Gouvernement Valls II : 3 questions à Laurent Bouvet
Tout semble indiquer que le gouvernement
s’oriente vers un recentrage politique, au grand dam d’une partie de la gauche
de la gauche. Contrepoints a posé à Laurent Bouvet trois questions pour nous
éclairer sur le sens à donner à ces derniers changements à la tête de
l’exécutif.
Laurent Bouvet est professeur de
théorie politique à l’Université de Saint-Quentin-en-Yvelines. Il est également
le directeur de l’Observatoire de la vie politique (OVIPOL) de la Fondation
Jean Jaurès. Ses recherches portent, entre autres, sur la social-démocratie. Il
tient un blog sur la vie politique
française.
Contrepoints – Le nouveau
gouvernement Valls semble avoir sacrifié son aile gauche par souci de cohérence
politique. Il en résulte une équipe resserrée autour du premier ministre, mais
faiblement soutenue par son propre camp déçu et divisé. Pensez-vous que cela
suffira pour gouverner ?
Laurent Bouvet -
Ce sera l’enjeu des semaines qui viennent avec quelques moments-clefs à
l’Assemblée nationale (AN) : le vote sur la confiance au gouvernement, celui
sur le projet de loi de finances… Il paraît peu probable que lors de ces
occasions, il y ait une majorité à l’AN pour renverser le gouvernement. Les «
frondeurs » du PS sont eux-mêmes divisés sur l’attitude à avoir et les élus de
gauche (PS, PC, EELV…) qui prendraient le risque de voter contre le
gouvernement avec ceux de la droite et du centre, porteraient la responsabilité
de leur propre défaite ensuite dans les urnes, car le président de la
République n’aurait d’autre choix que de dissoudre l’AN. Bref, même très
minoritaire politiquement, les institutions de la Vème République permettent au
gouvernement de poursuivre sa route, au Parlement du moins.
Contrepoints – Du côté de
l’assemblée plane toujours la menace d’une dissolution. Croyez-vous les députés
de gauche suffisamment remontés contre l’exécutif pour qu’Hollande décide de
l’utiliser ? Peut-on imaginer que la majorité présidentielle fasse plier le
gouvernement et l’oblige à suspendre ses objectifs de réforme ?
Laurent Bouvet -
Chez certains « frondeurs » du PS, l’idée est bien celle-là : écarter la menace
de la dissolution et contraindre le président de la République à changer de
politique. Deux problèmes subsistent néanmoins, et ils sont de taille.
D’abord, comme on le
disait précédemment, les outils constitutionnels dans les mains de l’exécutif
lui permettent de tenir le choc d’une telle « fronde » : les députés ont
davantage à perdre que le président de la République à une dissolution. Pour
tordre le bras du président, ils devraient accepter de mettre en jeu leur
mandat ! Or compte tenu du rapport de force aujourd’hui, les députés de gauche
disparaîtraient quasiment de l’Assemblée nationale en cas de législatives
anticipées.
Ensuite, contraindre
le président à changer de politique conduirait à ouvrir une période très
incertaine sur le plan institutionnel. On imagine qu’il faudrait un nouveau
premier ministre par exemple. Or les opposants de gauche à la politique
actuelle de l’exécutif ne sont pas sur la même longueur d’onde. Entre un
Mélenchon, une Duflot et un Montebourg, entre autres, il y a au moins autant de
convergences que de différences. Quelle serait la ligne suivie ? Qui serait
accepté par les autres comme Premier ministre ? C’est d’ailleurs là un atout
pour François Hollande et Manuel Valls : ils peuvent compter sur les divisions
de leurs adversaires à gauche au-delà des critiques formulées.
Contrepoints – Ce remaniement
va-t-il avoir un effet sur la physionomie politique et culturelle de la gauche
française ? Peut-on attendre d’Arnaud Montebourg, par exemple, qu’il cherche à
occuper l’espace à la gauche du parti socialiste ? Peut-on imaginer une
reconfiguration en faveur d’un rapprochement entre centre et gauche réformiste
?
Laurent Bouvet -
Ce remaniement pourrait en effet entraîner une clarification des positions au
sein du PS, surtout en cas de congrès de celui-ci dans les mois à venir : avec
une aile gauche étoffée qui cherche l’alliance avec la « gauche de la gauche »
(Front de gauche, EELV…) et une aile droite qui chercherait à s’allier plutôt
au centre. Si une telle logique allait à son terme, le PS pourrait finir par se
diviser. Cette division en fonction de lignes idéologiques serait une première
depuis le Congrès de Tours en 1921. Ce n’est cependant pas le scénario le plus
probable même si la période qui vient est assez incertaine et inédite dans la
mesure où le PS est pour la première fois confronté non pas à une division
interne sur le projet mais à une conjoncture électorale, tant nationale que
locale, particulièrement mauvaise.
Jusqu’ici, la
perspective de gagner les élections locales ou nationales permettait en effet
de tenir ensemble les deux camps (voire davantage de courants et sensibilités)
dans un même parti car il y avait en quelque sorte de la place pour tout le
monde, majorité et minorité du parti, aile gauche et aile droite – c’était le
schéma Mitterrand-Rocard par exemple. L’intérêt électoral supérieur l’emportant
toujours au final sur les divisions idéologiques ou programmatiques.
Aujourd’hui, si le PS devient un peu moins un parti d’élus et de candidats à
l’élection, et un peu plus un parti clivé idéologiquement, son fonctionnement
pourrait bien se modifier.
Source contrepoints.org
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