La censure administrative du Net !
Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, a présenté en Conseil
des ministres son projet de loi de lutte contre le terrorisme. Véritable
arsenal de mesures de surveillance et de restrictions des libertés, ce texte
réintroduit notamment le blocage administratif et sans juge de sites Internet,
et propose d'étendre à nouveau l'extra-judiciarisation de la censure des
contenus en ligne.
Le projet
de loi de lutte contre le terrorisme présenté en Conseil des ministres par
Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, rappelle douloureusement les
projets similaires régulièrement présentés alternativement par l'UMP ou le PS.
Une fois encore, un sujet parfaitement légitime – ici la
lutte contre le terrorisme – est instrumentalisé pour justifier la restriction
de la liberté de communication et la fuite en avant vers la surveillance en
France. Cette fois-ci, le gouvernement souhaite non seulement étendre encore
les responsabilités des intermédiaires techniques dans la suppression de
contenus en ligne encadrée par la Loi pour la Confiance dans l'Économie
Numérique (LCEN) (à charge pour eux, acteurs
privées, de déterminer ce qui est licite ou non, hors de tout contrôle
judiciaire), mais il pousse encore plus loin la volonté de censure
extra-judiciaire en remettant en avant les mesures de blocage administratif
dans l'article
6 du texte.
Comme
l'indiquait le parti socialiste avant d'accéder au pouvoir, la censure
administrative de sites Internet porte gravement atteinte à nos droits
fondamentaux. Elle banalise des restrictions de liberté sans intervention
préalable d'un juge, et donc les mesures d'exceptions. Quant à la mention d'un
magistrat chargé d'assurer le soi-disant contrôle de ces mesures, il ne s'agit
que d'une parodie de justice dès lors que ce dernier, nommé par le ministère de
la Justice et travaillant seul, ne présentera aucune garantie d'indépendance,
sera dépourvu de moyens, et agira a posteriori
sans aucun pouvoir de suspension des mesures de blocage ordonnées.
Cette
mesure de censure administrative, qui reprend celle votée au nom de la lutte
contre la pédopornographie en 2011, s'appuie sur les fournisseurs d'accès à
Internet (FAI) pour faire appliquer les blocages de sites. La Quadrature du Net
tient à mettre particulièrement en garde les citoyens et le législateur contre
les risques de dérives des techniques permettant de tels blocages :
- soit ceux-ci sont mis en œuvre au niveau des noms de domaine (DNS), et n'ont alors aucune utilité réelle, puisqu'ils peuvent être contournés très facilement, à moins de consentir à d'importants risques de surblocage;
- soit le blocage est réalisé par des techniques dites « hybrides », qui entraînent des risques techniques pour le fonctionnement de l'ensemble du réseau et sont facilement contournables;
- soit, pour éviter la réapparition des contenus sur un autre site Internet et comme semble l'envisager le gouvernement, le blocage doit concerner les contenus eux-mêmes, nécessitant que les FAI mettent en place des mesures d'inspection systématique des requêtes des internautes pour effectivement empêcher l'accès à ces contenus, instaurant de fait une surveillance globale des internautes.
Par
l'extension de l'article 6 de la LCEN à l'incitation ou à l'apologie de
terrorisme, le projet de loi de Bernard Cazeneuve continue également
l'interminable élargissement de la liste des contenus pour lesquels la
responsabilité des hébergeurs peut être mise en cause (le troisième en moins
d'un an). Comme La Quadrature du Net l'a expliqué à maintes reprises aux
parlementaires ces derniers mois, l'état du droit et de la jurisprudence
poussera les hébergeurs à censurer largement tous les contenus signalés, là
encore sans aucune intervention judiciaire. Cette nouvelle extension des
obligations de signalement est proposée alors même que la définition de
l'incitation au terrorisme est floue et particulièrement difficile à
déterminer, renforçant la nécessité d'une procédure contradictoire et équitable
pour s'assurer du respect de la liberté d'expression.
Ces
mesures, qui visent à rendre inaccessibles aux internautes français les
contenus de ces sites et non à lutter effectivement contre les réseaux
terroristes, rappellent celles votées en décembre 2013 avec la loi de
programmation militaire. Elles inquiètent par leur caractère attentatoire et
disproportionné aux libertés fondamentales, et ce d'autant plus que les
contenus violents ou appelant à la violence sont déjà couverts par la LCEN et
que des procédures judiciaires d'urgence sont déjà prévues.
« Les mesures proposées pour
censurer les sites qui font l'apologie du terrorisme mettent directement en
cause la liberté d'expression et le droit au procès équitable, deux composantes
essentielles de l'État de droit. La force de notre démocratie est de savoir se
défendre sans abdiquer ses principes ni les libertés fondamentales de ses
citoyens. Nous appelons donc le gouvernement de Manuel Valls, et
particulièrement Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, à renoncer à ces
mesures extra-judiciaires et à œuvrer pour que la lutte contre le terrorisme se
fasse dans le strict respect de l'État de droit » déclare Adrienne
Charmet, coordinatrice des campagnes de La Quadrature du Net.
Source laquadrature.net
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