’il
y a un discours essentiel et décisif, c’est bien le discours politique. Or dans
tout discours, il y a des signifiants et des signifiés, et les relations entre
les deux sont déterminantes. Si le discours politique n’est pas exact ou
complet dans le choix de ces relations entre les mots et les concepts qu’ils
véhiculent, il y a alors un risque pour la société, celui de lui cacher la
vérité et de l’induire en erreur. Le discours politique d’aujourd’hui utilise
de nombreux termes qui pourtant ne sont pas ou plus judicieusement connotés.
Certains mots ne sont même plus perçus que péjorativement. Leur signifié
initial et légitime se trouve biaisé, presque ostracisé. Les linguistes parlent
dans ces cas-là de glissements sémantiques et de connotations.
Plusieurs
termes actuels se retrouvent au centre du débat, et charrient des thèmes qui
sont devenus de véritables boules puantes. Il est donc bénéfique de rappeler
l’origine de ces termes, leur champ sémantique originel. Car les décalages dont
souffrent ces termes ne sont jamais neutres. Ils font partie du discours
politique dominant. Ils en trahissent les velléités. Les révéler permet d’en
savoir un peu plus sur les valeurs de notre société. Tel est l’objectif de
cette courte analyse.
Conservateur versus progressiste
Ce
mot de conservateur n’a pratiquement plus, chez nous en France, la moindre
connotation positive. Un conservateur, c’est quelqu’un qui est contre le
progrès. C’est un notable la plupart du temps de droite qui ne veut rien
changer et qui s’oppose aux réformes dont il a finalement tout à perdre. Le
contraire de conservateur est progressiste. Pour prendre une comparaison dans
l’univers de la religion catholique, et en simplifiant bien sûr, on pourrait
avancer que les progressistes sont favorables à ce que les femmes puissent dire
la messe. Tandis que les conservateurs ne le sont pas.
Il
est évident que cette répartition manichéenne entre conservateur et
progressiste atteint vite ses limites : les sociétés n’ont pas toujours
évolué dans la bonne direction. Lorsque des évolutions proposées par les
progressistes sont dangereuses, c’est le terme de conservateur qui devrait être
positivement connoté. Imaginons que notre pays fasse actuellement fausse route
sur bien des sujets de société. Combien d’années faudra-t-il au mot
conservateur pour qu’il retrouve de son éclat ? Ce sera probablement trop tard…
En
fait, la supériorité apparente du terme progressiste trahit un parti pris
solidement ancré dans notre société, et qui sera difficile à changer. Ce parti
pris se résume en cette très simple équation :
- Ne pas changer est dangereux,
- C’était toujours moins bien avant,
- Il suffit de changer pour que ce soit mieux.
Tout
compte fait, le statut sémantique des mots progressiste et conservateur ne
prouverait-il pas un certain angélisme de notre société ?
Libéral versus socialiste
Cette
opposition libéral/socialiste est certainement la plus grosse imposture
sémantique actuelle. Sans détour, on peut dire que chez la plupart des
Français, libéral signifie sans pitié, prêt à paupériser les faibles et les
fragiles, prêt à s’enrichir sur leur dos. Tandis que socialiste, bénéficiant de
surcroît de la racine social, signifie à peu près l’inverse : solidarité,
entraide, oblativité…
Au-delà
du fait que cette antinomie semble inoxydable, puisqu’elle s’est créée à l’abri
de l’épreuve des faits (il est en effet difficile de trouver des justifications
historiques à cette préférence pour le socialisme tel qu’il est connoté en
France aujourd’hui), il est amusant de se rappeler l’origine sociale (pour ne
pas dire socialiste) du libéralisme. Ce courant a suffisamment été porté par
certains de nos plus grands auteurs (Sand : Le
compagnon du tour de France, Stendhal : Le
rouge et le noir, etc.) pour que l’on puisse affirmer qu’il partait du
souhait de rétablir l’égalité entre les dominants et les dominés, entre la
noblesse et le peuple, entre les riches et les pauvres. Inversement,
rétrospectivement, le socialisme se trouve associé à des événements de
l’histoire qui ne sont pas particulièrement reluisants (la lecture de La route de la servitude de Hayek est édifiante à
ce sujet) mais son contenu sémantique ne semble toujours pas en souffrir.
Cette
méprise, que l’on pourrait qualifier de diachronique, est double : toujours
valoriser le courant socialiste, quel que soit le contexte du moment, est une
erreur grave. Ainsi, dans un pays asphyxié par l’omniprésence et l’obésité de
son État, militer pour accroitre le socialisme est aussi stupide que de militer
pour accroître le libéralisme dans un pays qui n’a pas assez d’État. Tout est
une question de réglage, et d’opportunité. Le contexte évolue. La pertinence de
telle ou telle politique n’est jamais figée dans le temps…
Alors,
pourquoi le mot libéral est-il si mal connoté en dépit de son origine
historique et d’un contexte français actuel qui devrait au contraire le rendre
attirant ? Un tel dérapage sémantique ne démontrerait-il pas un certain
aveuglement idéologique ?
Politique de relance
En
France, par expérience, que ce soit chez nos hommes politiques ou chez la
grande majorité des journalistes, le syntagme (figé) politique de relance est
systématiquement associé aux mesures d’État, c’est-à-dire aux mesures prises en
accompagnement de l’économie réelle afin de pousser la demande en biens et en
services. Cette politique d’accroissement de la demande est soit basée sur
l’aide directe aux ménages (baisses d’impôts, primes, baisses de charges, aides
à l’achat), soit sur l’aide aux entreprises pour qu’elles recrutent (baisses
des charges, incitations, emplois « aidés », postes dans la fonction publique).
Cela
fait d’ailleurs depuis plus de 30 ans que nos gouvernements successifs
déclinent jusqu’à plus soif l’acception du terme de relance de la demande, avec
les résultats que l’on sait : lorsque l’aide s’interrompt, le soufflé retombe
exactement comme avant. Ce n’est que du court terme. Pire, ce n’est que de la
cosmétique puisque cela ne masque les symptômes que le temps de la cure…
Malgré
le peu d’efficacité de ces mesures, pourquoi donc politique de relance ne
signifie jamais relance de l’offre ? D’où peut provenir un tel parti pris
sémantique ? Sans prendre trop de risques, il est possible d’avancer une
explication toute simple : relancer la demande est facile, c’est une mesure
conservatrice qui ne touche à rien dans l’économie d’un pays, il ne s’agit que
de redistribuer (keynésianisme) de l’argent, par des saupoudrages plus ou moins
ciblés avec bonheur. Tandis qu’une politique de l’offre implique une remise en
question des blocages et des limites de l’économie du pays, elle impose des
réformes douloureuses, elle nécessite à la fois du courage chez les politiciens
et de l’abnégation du côté des agents économiques. Car ses résultats
n’apparaissent qu’au bout d’un certain nombre d’efforts, et c’est certainement
là le nœud du problème…
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