Que cache l’affaire
Benalla ?
Si l’affaire Benalla occupe la scène
médiatique, c’est aussi parce qu’elle occulte des problèmes politiques plus
importants.
Que cache l’affaire Benalla ? Que sait Benalla qui ne doive pas être connu de
tous ? Comment expliquer les attaques concertées et choquantes contre
la commission sénatoriale qui a décidé de
l’auditionner ce 19 septembre ?
J’évoque
ce feuilleton qui n’en finit pas et qui, paradoxalement, est plus nourri par
ceux qui s’opposent à un approfondissement de la vérité (détaché du processus
judiciaire) que par d’autres qui légitimement y aspirent. Parce que
probablement la catastrophique gestion de ce dossier — et Benalla lui-même n’a
pas manqué d’y mettre du sien — est l’une des causes de la baisse très nette du
président dans les sondages.
Il en
est d’autres sans doute plus sérieuses.
L’IMPATIENCE DES FRANÇAIS
L’impatience des Français face aux résultats économiques
et sociaux qui tardent à venir. La croissance guère revigorée, le
chômage qui ne régresse pas.
Une politique internationale qui, sur le plan européen,
se contente d’opposer trop facilement les progressistes aux
populistes qui seraient le diable avec cette
difficulté quasiment insurmontable qu’ils sont peut-être majoritaires et qu’il
est vain de vouloir donner des leçons éthiques à des gouvernants
soutenus par leur peuple.
Par ailleurs, si la France a retrouvé son rang, elle
n’est pas écoutée au point de convaincre et pèse peu sur la marche du monde. De
l’erratique Trump au dur et
cynique Poutine, sans oublier la
stratégie finement impérieuse de la Chine,
l’univers ne semble pas avoir besoin de nous. On peut louer les efforts du
président pour exister, mais trop de paramètres — notamment nos faiblesses
internes — nous font perdre du crédit.
Je ne suis pas persuadé que pour les registres judiciaire
et sociétal, Emmanuel Macron se soit résolu à être autre chose qu’un
intellectuel de gauche avec une idéologie
compatissante et des poncifs constituant l’humanisme comme une morale désarmée.
À cet inventaire rapide dont le caractère subjectif ne
m’échappe pas, est-il bien utile d’ajouter cette Fête de la musique
décalée et déplacée, la
consécration scandaleuse de Philippe Besson, ami du
couple Macron, les carences de certains ministres et tout ce qui est venu
depuis quelques mois assombrir une lumière qui avait suscité de l’espoir ?
RESTER ÉQUITABLE
Cette
vision critique n’est pas, chez moi, contradictoire avec une approche équitable
de tels propos et actes du président qui font l’objet d’une analyse sommaire.
Comme si une partialité médiatique se devait d’être définitive et que plus rien
ne trouverait grâce aux yeux non seulement des journalistes mais plus gravement
de citoyens d’autant plus sévères maintenant qu’ils avaient été enthousiastes
avant.
Je
récuse, en particulier, cette appréhension globale et négative d’une
personnalité pourtant complexe. Est-il au-dessus des forces médiatiques et
démocratiques de ne pas tout mettre au même niveau et de ne pas appréhender
également des saillies et dialogues opératoires et utiles d’un côté et des
vulgarités rares et donc d’autant plus remarquées de l’autre ?
J’ai déjà écrit, pour les défendre, sur les premiers en
les percevant comme l’expression d’une sincérité lassée de sa complexité
obligatoire et officielle et proférant crûment le verbe républicain (notamment
billet du 28 octobre 2017 : « République des mots justes, démagogie
des mots doux…« ).
J’ai dénoncé en revanche les secondes dont l’exemple le
plus regrettable a été ce « pognon de dingue » avec la familiarité du langage et la démagogie
tenant à la médiatisation immédiate de ce débordement. Si on ne tente pas en
permanence de séparer le bon grain et l’ivraie pour ce qui concerne les
attitudes et interventions publiques d’Emmanuel Macron — dialogues improvisés
(quand ils le sont vraiment !) ou non —, on ne comprendra rien à ce qu’il est
et l’on noiera ce qu’il a d’exceptionnel dans un opprobre systématique et
absurde.
LA DIGNITÉ PERSONNELLE
Quand le président de la République a rencontré le 15
septembre, dans les jardins de l’Élysée, un jeune chômeur âgé de 25 ans
désirant travailler dans l’horticulture et qu’il lui a dit, sous forme de
boutade (à prendre évidemment au figuré) « je traverse la rue et je vous en trouve du
travail », il ne faut pas oublier
l’échange qui précédait (BFMTV).
L’interlocuteur
d’Emmanuel Macron s’était plaint d’avoir envoyé plusieurs CV sans obtenir de
réponse dans son domaine de prédilection, et à juste titre le président lui
avait rappelé qu’il y avait des formations et que dans le bâtiment,
l’hôtellerie et la restauration, des emplois étaient à pourvoir. Ce n’était ni
honteux ni méprisant, pas plus que d’indiquer que lui adresser un CV à lui ne
servirait à rien. Pour trouver du travail il faut le chercher, se battre et
considérer que tout vaut mieux que l’assistanat : question de dignité
personnelle.
N’importe
quelle réplique du président, alors que pourtant il est sollicité et qu’on lui
reprocherait le mépris qu’une abstention de sa part pourrait révéler, est
détournée de son sens véritable et on lui impute, comme une tare de sa
personnalité, ce qui précisément en l’occurrence en est une richesse.
Ou alors
la République est une nursery et l’espace démocratique un jardin où les
citoyens seraient des enfants et le président condamné à dispenser des
mièvreries. C’est d’ailleurs une déplorable tendance politique et médiatique
que de s’effaroucher, telles des âmes fragiles, de petites empoignades ou de
dérisoires affrontements. Un rien est qualifié de clash et bientôt on ira jusqu’à suspecter la moindre
réplique d’être de trop !
Ce n’est
pas une marque d’irrespect que d’appréhender le président en pièces détachées.
C’est au contraire ne pas laisser le pire occuper toute la place et tout
gangrener.
Je veux
aussi sauver le meilleur.
Source contrepoints.org
Par Philippe Bilger.
Président de l'Institut de la parole, aujourd'hui
magistrat honoraire, Philippe Bilger a exercé pendant plus de vingt ans la
fonction d'avocat général à la cour d'assises de Paris. Il anime le site
Justice au singulier.
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