mardi 30 septembre 2014

Billets-Bons baisers du Starbucks de la CIA


Bons baisers du Starbucks de la CIA

La célèbre chaîne de cafés a ouvert une succursale au siège de la CIA, pour le plus grand bonheur des espions et autres agents secrets. Reportage.
  
Le nouveau manager avait une idée, et il n'y voyait pas de mal : pour accélérer le service et éviter les malentendus, il voulait que les serveurs écrivent le nom des clients sur les gobelets, comme cela se fait dans tous les Starbucks du monde.

Sauf que ce ne sont pas des clients comme les autres – nous sommes au Starbucks de la Central Intelligence Agency (CIA). "L'idée de donner son nom ou même le plus fantaisiste des pseudos, ça ne plaît pas à nos habitués, résume le manager, ce sont des agents secrets."

Cette antenne du spécialiste du latte écrémé et du double capuccino se trouve au cœur du vaste complexe de Langley (Virginie), le siège de l'agence américaine des renseignements.

Bienvenue au Stealthy Starbucks [littéralement : Starbucks furtif], comme certains agents l'appellent affectueusement, ou, pour reprendre la formule énigmatique du ticket de caisse, à la Succursale n° 1.

Les serveurs sont sélectionnés au terme d'un entretien et d'une enquête fouillée et ne peuvent quitter leur lieu de travail sans l'escorte d'un gorille. Ici, pas de carte de fidélité pour les clients : les autorités redoutent que les données stockées sur ces cartes ne soient revendues et ne tombent dans de mauvaises mains, sabotant la couverture des agents.

Public de caféinomanes
Mais ce Starbucks est l'un des plus fréquentés des Etats-Unis, grâce à un public captif composé de milliers d'accros à la caféine, qu'ils soient analystes, agents, économistes, ingénieurs, géographes ou cartographes, tous participant à la collecte des renseignements et à la mise au point d'opérations clandestines dans les zones les plus épineuses et les plus violentes du monde.

"C'est sûr, nous sommes typiquement des caféinomanes", reconnaît un employé de Langley.

Dans ce complexe hautement sécurisé, on sort rarement prendre son café ailleurs ; le matin et au milieu de l'après-midi, la queue au comptoir se prolonge souvent jusque dans le hall. A Langley, on se raconte, comme une légende urbaine, l'anecdote de ce haut responsable de la CIA qui, agacé par tout ce temps perdu par les salariés, avait coutume d'en aborder un dans la queue du Starbucks en lui demandant : "Et vous, qu'avez-vous fait pour votre pays aujourd'hui ?"

Un peu d'humanité dans un environnement sous pression
En apparence, ce Starbucks ressemble à tous les Starbucks du monde, avec son mobilier de bois blond, ses scones à la myrtille et à la framboise disposés dans des paniers et sa bande-son folk rock en arrière-plan.

Mais, pour le manager, ce café a une "mission particulière" : mettre un peu d'humanité dans un environnement professionnel où l'on travaille sous haute tension. Dans cet angle de la salle où des fauteuils en cuir forment un coin cosy, il dit souvent entendre ses clients pratiquer les langues étrangères, l'allemand et l'arabe notamment.

C'est aussi au Starbucks qu'ont lieu de nombreux entretiens de mobilité interne, pour des agents qui souhaitent par exemple quitter le contre-terrorisme pour rejoindre un poste dans la non-prolifération nucléaire. "Le café accompagne bien ce genre d'échanges", assure un membre de l'agence. Ainsi, nous raconte un officier sous le couvert de l'anonymat, c'est au Starbucks de Langley que le chef de l'équipe qui a participé à la localisation d'Oussama Ben Laden a recruté un adjoint qui s'est révélé essentiel dans cette mission.

Briefing sécurité
Côté personnel, les neuf serveurs du café reçoivent régulièrement un briefing sécurité. "Nous leur rappelons que si quelqu'un s'intéresse d'un peu trop près à son lieu de travail et pose trop de questions, il doit nous en parler", explique le manager.

Une serveuse qui vient tous les matins, avant l'aube, de Washington [à une quinzaine de kilomètres], raconte ainsi qu'elle avait au départ postulé dans une entreprise de restauration fournissant plusieurs centres fédéraux de la région, sans savoir où elle serait affectée. Elle a été soumise à une enquête très fouillée, précise-t-elle.

Cette jeune femme de 27 ans s'est vu proposer un poste dans les services de restauration de Langley. Le matin de sa première journée de travail, elle a rentré l'adresse dans son GPS : rien. Elle a alors dû appeler la personne qui l'avait embauchée, qui lui a expliqué comment se rendre sur place. "Et c'est seulement là que j'ai compris que je travaillais au Starbucks du siège de la CIA."

Mais impossible pour elle de s'en vanter dans les dîners en ville. "Tout ce que je peux dire à mes amis, c'est que je travaille dans un site du gouvernement fédéral," explique la jeune femme.

Elle a fini par identifier certains clients à leurs habitudes. "Tiens, voilà le gars au Caramel Macchiato" ; "Ah, c'est Mme Iced white mocha [moka glacé au chocolat blanc]"…

"Mais je n'ai aucune idée de ce qu'ils font, dit-elle. Tout ce que je sais, c'est qu'ils ont besoin de café, et en une sacrée quantité."


Source courrierinternational.com

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