lundi 22 juillet 2019

Billets-Et si on supprimait la fonction de Premier ministre ?


Et si on supprimait la fonction de Premier ministre ?

On le sait, les Français sont attachés à la fonction présidentielle. Mieux vaudrait supprimer le poste de Premier ministre, se débarrasser de cette « fiction » et donner de vrais pouvoirs au Parlement et à la société civile.

Le double exécutif et l’impuissance du Parlement sont des handicaps pour la France. Nous sommes le seul pays riche et démocratique avec ce genre d’organisation institutionnelle. Mieux vaudrait supprimer le poste de Premier ministre, se débarrasser de cette « fiction » et donner de vrais pouvoirs au Parlement et à la société civile.

En 1992 paraissait aux Éditions Plon le livre de Jean-François Revel intitulé L’absolutisme inefficace ou contre le présidentialisme à la française. Réquisitoire implacable contre le système politique de la Vème République, ce petit ouvrage (moins de 200 pages) mais, ô combien, concis, riche et complet, dénonçait le paradoxe de l’omnipotence du pouvoir exécutif français devenu avec le temps d’une saisissante inefficacité.

Nous vivons dans une « démocrature », tenait à préciser Revel. Il s’agit d’un régime autoritaire dans lequel l’Élysée décide à la place de tout le monde et dans tous les domaines, sans consulter personne (surtout pas l’Assemblée) et qui ne peut déboucher que sur des décisions arbitraires.
La fiction du premier ministre
Toutes les tares de notre régime présidentiel sont analysées par Revel : la « fiction » du Premier ministre se trouvant à la merci de l’Élysée et lui servant de fusible en cas de retournement de conjoncture, une Assemblée inexistante et incapable de s’opposer à l’exécutif, une présidence paradoxale car omnipotente et incapacitante à la fois, et enfin, un absolutisme présidentiel se situant au-dessus des lois et s’appuyant sur l’illusion de la communication et les excès de la dépense publique.

De plus, le président peut très bien dissoudre un Parlement qui ne serait pas à ses ordres. Quelque chose a changé aujourd’hui ? Sous François Hollande, on en a vu un – Jean-Marc Ayrault – au début de la présidence obligé de démissionner (le fameux « fusible » ) vu la situation économique du pays et le gouffre de l’impopularité du… Président. Ce dernier est toujours considéré comme « le dernier recours », la « haute autorité » dont « le dernier mot pèse dans la balance ».
Une tradition monarchique
Comme les monarques sous l’Ancien Régime. Sauf que les grèves organisées par les syndicats ont remplacé les jacqueries, le président prenant position en fonction des intérêts immédiats (en cédant et en limogeant son Premier ministre), tandis qu’en politique étrangère, le président a accaparé un domaine qu’il considère comme réservé alors que, la Constitution ne le dit nullement. En se débarrassant du Premier ministre et/ou des ministres encombrants, l’Élysée ne fait que perpétuer cette situation de crise de l’Ancien régime lorsque le roi faisait le ménage parmi les membres de son conseil.

Cette fameuse « raison d’État » a toujours été la règle sous la Vème République, surtout lorsque le chef du gouvernement n’était plus en odeur de sainteté à l’Élysée ou bien lorsqu’il fallait augmenter les impôts (comme par hasard, les historiens ont remarqué que les monarchies limitées comme celle de l’Angleterre taxaient moins que la monarchie absolue française).

Le système de nomination de la présidence de la République n’est pas tellement différent de celui de la monarchie absolue. Le Président s’entoure de ses fidèles qu’il nomme à des postes de conseillers. Le gouvernement, qui n’est nullement le reflet de la volonté de l’Assemblée, est aussi constitué d’amis, de fidèles du Président, alors qu’il devrait être l’émanation de l’Assemblée.
Le double exécutif
Le secrétaire général de l’Élysée ayant plus d’importance que le Premier ministre, il est beaucoup moins exposé aux risques de la mise à l’écart comme l’est le chef du gouvernement. Un exemple éloquent a été la nomination d’un technocrate non élu, Dominique de Villepin, en tant que Premier ministre face à un Parlement élu mais obligé de subir les décisions de l’Élysée.

On le sait, la France est connue pour ses exceptions. Celle-ci pèse sur notre vie démocratique comme une chape, mais c’est aussi celle dont on parle le moins. Il s’agit donc de ce « privilège » d’avoir un double exécutif. D’un côté, un Président avec le pouvoir mais sans les responsabilités et, de l’autre, un Premier ministre avec les responsabilités mais sans le pouvoir.

Ensuite, quelque part, non pas entre les deux, mais éloigné des deux, se trouve un Parlement soumis. Soumis d’abord aux caprices du Président, ensuite aux décisions du gouvernement qui lui impose non seulement la politique à suivre mais aussi l’ordre du jour.

Comme le gouvernement n’est pas l’émanation du Parlement mais celle du Président, on se retrouve avec un chef du gouvernement arbitrairement nommé pour diriger la France. Cette autocratie de la Vème République illustre parfaitement l’impuissance à la française.
Réduire la puissance élyséenne
L’étatisation du pays ayant rendu pratiquement impossible toute réforme importante de l’économie et de la société, seule une revalorisation du rôle du Parlement et un rééquilibrage des institutions pourraient changer la donne. Parler de « renforcer les pouvoirs du Parlement » et de la baisse du nombre d’élus est très à la mode de nos jours. Mais cela ne veut rien dire sans la réduction de la puissance élyséenne.

Le président élu au suffrage universel doit devenir le seul exécutif ; il ne devrait plus pouvoir dissoudre l’Assemblée et celle-ci ne devrait pas pouvoir le renverser (sauf pour des fautes graves très précises). Il faudrait que l’Assemblée retrouve son indépendance et ses pouvoirs : légiférer et contrôler. Les exemples canadien, allemand et britannique montrent qu’un système parlementaire peut agir avec efficacité ; l’exemple américain, que le régime présidentiel n’est performant qu’avec un Congrès dynamique capable de le contrôler.

Ce double exécutif et l’impuissance du Parlement sont des handicaps pour la France. Nous sommes le seul pays riche et démocratique avec ce genre d’organisation institutionnelle. Partout ailleurs, les Présidents (Allemagne) ou les monarques (Grande-Bretagne, Espagne…) n’ont aucun pouvoir.

Aux États-Unis, il n’y a pas de Premier ministre. On le sait, les Français sont attachés à la fonction présidentielle. Mieux vaudrait supprimer le poste de Premier ministre, se débarrasser de cette « fiction » et donner de vrais pouvoirs au Parlement et à la société civile.

Source contrepoints.org
Photo Bernard Cazeneuve Credit Parti Socialiste (Creative Commons)
Par Nicolas Lecaussin.

Nicolas Lecaussin

Directeur du développement de l’IREF, Nicolas Lecaussin est diplômé de Sciences-po Paris, ancien président de l’iFRAP (Institut Français de Recherche sur les Administrations Publiques), fondateur de Entrepreneur Junior et auteur de plusieurs ouvrages sur le capitalisme, l’État et les politiques publiques. Dernier livre publié : "L’obsession antilibérale française".

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