Le portable à l’école,
c’est le couteau suisse du XXIᵉ siècle
Plutôt que dire aux élèves que c’est
un instrument qu’il faut absolument éviter, il faut leur apprendre que c’est
une boîte noire qu’ils se doivent de comprendre pour en utiliser au mieux les
potentialités.
Le
potentiel des nouvelles technologies pour l’apprentissage et l’éducation est en
grande partie non évalué. Il manque de recherches précises sur le sujet et
notamment de recherches sur ce qui se passe sur le terrain et pour chacun des
apprenants, et ce à tous les âges de la vie. Il y a peu d’évaluations en dehors
de sentiments personnels.
L’une
des questions centrales est : a-t-on appris à apprendre ? Et a-t-on
appris à apprendre de manière critique à l’heure du numérique ? Car on
peut aussi être manipulé par le numérique. Tout moyen de communication est
aussi un moyen de manipulation, on l’a vu de Goebbels à Trump ou Daesch. Plus
on a des outils de communication efficaces, plus il faut développer l’esprit
critique et la capacité à distinguer le bon grain de l’ivraie, ce qui est tout
sauf évident même pour un adulte et a fortiori pour un enfant ou un adolescent.
Par
contre ce que le numérique permet, par rapport à la radio par exemple, c’est
qu’on peut tous produire et partager, et que l’on peut facilement documenter ce
que l’on fait. On peut échanger plus largement et à toutes les échelles. On a
donc cette possibilité, non seulement d’apprendre à lire, écrire mais
d’accueillir une production faite par d’autres et de soi-même produire, via
l’écrit ou tout un tas d’autres dispositifs que le numérique permet.
Il faut
non seulement apprendre à décrypter les messages que l’on reçoit mais il faut
aussi apprendre à partager ses idées, ce qui suppose d’apprendre à les mettre
en ordre, d’avoir une capacité critique sur soi-même mais aussi d’accepter la
critique de l’autre. Une critique qui bien sûr doit être bienveillante et
constructive.
Apprendre
c’est être capable de donner et de recevoir des critiques. Le numérique permet
de faire cela à des échelles sans précédent. Les jeunes d’aujourd’hui ont
besoin de comprendre la puissance de cet outil numérique. C’est le rôle de
l’école de s’assurer que chaque élève sorte avec une culture numérique
suffisante, qu’il ait un esprit critique, qu’il développe une éthique de
l’utilisation des outils, et acquière les compétences pour s’approprier les
outils.
Une des
grandes difficultés, c’est qu’aujourd’hui les enseignants sont très peu
accompagnés. La formation initiale est perfectible comme tout dispositif et la
formation continue plus encore, car elle est loin d’être à la hauteur des
enjeux et en particulier des enjeux de transformation.
On a
donc besoin d’un vrai développement professionnel et d’adosser ce développement
professionnel aux résultats de la recherche. Et cela peut se faire en
s’appuyant notamment sur les laboratoires de recherche, si ceux-ci font
l’effort de rendre accessibles leurs savoirs et résultats à tous les publics, à
commencer par les professeurs. Il faut permettre à chaque enseignant de
s’approprier les meilleures pratiques et de les adapter au contexte spécifique
qui est le sien. Il suffit qu’une fraction des enseignants le fasse, qu’il
documente ce qu’il en fait pour permettre à d’autres de s’en servir.
Par
exemple l’utilisation des portables à l’école. Il ne faut pas passer d’un
extrême à l’autre : tout accepter ou tout interdire. A minima ce qu’il me
semble important de développer c’est la capacité à utiliser l’outil à bon
escient.
Il est
ainsi possible d’installer dans les téléphones portables un système qui permet
d’accéder aux données des capteurs : donc, si vous êtes prof de physique
vous pouvez étudier le moment des pendules et enregistrer directement sur votre
téléphone les oscillations du pendule. Si vous voulez étudier la chute libre,
vous pouvez étudier l’accélération que subit un outil de ce genre.
Vous
pouvez en cours de géographie vous en servir pour géolocaliser une partie de
l’espace ou en cours de sport utiliser le GPS pour que les élèves voient le
parcours qu’ils vont faire. Toutes les traces numériques que ces appareils
peuvent enregistrer, on peut les détourner pour les utiliser à des fins
pédagogiques.
Plutôt
que dire aux élèves que c’est un instrument qu’il faut absolument éviter, il
faut leur apprendre que c’est une boîte noire qu’ils se doivent de comprendre
pour en utiliser au mieux les potentialités. Le portable c’est le couteau
suisse du XXIe siècle. Il faut donc apprendre à s’en servir. On sera
d’autant plus écouté par les élèves, qu’on en aura montré les potentialités.
Apprendre
à apprendre est le maître mot. C’est la meilleure manière de s’adapter au
monde. C’est vrai des individus, c’est vrai des collectifs.
François
Taddei est Chercheur Inserm, directeur, Centre de Recherches
Interdisciplinaires (CRI).
Source contrepoints.org
Par François Taddéï.
The Conversation
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