mardi 30 septembre 2014

Billets-“Kot & Köter”, le mag qui déteste les chiens


“Kot & Köter”, le mag qui déteste les chiens

En Allemagne, un magazine voué à la haine de la gent canine connaît un véritable succès. A la grande colère du puissant lobby des amateurs de chiens.

En 1992, quatre journalistes éméchés assis autour d’une bière se lancent un défi : inventer le magazine le plus absurde possible. Quelques tournées plus tard, ils tombent d’accord : dans un pays passionné de chiens, un magazine consacré à ceux qui les détestent serait une idée folle. Ils trouvent même le titre : Kot & Köter [que l’on pourrait traduire par “Caca canin”].

Pendant vingt ans, le magazine n’est resté qu’une blague entre amis, même si la plaisanterie a beaucoup fait parler d’elle. L’un des journalistes, Wulf Beleites, a en effet acquis une petite notoriété quand ce magazine fictif (dont il avait déposé le nom pour plaisanter) a été cité dans la presse allemande. Entre 1992 et 1998, il a même été invité dans dix-huit émissions de télé locales en tant que rédacteur en chef de Kot & Köter, alors que le magazine n’existait pas. Or Kot & Köter est récemment devenu réalité. Wulf Beleites, lassé de vivre d’expédients dans un secteur sinistré de la presse, a décidé de le lancer pour de bon. Et c’est un succès.


Le premier numéro, sorti en 2013, s’est vendu en quelques jours et le deuxième, publié ce mois-ci, proclame sur 48 pages sa détestation du “meilleur ami de l’homme”. Le papier principal explique avec un humour grinçant comment relooker son chien. Plus loin, un feuilleton relate l’histoire d’un serial killer de chiens qui hante les rues de Hambourg. Trois poèmes, envoyés par les abonnés, déplorent l’état exécrable des parcs et des plages, souillés par la gent canine. Et une parodie de critique gastronomique recommande un restaurant qui ne sert que de la viande de chien. “Il y a deux types d’Allemands, explique Wulf Beleites, ceux qui aiment les chiens et ceux qui les détestent.

Mes lecteurs appartiennent à la deuxième catégorie.” L’Allemagne compte 80 millions d’habitants et 5 millions de chiens, vedettes d’une dizaine de magazines, comme Modern Dog, City Dog, Dog’s Avenue, Woof ! ou encore SitzPlatzFuss, l’équivalent de “assis, debout, couché”. Leur lectorat prend le sujet très au sérieux. Un tollé a ainsi accueilli un horoscope pour toutous publié par Dogs. “Nos lecteurs ont détesté”, raconte Thomas Niederste-Werbeck, rédacteur en chef de Dogs – 50 000 exemplaires tous les deux mois. “Ils veulent qu’on respecte leur chien.”

L’horoscope a été abandonné. Wulf Beleites, 67 ans, journaliste dans la presse satirique, n’a jamais aimé les chiens. A 5 ans, il a été mordu par le spitz de son grand-père et, depuis, il voue à ces animaux une haine féroce. Lorsqu’en juillet 2013 il a décidé de lancer pour de bon Kot & Köter, il a réalisé une petite vidéo de promotion. En un mois, il a collecté 7 000 euros sur un site de financement participatif. Il a enfin réalisé le premier numéro, vendu 7,80 euros – 4 euros la version numérique.

Lettres d’insultes
L’un des principaux articles était consacré à Hitler et à son chien, Blondi. Un autre proposait une étude comparative entre les bergers allemands et les alarmes électroniques, ces dernières étant jugées bien plus commodes et moins pénibles que les molosses. Un troisième, illustré par la photo d’un caniche soigneusement tondu, titrait : “Phénoménologie des caniches putassiers : le rôle des chiens dans le commerce sexuel”. Lorsque les 1 000 premiers numéros ont été épuisés, Wulf Beleites en a imprimé 1 750 de plus.

Il a recruté des amis et des parents pour traiter l’afflux de commandes. “Notre salle à manger ressemblait à un centre de tri postal”, raconte sa femme, Heidi. La satire n’a pas plu à tout le monde. Beleites a reçu des lettres d’insultes et des coups de téléphone courroucés, et s’est fait parfois incendier par ce qu’il appelle le “lobby allemand du chien”.

“En Allemagne, vous pouvez gifler votre enfant mais vous n’avez pas intérêt à gifler votre chien”, explique Philip Alsen, journaliste canin, dresseur de chiens et propriétaire de quatre clébards. “Je ne pense pas que ce magazine ait un avenir.” Wulf Beleites a récemment fait un tour chez Koko von Knebel, une luxueuse boutique pour chiens du centre de Hambourg. Sur un mur étaient présentés une dizaine de colliers sertis de bijoux, fabriqués à la main, coûtant jusqu’à 400 euros. Des bols “édition limitée” étaient vendus 800 euros.

Il y avait également une poussette pour chiens. “Ce n’est pas une plaisanterie, lui a assuré la responsable du magasin, Brigitte de Jong. Si votre chien est vieux ou malade, vous pouvez le promener dans cette poussette.” Mais quand Beleites lui a montré un exemplaire de Kot & Köter et lui a proposé de le vendre, Mme de Jong a vu rouge. “Ça ne me plaît pas du tout”, a-t-elle lancé en repoussant le magazine, avant de mettre le journaliste à la porte.

Wulf Beleites s’est ensuite assis à une terrasse et a commandé un verre de vin. Quelques minutes plus tard, un grand chien baveux bondit vers lui. “Ce qui est marrant, relève sa femme, c’est qu’il attire les chiens.”

 Dessin de Vlahovic, Serbie.
Source courrierinternational.com

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