Vague populiste : un signal d’alarme
Les citoyens européens sont en colère contre les
mutations économiques et sociales qui traversent le continent. Mais c’est aux
partis traditionnels de répondre à leurs préoccupations, et non aux populistes.
Partout en
Europe, des gens voient leur vie affectée par des changements qu’ils n’ont pas
souhaités, pour lesquels ils n’ont pas voté et dont ils ne veulent pas. Dans
leurs villes les plus prospères, la ligne d’horizon est modifiée par des tours
métalliques qui surgissent à la place d’anciens jardins ou pubs, et dans leurs
villes les plus pauvres des détritus jonchent des rues aux magasins fermés.
Les
campagnes sont rongées par l’expansion des banlieues ou divisées entre zones
d’agriculture industrielle et concentrations de riches propriétés. Des éléments
de notre environnement qui semblaient éternels ne sont soudain plus là. De
grandes entreprises dont nos pays s’enorgueillissaient à juste titre
disparaissent ou sont rachetées par des groupes étrangers. Des établissements
anciennement réputés sont privatisés, rebaptisés, et perdent de leur prestige.
De
nouveaux venus s’installent sans y avoir été invités, parlant des langues
différentes et pratiquant des religions différentes. Eux aussi sont mécontents
de voir les usines et les bureaux fermer, et leurs enfants incapables de
trouver un emploi ou un logement. Les Etats eux-mêmes sont touchés, menaçant
d’imploser ou de se morceler. Rien d’étonnant donc si des citoyens, pour peu
que ce mot signifie encore quelque chose, lèvent les bras au ciel en disant : “Qui a voulu tout ça ?” Voilà l’image qu’offre
notre continent aujourd’hui, mais à quelques détails près il offrait la même
hier, voire avant-hier. Quand l’Europe n’est pas ravagée par une guerre, elle
est en proie au mécontentement, minée par la colère, assaillie de récriminations,
et elle constitue un terrain propice aux partis populistes de droite comme de
gauche.
Dans un
passé pas si lointain, il n’existait pas de structure transnationale à part
entière comme l’Union européenne pour attirer la colère populiste. Mais la
situation actuelle, où les partis rebelles de beaucoup de pays vont
probablement envoyer un gros contingent d’élus antieuropéens à Bruxelles, n’est
pas fondamentalement nouvelle. Les “nouveaux” partis ne sont pas nouveaux en
Europe. Il suffit de se remémorer ceux d’Oswald Mosley [homme politique
britannique, fondateur de l’Union britannique fasciste en 1932], Pierre Poujade
et Jörg Haider pour voir que le populisme d’aujourd’hui est moins pernicieux
que celui d’hier.
D’abord,
ces partis sont tellement différents les uns des autres qu’on peut douter de
leur capacité à travailler ensemble. Certains d’entre eux sont résolument
opposés à l’UE, d’autres préfèrent la réformer plutôt que l’abolir ou la
quitter. Un ou deux sont franchement néofascistes, d’autres ont renié, et ce
avec plus ou moins de conviction, leurs origines d’extrême droite, et d’autres
encore viennent de la gauche de l’éventail politique.
- Une déliquescence du débat
Les
politiciens des partis traditionnels se plaisent à souligner que, pendant
qu’ils ont la lourde charge d’appliquer de nécessaires mais douloureuses
mesures d’austérité, de coopérer avec le grand capital et de veiller au bon
fonctionnement de l’UE, les partis populistes raflent les suffrages. La réalité
est plus complexe.
Les gens
ne voient pas d’un bon œil ce qui est en train de se produire dans leur pays et
sur leur continent. Plutôt que de répondre clairement à leurs inquiétudes, les
politiciens traditionnels tendent à les esquiver. Les partis marginaux jouent
un autre jeu, proposant des politiques simples, voire simplistes, comme celle
visant à mettre un terme à l’immigration ou à déclarer une guerre ouverte aux
entreprises. Des sornettes d’un côté, de l’indignation de l’autre.
Il ne peut
que s’ensuivre une déliquescence du débat politique, une perte de nuances et
d’intelligence. Pourtant, on peut considérer avec optimisme l’actuelle vague
populiste. C’est à la fois une incitation à corriger le tir et un signal
d’alarme. L’influence, au sein des institutions européennes et nationales, de
dirigeants d’entreprise qui se rémunèrent trop, qui se désintéressent du coût
social de leurs initiatives et qui amplifient les inégalités a pris trop
d’importance. Le processus de démantèlement de l’Etat providence doit être
inversé.
Il faut
mettre un terme au saccage de nos villes et de nos campagnes. L’accroissement
de la précarité est un scandale. Et l’homogénéisation de la culture, du mode
d’alimentation, des campagnes, des villes et des rues commerçantes de l’Europe,
un véritable cauchemar. Ça ne devrait pas être au Front national français de
signaler tous ces problèmes. La tâche incombe au centre de l’éventail
politique, et non à ses extrémités.
Dessin de Horsch, Allemagne.
Source Courrier International
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