Pourquoi
n’y a-t-il pas d’Apple en France ?
Dans la grande
bataille mondiale du leadership technologique, les deux grands blocs qui
s’affrontent sont la Chine et les Etats-Unis. Pourquoi la France est-elle
absente des débats ?
Jeudi 2 août un peu avant 18h, Apple est devenue la
première entreprise privée au monde à dépasser les 1000 Md$ de capitalisation
boursière. Un record absolu qui démontre encore une fois la suprématie des
entreprises américaines du numérique sur l’économie mondiale (le podium des
plus grosses capitalisations étant complété par Amazon et Google) et qui doit nous interroger sur l’absence de réponse
française.
Apple, entreprise fondée en 1976 est devenue une référence en
révolutionnant le marché des télécoms. Lorsqu’en 2007 elle lance l’iPhone, elle
révolutionne par la même occasion la téléphonie, mais également notre façon
d’écouter de la musique ou de photographier notre environnement.
Depuis, Apple a vendu plus d’un milliard de ses appareils, grâce
à deux facteurs : l’adoption d’un placement marketing de luxe pour ses
produits et le développement d’une interface fermée permettant à la marque de
conserver les consommateurs sur tous ses périphériques informatiques, la
rendant ainsi incontournable. Mais, là où Apple a pu tirer son épingle du jeu,
c’est en adoptant une stratégie du renouvellement perpétuel, sortant un nouvel
appareil chaque année, qui vient révolutionner et rendre obsolète ses
prédécesseurs.
C’est parce que la France n’a pas pu adopter cet esprit de
renouvellement qu’elle ne dispose pas d’entreprises comparable.
LA FRANCE EN DERNIÈRE DIVISION
Jusque dans les années 90, la France était un des leaders
mondiaux du secteur des télécoms. 20 ans plus tard, nous sommes relégués en
dernière division, étant totalement dépourvus de constructeurs sérieux sur la
scène internationale. Pour quelle raison ? Principalement à cause d’un
manque de stratégie de long terme. En 1994, Édouard Balladur commande un
rapport sur les « autoroutes de l’information » à Gérard Théry,
créateur du Minitel. Celui-ci conclut qu’Internet n’est pas conçu pour offrir
des services commerciaux et ne représente qu’un douzième du potentiel du
Minitel. Celui-ci conclut que
le mode de fonctionnement
coopératif d’internet n’est pas conçu pour offrir des services commerciaux. Le
chiffre d’affaires mondial sur les services qu’il engendre ne correspond qu’au
douzième de celui du Minitel. Les limites d’Internet démontrent ainsi qu’il ne
saurait, dans le long terme, constituer à lui tout seul, le réseau d’autoroutes
mondial.
Le choix est alors fait de continuer à investir sur la
technologie maison, laissant ainsi la France regarder passer la révolution
internet. La suite on la connait, aucune de nos entreprises n’est aujourd’hui
en mesure de rivaliser avec les géants en place.
Dans la grande bataille mondiale du leadership
technologique, les deux grands blocs qui s’affrontent sont la Chine et les
États-Unis. Les BATX et les GAFA se
déploient sur tous les marchés possibles en développant de nombreux services
plurisectoriels pour se rendre indispensables et omniprésents auprès du public.
Dans cette bataille, la France est totalement absente des débats, Whaller, OVH
ou Qwant ne pouvant rivaliser sérieusement (pour le moment ?) avec
Facebook, Google et Microsoft. Pourtant c’est dans notre pays que sont formés
les meilleurs ingénieurs et mathématiciens que s’arrachent les grandes firmes
mondiales du numérique.
Le décrochage français est dû à 4 causes simples :
- Les salaires offerts à nos chercheurs et enseignants dans le secteur public sont bien trop faibles. Quand l’État offre à peine 2000 € par mois à un chercheur CNRS, les startups californiennes sont prêtes à proposer 500 fois plus.
- La politique fiscale française est l’une des plus lourdes au niveau mondial. L’imposition pesant sur les entreprises et les ménages alourdit les incitations à l’investissement en France et à l’émergence de business angels
- La politique publique d’innovation est trop faible. Aux États-Unis par exemple, la plupart des innovations des GAFA sont issues de la recherche publique. L’État se situe en amont du processus d’innovation et de recherche fondamentale, laissant ensuite les entreprises privées se charger de la recherche appliquée.
- La France et ses 66 millions d’habitants sont trop petits pour espérer s’attaquer aux géants en place. Malgré ce que nous dictent notre ethnocentrisme et notre orgueil national, l’échelon le plus pertinent pour lutter ne peut être que celui de l’Union Européenne.
RETROUVER LE GOÛT DU RISQUE
La France dispose néanmoins de quelques pépites dans des
domaines émergents. C’est le cas du véhicule autonome, où des entreprises
comme Navya et Easymile ont développé des navettes sans chauffeur qui
forcent l’admiration au niveau mondial. Mais la réglementation actuelle empêche
ces véhicules de circuler. Un frein important au développement de notre
potentiel technologique qui n’a pas échappé aux Chinois et aux Américains, qui
ont largement assoupli leur législation et qui par l’intermédiaire de Baidu,
Google et Tesla, se mettent en marche
pour conquérir les marchés mondiaux.
Pour devenir une place forte de l’économie numérique, la France
doit retrouver son goût du risque et son esprit entrepreneurial. Assouplir sa
législation et alléger sa fiscalité pour inciter à l’innovation est une
condition indispensable au début d’un rattrapage économique et technologique.
Sinon, nous serons condamnés à continuer de nous gargariser d’avoir été les
inventeurs du Minitel sans avoir pu développer une nouvelle innovation
disruptive depuis.
Source contrepoints.org
Par Erwann Tison.
Erwann Tison est le directeur des
études de l’Institut Sapiens, la première think-tech française qui cherche à
remettre l’humain au cœur du numérique. Macro-économiste de formation il est
diplômé de la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg.
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