Droits de succession : on
grave le vol dans le marbre
L’impôt sur les successions
constitue une violation caractérisée des droits de l’homme.
Les nuages s’accumulent depuis l’année dernière sur les
successions. Après France Stratégie,
l’OFCE ou encore le Conseil des prélèvements obligatoires, après la note au
chef de l’État par trois économistes de gauche au mois de juin dernier, c’est
au tour du délégué général de La République en marche d’appeler à une réflexion
sur la réforme de l’impôt sur les successions. Il s’agirait de corriger les « inégalités de
naissance » dans la transmission du patrimoine.
Certes, Emmanuel Macron a mis le holà en excluant formellement « toute modification des droits de
succession sous sa présidence ». Le
débat est-il clos pour autant ? En aucun cas. Si le Président a tué dans
l’œuf l’aggravation des droits de succession, il a signifié de manière tout
aussi claire qu’il entendait graver dans le marbre la réglementation actuelle,
aussi imparfaite soit-elle, non seulement durant son mandat actuel mais aussi
durant son éventuel second et dernier mandat.
LA RÉFORME FISCALE SELON NOS ÉLITES
Toute
cette affaire qui a agité le microcosme parisien est révélatrice, d’abord de
l’état d’esprit de certains membres de nos « élites », ensuite de la
manière dont sont abordées en France la réforme ou la révision de la fiscalité.
Sans
doute le délégué général de La République en marche a-t-il cru faire montre
d’un modernisme achevé en matière de droit de succession. Mais le temps long
nous apprend que les conceptions de nos hommes de l’État se distinguent par
leur grande continuité.
Sous l’Ancien Régime déjà, les juristes proches du roi de
France, influencés par le droit romain, ont tenté de faire accroire que leur
maître était le propriétaire des biens de ses sujets. Ainsi que le
soulignait Alexis de Tocqueville, la
Révolution française marqua paradoxalement une continuité plutôt qu’une
rupture. Sous nos républiques successives, le droit de propriété est devenu un octroi de l’État alors que la
Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen en faisait un droit
consubstantiel à l’homme en 1789.
L’IMPÔT DEVENU INSTRUMENT DE REDISTRIBUTION
L’impôt n’est plus depuis longtemps la contribution
mesurée au fonctionnement des pouvoirs publics, selon l’expression
traditionnelle, « il y a des dépenses : il faut les couvrir ».
L’impôt s’est transformé à compter des premières décennies de la Troisième
République, sous l’influence du solidarisme et du républicanisme : il est
devenu un instrument de redistribution des richesses par le truchement d’un interventionnisme tous azimuts de
l’État. Celui-ci, dans sa grande largesse, consent à nous laisser une part, de
plus en plus réduite, de nos revenus.
Il en
est de même en matière de successions. Rappelons au préalable que l’individu ne
peut librement choisir ses héritiers et donataires, mais qu’il se trouve
contraint par les règles drastiques du Code civil depuis 1804, ce que
Tocqueville regrettait. Là encore, l’État consent à laisser à l’individu une
part disponible de donation ou d’héritage. Autrement dit, nos revenus et nos
propriétés ne nous appartiennent pas vraiment.
En substance, –et il faut le marteler car ceci n’est
presque jamais souligné–, l’impôt sur les successions constitue une violation
caractérisée des droits de l’homme. Il représente également une atteinte aux
valeurs familiales que notre État-providence s’efforce de détruire petit à
petit, car nous ne saurions avoir d’autre famille que notre « État-nounou ».
L’EXCEPTION FISCALE FRANÇAISE
Les projets divers et renouvelés de taxation
supplémentaire des donations et successions sont d’autant plus inadmissibles
que l’« exception française » frappe encore. En effet, notre pays
s’enorgueillit déjà d’être le champion du monde des prélèvements
obligatoires et des prélèvements sociaux. Il
connaît déjà l’un des taux marginaux d’impôt sur les successions en ligne
directe le plus élevé, soit 45 %.
Notre pays connaît également un abattement très faible,
réduit encore il y a quelques années à 100 000 €, une somme à comparer au
plus de 11 M$ d’abattement aux États-Unis. Ajoutons que l’impôt sur les
successions a été supprimé par nombre de nos voisins ces dernières années, des
pays qui n’étaient pourtant pas versés dans le libéralisme pour la plupart, mais au regard de la concurrence
fiscale et de la lutte contre l’exil des classes moyennes supérieures.
La nécessaire réforme de notre fiscalité complexe et
confiscatoire mérite une réflexion de fond plutôt qu’un ballon d’essai lancé à
l’emporte-pièce pour tester l’opinion publique. Elle mérite mieux que de
flatter les bas instincts des Français en faisant une nouvelle fois miroiter,
pour des motifs bassement électoraux, une chasse aux
« riches ».
Source contrepoints.org
Par Jean-Philippe Feldman.
Jean-Philippe Feldman est professeur agrégé des
facultés de droit et maître de conférences à SciencesPo. Avocat à la Cour de
Paris, il est aussi l'un des principaux contributeurs du Dictionnaire du
libéralisme (Larousse, 2012).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire