7 sophismes dangereux sur le terrorisme
Retour sur 7 erreurs
d’interprétation face au terrorisme qui risquent de coûter cher si nous
n’ouvrons pas les yeux.
Sur la vague terroriste qui touche
actuellement la France, sept erreurs sont couramment faites qui empêchent de
bien percevoir le type de terrorisme que nous affrontons.
1ère erreur : ne pas voir
que les terroristes actuels sont de cultures différentes des autres terroristes
Ce n’est
pas la première fois que l’Europe est confrontée à une vague terroriste. La
vague nihiliste à la fin du XIXe siècle, avec l’assassinat de nombreuses
personnalités politiques (dont l’impératrice d’Autriche, le roi d’Italie et le
Président de la République), les années de plomb en Italie, le terrorisme
irlandais et basque. Ce qui change aujourd’hui, c’est que les terroristes
actuels ne sont pas issus de la culture européenne, même si la plupart de leurs
membres sont nés en Europe. De même, l’idéologie qui active le terrorisme,
l’islamisme, est née en dehors de l’Europe. En dehors aussi bien de ses
frontières que de sa culture.
Or, nous
avons trop souvent tendance à analyser ce terrorisme sous l’angle de notre
critère culturel, alors même qu’il est par essence autre que nous. C’est ce que
faisait remarquer récemment Rémi Brague : nous pensons l’islam avec les
critères du christianisme. C’est d’autant plus une erreur que l’islam est né
d’une hérésie chrétienne, en opposition à l’orthodoxie chrétienne.
Pour le
combattre, il est donc d’abord essentiel de comprendre cette différence
radicale. L’islamisme n’a rien en commun avec la culture européenne, et les
islamistes ne sont pas le fruit véreux de notre culture, comme pouvaient l’être
les gauchistes de la Fraction armée rouge. Les islamistes pensent et agissent
différemment de nous.
2ème erreur : croire que
l’inculture est le moteur du terrorisme
Beaucoup
disent que c’est l’inculture qui produit le terrorisme. Ce qui sous-entend que
si les terroristes étaient cultivés, ils ne se livreraient pas aux massacres
qu’ils commettent. Je crois que ceci est une erreur d’analyse :
l’inculture n’est pour rien dans ce phénomène. Ce qui signifie que le combat
contre le terrorisme islamiste ne se gagnera pas par l’école, avec des cours de
morale républicaine et des saluts au drapeau.
L’islamisme
n’est pas né en France, mais dans la zone arabe, au tournant du XXe siècle. Ses
penseurs sont issus de la classe bourgeoise civilisée et éduquée. Dans les pays
musulmans, ce sont souvent les élites urbaines cultivées qui soutiennent les
mouvements islamistes. C’est vrai en Iran comme en Turquie. Ben Laden était un
homme éminemment cultivé, tout comme les mollahs iraniens.
Que les
soldats de l’islamisme ne soient pas les personnes les plus intellectuelles qui
soit, peut-être, mais cela n’enlève rien au fait que l’islamisme est un
véritable mouvement de réflexion intellectuel, qui veut régénérer l’islam, le
réformer et le purifier. Il possède tout un corpus intellectuel et de
véritables références. Du reste, l’inculture est toujours relative : les
terroristes de Nice et du Bataclan savaient lire et écrire, ce qui n’était
probablement pas le cas de leurs grands-parents. Au regard des générations, ce
sont eux qui sont cultivés, pas leurs aïeux, et ce sont pourtant eux qui mènent
ces actions terroristes. C’est grâce à leur culture qu’ils peuvent mener ces
actions terroristes : comme ils savent lire, ils peuvent surfer sur les
sites internet djihadistes et ils peuvent planifier leurs voyages en Syrie.
Du temps
du marxisme, on expliquait que c’était la pauvreté qui causait les révolutions,
alors que celles-ci étaient toujours menées par les classes bourgeoises.
Aujourd’hui, on explique que c’est la pauvreté intellectuelle qui est cause de
l’islamisme, mais cette approche sociologique est toute aussi fausse.
3ème erreur : la rationalité
gagne toujours, l’irrationalité perd
On se
plait à croire que les islamistes sont des fous et qu’en les éduquant ils
reviendront à plus de rationalité et donc qu’ils arrêteront leurs crimes. Là
aussi, c’est accumuler plusieurs erreurs.
D’une
part, être cultivé n’empêche pas de commettre des crimes. En Europe, nous avons
l’exemple des SS et des cadres communistes, qui tout cultivés qu’ils étaient,
ont pu encadrer les camps de la mort et conduire à la mort des millions de
personnes.
D’autre part, si la rationalité gagnait toujours cela
ferait longtemps que la plupart des mesures proposées par les libéraux auraient
été appliquées (comme la privatisation de l’école publique et de la Sécurité
sociale). Comme l’a très bien démontré Étienne de La Boétie, il y a en l’homme une préférence pour la servitude
volontaire, parce que la servitude est confortable et qu’elle rend
irresponsable. La liberté est, elle, très exigeante.
Enfin,
les islamistes ne sont pas fous. Ils suivent une certaine logique, qui est
celle de leur discours et de leur pensée. S’ils suivent un chemin de mort, ils
n’en sont pas moins dans une certaine rationalité.
4ème erreur : nous sommes en
guerre contre le terrorisme
Le terrorisme est une arme. On n’est pas en guerre contre une arme, mais contre ceux qui la manient. On
n’est donc pas en guerre contre le terrorisme, mais éventuellement contre les
terroristes. Du reste, je ne crois pas que nous soyons en guerre.
À
l’époque des Brigades rouges, personne ne disait que l’on était en guerre
contre le terrorisme. Il y a certes des actes terroristes en France et en
Europe, mais cela ne fait pas une guerre. Il est vrai qu’à employer le mot
guerre dans des sens multiples, sa véritable signification se perd. On parle
ainsi de guerre contre le chômage ou de guerre contre la pauvreté, mais ce sont
des images, non une véritable guerre.
Pour horribles que soient les morts du terrorisme, nous
sommes loin des chiffres d’une véritable guerre. La Première Guerre
mondiale a fait 1,8 million de morts en France,
soit 1 150 morts par jour. En un jour, il y a eu plus de morts en France que
par toutes les attaques terroristes des dix dernières années. En 1914, la
France a connu 492 000 morts, et ce sont 179 000 soldats qui sont tombés à
Verdun. Nous sommes sur des ratios qui n’ont rien à voir avec la fusillade du
Bataclan ou l’attentat de Nice.
La
bataille de France (mai-juin 1940) a causé la mort de 120 000 soldats. La
guerre d’Algérie, a causé 25 000 morts chez les militaires français, soit 10
par jour.
Voilà de
véritables guerres, à quoi il faut ajouter les bombardements de ville et les
déplacements de populations civiles. La Syrie connaît une guerre, nous non. Ou
peut-être pas encore.
5ème erreur : on peut
réécrire le Coran
Pour les
musulmans, le Coran est dieu. Le Coran n’est pas l’œuvre d’un homme, comme
l’est par exemple la Bible, mais d’Allah, qui l’a dicté à Mahomet. À ce titre,
on ne peut pas changer Dieu. Les paroles de morts et de combats qui sont dans
ce livre ne peuvent pas être supprimées ou effacées par les hommes puisqu’elles
ne sont pas leur création. Toute la théologie musulmane repose sur le fait que
le Coran est issu directement d’Allah. Changer cela, ce n’est pas réformer
l’islam, c’est le détruire. On peut ne pas tenir compte de ces phrases, ou les
interpréter dans un sens différent, mais nullement les supprimer.
6ème erreur : croire que
l’État peut seul assurer notre sécurité
Le
terrorisme fonde son attaque sur la rapidité et la surprise. Bâtir des
palissades ne nous protègera jamais des attaques du terrorisme. Nous ne
demandons pas à l’État qu’il nous protège du terrorisme, mais qu’il éradique
les terroristes. Il est illusoire de croire que mettre davantage de soldats et
de policiers dans les rues évitera les attaques. Il faut retrouver une capacité
de mouvement en attaquant les terroristes là où ils sont. Cela, l’armée
française a très bien su le faire pendant la bataille d’Alger avec les
parachutistes de Massu.
C’est la
même action qu’il faut mener aujourd’hui, la torture en moins, fondée sur le
renseignement et le ratissage minutieux des quartiers. Le renseignement
français actuel fait d’ailleurs très bien son travail puisqu’il est capable de
repérer tous les terroristes potentiels : ceux qui ont commis les crimes
étaient fichés.
Ensuite,
doit se poser la question de l’armement des milices privées. Dans une situation
d’exception comme la nôtre, ceux qui ont le droit de posséder des armes,
notamment les chasseurs et les membres de clubs de tir, devraient pouvoir
mettre leurs compétences en ce domaine au service de la sécurité de leurs
concitoyens.
7ème erreur : l’occultation
du sacrifice
Je reprends ici la pensée de René Girard, qui m’apparaît fondamentale pour comprendre le moment
que nous vivons. Le sacrifice est en effet au cœur de toutes les civilisations
humaines, et les religions archaïques consistent à éliminer le bouc-émissaire,
chargé de tous les maux, par le sacrifice, afin de restaurer l’ordre de la
société. Les sociétés archaïques supposent donc le sang et la condamnation,
puisqu’il est nécessaire de désigner le bouc émissaire et le tuer.
Les
islamistes sont exactement dans cette perspective-là. Les boucs émissaires sont
pour eux les juifs, les chrétiens, les mauvais musulmans, tous ceux dont ils
estiment qu’ils souillent le monde et qu’il est nécessaire de tuer pour
restaurer l’harmonie du monde.
Ce que
démontre brillamment l’œuvre de René Girard, c’est que le christianisme détruit
la logique du bouc-émissaire, car ici la victime, le Christ, est innocent. On
quitte donc le monde des religions archaïques pour entrer dans la modernité de
la foi. Le cycle de la violence est brisé. L’harmonie du monde ne pourra plus
être restaurée par la violence, en tuant des boucs émissaires, mais
autrement ; par exemple par la discussion politique ou l’échange
économique.
Nous
sommes, nous Européens, chrétiens ou non, les héritiers de cette façon de voir
le monde : tuer un innocent nous répugne, comme nous répugne l’assassinat
du père Hamel. Mais pour les islamistes, tuer est la seule façon de restaurer
l’ordre du monde : ils sont restés dans cette conception archaïque dont
nous essayons de nous détacher depuis deux mille ans. À Saint-Étienne du
Rouvray, il y avait deux visions du martyre. Pour la vision archaïque des
islamistes, les martyrs sont ceux qui donnent la mort, car ainsi ils restaurent
l’harmonie. Pour la vision moderne des chrétiens, les martyrs sont ceux qui
sont tués de par leur innocence, et cette mort engendre la vie.
Nous
revenons ainsi à notre première erreur : ne pas comprendre que les
islamistes ne sont pas nous, qu’ils sont autres. Ils n’ont pas la même vision
de la vie et de l’homme. Alors que nous sommes dans une conception moderne et
nouvelle de l’humanité, eux sont dans une conception archaïque. De là la grande
incompréhension, de là aussi la raison profonde du combat qu’ils mènent contre
nous.
Photo
:By: Day Donaldson – CC BY 2.0
Source
contrepoints.org
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