Edward Snowden prix Nobel alternatif
Grand honneur pour son "grand
courage" : parce qu'il a révélé les abus de la très puissante NSA, le
lanceur d'alerte reçoit le prix suédois Livelihood, qui recompense ceux qui
améliorent la condition humaine. Retour sur l'itinéraire d'un "jeune
hacker pressé".
En 2006,
lorsque Edward J. Snowden a rejoint les rangs des virtuoses de l’informatique
qui travaillent pour les agences de renseignement américaines, aucun employé
n’avait endossé le rôle de “dissident” depuis un moment.
Mais alors
que son travail à la CIA, puis pour le compte de l’Agence nationale de sécurité
américaine (NSA), le laissait de plus en plus en proie au doute, la campagne
menée par le gouvernement Obama pour lutter contre les fuites d’informations
sensibles a entraîné la conversion de plusieurs salariés désabusés en “lanceurs
d’alerte”.
Au lieu de
quitter son emploi dans le renseignement, Snowden a choisi de suivre leur
exemple et ses révélations pourraient bien être une conséquence spectaculaire
et imprévue de la politique répressive du gouvernement.
Sa
décision reflète peut-être aussi son incroyable ambition. En discutant avec ses
amis et en suivant sa trace sur Internet, on découvre un jeune homme talentueux
qui n’a pas fini le lycée, mais qui se vantait, en ligne, d’être courtisé par
d’innombrables employeurs. “Les grands esprits
n’ont pas besoin de l’université pour gagner en crédibilité : ils
obtiennent ce qu’ils veulent et entrent discrètement dans l’Histoire”,
a-t-il ainsi écrit à l’âge de 20 ans.
Snowden,
aujourd’hui âgé de 31 ans et toujours en cavale, a étudié le mandarin, s’est
intéressé aux arts martiaux, s’est déclaré bouddhiste et a même évoqué la Chine
comme “une excellente option en terme de
carrière”. Après avoir divulgué les documents secrets en sa possession,
il a exprimé son admiration pour Bradley Manning, le jeune soldat aujourd’hui
en procès pour avoir remis 700 000 documents confidentiels au site
WikiLeaks, et pour Daniel Ellsberg, le célèbre lanceur d’alerte qui a diffusé
les documents secrets du Pentagone sur la guerre du Vietnam en 1971. “Bradley Manning est l’archétype du lanceur d’alerte,
soutient-il. Il est motivé par le bien public.”
Edward
Snowden, jeune homme timide qui a grandi au sein de la contre-culture rebelle
des geeks, a été inspiré non seulement par Manning mais aussi par les
“dissidents” des agences où il a travaillé.
A la NSA,
son dernier employeur, il y a eu Thomas A. Drake : après avoir été jugé
en 2010 pour avoir divulgué des documents confidentiels, ce dernier
continue à dénoncer les pratiques dignes de Big Brother de l’Agence nationale
de sécurité américaine.
A la CIA,
son employeur précédent, il y a eu John Kiriakou, condamné à trente mois de
prison pour fuite d’informations sensibles. Une condamnation qu’il attribue à
sa dénonciation du waterboarding
[simulation de noyade], pratiqué lors des interrogatoires de l’agence
américaine. Si l’objectif de Snowden était de s’attirer autant d’attention que
ses prédécesseurs, il a réussi son coup. Le Congrès le considère comme un
traître, le FBI a lancé une chasse à l’homme pour l’arrêter et il s’est attiré
des sympathies diverses, dont celle du documentariste de gauche Michael Moore
et de l’animateur radio ultraconservateur Glenn Beck.
La
fascination d’Edward Snowden pour les ordinateurs remonte à ses années de
lycée, près de Baltimore (Maryland). L’informatique est vite devenue son
activité principale lorsqu’il a arrêté ses études, en seconde. Il avait un
petit cercle d’amis qui, comme lui, étaient captivés par Internet et l’univers
de l’animation japonaise. “C’était un geek
parmi d’autres, explique un ancien ami. On consacrait notre temps aux jeux
vidéo et à la japanimation. C’était à l’époque où les geeks n’étaient pas
encore cool.”
Edward
Snowden vivait avec sa mère Elizabeth, employée administrative dans un tribunal
et divorcée en 2001 de son père Lonnie Snowden, officier de la Garde
côtière américaine. Avec ses amis, il montait des ordinateurs à partir de
pièces commandées sur Internet et ils avaient créé un site baptisé Ryuhana
Press. Ce sont ces amis qui l’ont persuadé d’obtenir un certificat
d’équivalence de fin d’études secondaires. “Il
n’a pas eu besoin de réviser. Il s’est contenté de se présenter à l’examen, et
il a réussi”, souligne un ancien ami.
- Crise de conscience
En 2001, à
17 ans, Edward a adopté sur Internet le pseudonyme “The One True HOOHA”,
abrégé en HOOHA sur le site Ars Technica, un forum pour amateurs de jeux vidéo,
hackers et autres bidouilleurs informatiques. Les deux années suivantes, son
activité sur Internet a essentiellement eu trait aux jeux vidéo. Il y abordait
aussi son intérêt pour les arts martiaux et son mépris pour l’école. Sans
grande assiduité, il a suivi des cours au Community College [établissement
d’enseignement supérieur public] Anne Arundel, sans jamais obtenir de diplôme.
Fin 2003,
il a annoncé qu’il rejoignait les rangs de l’armée. Il a suivi une formation
pour entrer dans les forces spéciales, afin selon lui de “participer à la lutte pour libérer les populations
opprimées” en Irak. Mais il a déclaré s’être cassé les jambes pendant un
entraînement et il a été réformé quatre mois plus tard.
Il est
rentré chez lui et est devenu agent de sécurité au centre des hautes études
linguistiques de l’université du Maryland, qui entretient des liens étroits
avec l’Agence nationale de sécurité, dont le siège est situé à
20 kilomètres de là.
Au milieu
de l’année 2006, Edward a décroché un poste de technicien informatique à la
CIA. Malgré ses lacunes académiques, il a obtenu une habilitation “secret
défense” et une affectation convoitée à Genève sous couverture du département
d’Etat.
Mavanee
Anderson a travaillé avec lui de 2007 à début 2009 à Genève. Pour
elle, il “traversait déjà une sorte de crise de
conscience” à l’époque. “Je pense que
toutes les personnes assez intelligentes pour faire le travail qui lui était
confié et tous ceux qui sont en possession du type d’information auquel il
avait accès ont forcément des moments de doute de ce genre”,
explique-t-elle. Mavanee Anderson comprend ce qui a poussé Edward à révéler des
secrets d’Etat, mais elle ajoute qu’elle “aurait
aimé dire à Ed qu’il n’avait pas à assumer ce fardeau seul”.
- “Je me suis endurci”
En 2009,
Edward a rejoint la NSA à titre d’agent contractuel sur une base militaire au
Japon. Il a avoué qu’il avait été déçu par Barack Obama, qui “a continué à
développer les politiques qui auraient précisément dû être abandonnées”. “Je me
suis endurci”, affirme le jeune homme.
En 2010,
il s’est de nouveau tourné vers le forum Ars Technica après une longue absence.
Cette fois, ses préoccupations étaient clairement politiques. “La société semble avoir développé une docilité
inconditionnelle envers les espions, a-t-il écrit. En est-on arrivé là petit à petit, par un processus
que nous aurions pu maîtriser ? Ou bien ce changement radical a-t-il été
suffisamment instantané pour passer inaperçu à cause de la tendance généralisée
de l’Etat au secret ?”
En
mars 2012, Edward a fait un don de 250 dollars à la campagne
présidentielle du candidat libertarien Ron Paul. Un mois plus tard, il a
déménagé à Hawaï, selon le compte Twitter de sa petite amie, Lindsay Mills.
Celle-ci l’appelle “E” et son “homme
mystérieux”. Elle l’a rejoint là-bas en juin de la même année.
En
mars 2013, le cabinet de conseil Booz Allen Hamilton a embauché Edward au
poste d’administrateur système au sein du centre d’analyse opérationnelle des
menaces de la NSA. En mai, il a demandé un arrêt maladie pour suivre un
traitement contre l’épilepsie. Et le 20 mai, il est parti pour Hong Kong
avec quatre ordinateurs et des copies numériques des documents secrets. Le
lundi 10 juin, le cabinet Booz Allen Hamilton a licencié Edward,
qualifiant de “choquante” sa décision de
révéler des informations confidentielles.
Source courrierinternational.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire