“Kot & Köter”, le mag qui déteste les chiens
En Allemagne, un magazine voué à la haine de la
gent canine connaît un véritable succès. A la grande colère du puissant lobby
des amateurs de chiens.
En 1992, quatre journalistes éméchés assis autour d’une
bière se lancent un défi : inventer le magazine le plus absurde possible.
Quelques tournées plus tard, ils tombent d’accord : dans un pays passionné de
chiens, un magazine consacré à ceux qui les détestent serait une idée folle.
Ils trouvent même le titre : Kot & Köter
[que l’on pourrait traduire par “Caca canin”].
Pendant
vingt ans, le magazine n’est resté qu’une blague entre amis, même si la
plaisanterie a beaucoup fait parler d’elle. L’un des journalistes, Wulf
Beleites, a en effet acquis une petite notoriété quand ce magazine fictif (dont
il avait déposé le nom pour plaisanter) a été cité dans la presse allemande.
Entre 1992 et 1998, il a même été invité dans dix-huit émissions de télé
locales en tant que rédacteur en chef de Kot & Köter, alors que le magazine
n’existait pas. Or Kot & Köter est récemment devenu réalité. Wulf Beleites,
lassé de vivre d’expédients dans un secteur sinistré de la presse, a décidé de
le lancer pour de bon. Et c’est un succès.
Le premier
numéro, sorti en 2013, s’est vendu en quelques jours et le deuxième, publié ce
mois-ci, proclame sur 48 pages sa détestation du “meilleur ami de l’homme”. Le
papier principal explique avec un humour grinçant comment relooker son chien.
Plus loin, un feuilleton relate l’histoire d’un serial killer de chiens qui
hante les rues de Hambourg. Trois poèmes, envoyés par les abonnés, déplorent
l’état exécrable des parcs et des plages, souillés par la gent canine. Et une
parodie de critique gastronomique recommande un restaurant qui ne sert que de
la viande de chien. “Il y a deux types d’Allemands, explique Wulf Beleites,
ceux qui aiment les chiens et ceux qui les détestent.
Mes
lecteurs appartiennent à la deuxième catégorie.” L’Allemagne compte 80 millions
d’habitants et 5 millions de chiens, vedettes d’une dizaine de magazines, comme
Modern Dog, City Dog, Dog’s Avenue, Woof ! ou encore SitzPlatzFuss,
l’équivalent de “assis, debout, couché”. Leur lectorat prend le sujet très au
sérieux. Un tollé a ainsi accueilli un horoscope pour toutous publié par Dogs.
“Nos lecteurs ont détesté”, raconte Thomas Niederste-Werbeck, rédacteur en chef
de Dogs – 50 000 exemplaires tous les deux mois. “Ils veulent qu’on respecte
leur chien.”
L’horoscope
a été abandonné. Wulf Beleites, 67 ans, journaliste dans la presse satirique,
n’a jamais aimé les chiens. A 5 ans, il a été mordu par le spitz de son
grand-père et, depuis, il voue à ces animaux une haine féroce. Lorsqu’en
juillet 2013 il a décidé de lancer pour de bon Kot & Köter, il a réalisé
une petite vidéo de promotion. En un mois, il a collecté 7 000 euros sur un
site de financement participatif. Il a enfin réalisé le premier numéro, vendu
7,80 euros – 4 euros la version numérique.
Lettres d’insultes
L’un des
principaux articles était consacré à Hitler et à son chien, Blondi. Un autre
proposait une étude comparative entre les bergers allemands et les alarmes
électroniques, ces dernières étant jugées bien plus commodes et moins pénibles
que les molosses. Un troisième, illustré par la photo d’un caniche
soigneusement tondu, titrait : “Phénoménologie des caniches putassiers : le
rôle des chiens dans le commerce sexuel”. Lorsque les 1 000 premiers numéros
ont été épuisés, Wulf Beleites en a imprimé 1 750 de plus.
Il a
recruté des amis et des parents pour traiter l’afflux de commandes. “Notre
salle à manger ressemblait à un centre de tri postal”, raconte sa femme, Heidi.
La satire n’a pas plu à tout le monde. Beleites a reçu des lettres d’insultes
et des coups de téléphone courroucés, et s’est fait parfois incendier par ce
qu’il appelle le “lobby allemand du chien”.
“En
Allemagne, vous pouvez gifler votre enfant mais vous n’avez pas intérêt à
gifler votre chien”, explique Philip Alsen, journaliste canin, dresseur de
chiens et propriétaire de quatre clébards. “Je ne pense pas que ce magazine ait
un avenir.” Wulf Beleites a récemment fait un tour chez Koko von Knebel, une luxueuse boutique pour chiens du centre de
Hambourg. Sur un mur étaient présentés une dizaine de colliers sertis de
bijoux, fabriqués à la main, coûtant jusqu’à 400 euros. Des bols “édition
limitée” étaient vendus 800 euros.
Il y avait
également une poussette pour chiens. “Ce n’est pas une plaisanterie, lui a
assuré la responsable du magasin, Brigitte de Jong. Si votre chien est vieux ou
malade, vous pouvez le promener dans cette poussette.” Mais quand Beleites lui
a montré un exemplaire de Kot & Köter et lui a proposé de le vendre, Mme de
Jong a vu rouge. “Ça ne me plaît pas du tout”, a-t-elle lancé en repoussant le
magazine, avant de mettre le journaliste à la porte.
Wulf
Beleites s’est ensuite assis à une terrasse et a commandé un verre de vin.
Quelques minutes plus tard, un grand chien baveux bondit vers lui. “Ce qui est
marrant, relève sa femme, c’est qu’il attire les chiens.”
Dessin de Vlahovic, Serbie.
Source courrierinternational.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire