Kim Phuc, la petite Vietnamienne
Photo : Nick Ut (1972)
Le cliché qui valut au photographe le prix Pulitzer en 1973.
(Tran Bang – Vietnam – 8 juin 1972)
Les images paisibles
d’enfants heureux sont légion. Il en est malheureusement beaucoup d’autres,
mettant en scène des enfants victimes des pires atrocités. Celle de Kim Phuc,
la petite Vietnamienne de 9 ans, est probablement celle qui a le plus fortement
et le plus durablement marqué les mémoires.
Le 8 juin 1972, le
photographe Nick Ut est sur la route menant au village de Tran Bang, tenu
depuis 3 jours par les troupes du Nord-Vietnam et assiégé par les
Sud-Vietnamiens. La plupart des habitants du village ont déjà fui les lieux et
se tiennent sur la route, à quelques kilomètres, dans l’espoir de retourner
chez eux après la fin des combats. Alors que tout indiquait qu’il n’y avait
plus un Nord-Vietnamien dans le village, l’armée sud-vietnamienne décide
néanmoins de bombarder le village au napalm. Sur la route, aux avant-postes, se
tient une petite armada de soldats, de photographes, cameramen et autres
journalistes, tous dans l’attente du « spectacle » annoncé... (Qui a
vu le film Apocalypse Now peut effectivement parler de « spectacle »,
même si cette désignation est terriblement ambigüe!).
Sitôt après l’attaque,
ces témoins « privilégiés » voient s’échapper et courir vers eux des
rescapés, pour la plupart grièvement brûlés. Kim Phuc, la petite fille, est nue
car elle s’est débarrassée de ses vêtements en feu. Tous crient atrocement.
Après avoir dépassé les témoins, ils s’arrêtent enfin. Certains tentent
maladroitement de leur venir en aide. Nick Ut, parlant le vietnamien, est le
seul journaliste à pouvoir communiquer avec eux. Avec son chauffeur, dans son
minibus maintenant bondé, il transporte Kim et des membres de sa famille vers
un hôpital – à une heure de route – et insistera personnellement auprès du
personnel médical pour que la petite soit prise en charge. (En temps de guerre,
les hôpitaux, débordés, privilégient les soins aux personnes qui ont le plus de
chances de s’en sortir. Et Kim ne faisait sans doute pas partie de cette
catégorie.)
Kim Phuc, après 14
mois de soins et 17 opérations chirurgicales, s’en est sorti. Elle vit
maintenant au Canada avec ses 2 enfants. Elle a été nommée Ambassadrice de
Bonne Volonté (Goodwill Ambassador) de l’UNESCO en 1997. Nick Ut n’avait jamais
raconté qu’il avait sauvé cette petite fille. Ce n’est que 28 ans plus tard que
Kim Phuc, devant la reine d’Angleterre, a rapporté qu’il lui avait sauvé la
vie.
La photo ne paraitra
que le 12 juin dans le New York Times. Sa parution ne fut pas retardée par des
problèmes techniques (on disposait déjà de moyens de transmission, à l’époque).
Cela peut nous paraître surréaliste aujourd’hui, mais de très vives discussions
se sont engagées entre rédacteurs pour savoir si on avait le droit de publier
la photo d’une personne nue ! Finalement, entrevoyant tout de même
l’importance de cette photo, il fut décidé de la publier, non sans obtenir la
garantie de ne pas en faire un agrandissement. Il paraîtrait même que l’on a
flouté légèrement la région pubienne de la petite fille.
Cette image a eu un
grand impact et a prétendument permis d’accélérer la fin de la guerre du
Vietnam. Il faut relativiser son importance dans ce cadre, ne serait-ce que
parce qu’elle arrive à un moment où la fin de la guerre est en vue. Mais sa
très grande force iconique vient de sa propagation. Elle a été utilisée,
récupérée et décontextualisée par d’innombrables mouvements idéologiques,
politiques ou religieux. Et ceci, dans les projets éditoriaux les plus divers. (Dans ce registre, Le
Cri d’Edward Munch, n’a qu’à bien se tenir !)
La photo en haut de ce
billet représente le cadrage de sa parution dans le NY Times. Très forte,
dramatique et bien centrée sur le sujet. Mais on peut trouver d’autres
cadrages, ainsi que d’autres photos de la scène qui racontent autant d’autres
histoires. Par exemple, si on élargit le cadre, on voit à droite un
photographe.
Il s’agit de David Burnett, qui un instant
plus tard, a saisi cette image :
D’autres images
encore, font voir l’armada de journalistes dont je parlais plus haut et
pourraient raconter l’histoire d’une petite fille qui serait victime de
l’acharnement de la presse et de sa passivité face à ses souffrances. (C’est le
statut des photographes de guerre qui est en question ici. N’ayant jamais
entendu siffler une balle ailleurs qu’au cinéma, je me garderai bien de donner
une quelconque leçon...)
Nick Ut (de son vrai
nom Huynh Cong Ut) est né en 1951 au Vietnam. À 16 ans il entre à l’agence
Associated Press. Son frère ainé, Huynh Thanh My, photographe chez AP aussi,
vient d’être tué. Il réside et travaille aujourd’hui à Los Angeles, toujours
pour Associated Press. Le Prix Pulitzer lui a été remis pour cette photo en
1973. 35 ans plus tard, il est célébré pour la photo pipole
d’une richissime bécasse délurée...
Il faut bien
vivre ! Je dis cela sans mépris pour le photographe, car je comprends bien
qu’on ne puisse pratiquer la photo de guerre pendant toute une vie. Mais je ne
peux m’empêcher de me demander... : le raccourci saisissant entre ces 2
photos, à 35 ans de distance, nous donnerait-il la mesure du changement de nos
exigences en matière de photo de presse ?...
Nich Ut
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