Maryse Deraîche
L’obésité est le nouveau sujet à la mode. Nous
sommes saturés d’émissions de perte de poids extrême, de conseils nutritionnels
ou encore de dvd d’exercices réalisés par la toute dernière vedette « has been
».
De nos jours, si nous
ne mangeons pas six portions de fruits et de légumes quotidiennement, si nous
ne faisons pas trente minutes d’exercice soutenu ou si nous avons le malheur de
fumer, nous méritons nos malheurs! Les polémistes radiophoniques s’en donnent à
cœur joie en pointant du doigt et en jugeant un problème complexe en
l’attribuant à une seule cause : les mauvais comportements individuels.
À tout ceci je réponds
« fuck you »! On dit qu’il ne faut jamais juger avant d’avoir marché un mille
dans les souliers d’un autre. Je reprends ces sages paroles en vous disant : si
vous n’avez jamais été obèse ou proche d’une personne obèse, gardez vos petites
réflexions insipides pour vous!
photo: Paul-André Larocque
Je me nomme Mariz,
j’ai 31 ans, je mesure 5 pieds et 8 pouces (ndlr: 1,73 m), je pèse 145 livres
(ndlr: 66 kg), je suis blonde et belle! Il y a deux ans j’aurais plutôt affirmé
ceci : « je me nomme Mariz, j’ai 29 ans, je mesure 5 pieds et 8 pouces (ndlr:
1,72 m), je pèse 360 livres (ndlr: 163 kg), je suis obèse! »
Comment la deuxième
Mariz est devenue la première me demanderez-vous. Simple! Science et logique!
En faisant expertiser, par des professionnels de la santé, un problème
métabolique récurrent et en procédant à une intervention chirurgicale complexe,
lourde de conséquences et encore expérimentale. Solution facile! Certains le
pensent, beaucoup le disent et plusieurs me rendent malade…
Après trois ans
d’attente, de rencontres avec mon médecin, mon chirurgien, ma nutritionniste,
ma kinésiologue, après avoir assisté à plusieurs conférences données par des
chercheurs en obésité, après avoir lu tout ce qui a été écrit sur le sujet,
après tout cela, je suis sortie du bloc opératoire.
Solution facile, le
pensez-vous encore? Lorsque votre intérieur a été brûlé, découpé, rebranché,
recousu… Lorsque vous ouvrez les yeux et que la seule chose que vous souhaitez
c’est qu’ils se referment au plus maudit parce que la douleur est insoutenable…
Lorsque vous avez l’impression qu’un train vous a trainé sur des kilomètres, à
ce moment même, vous croyez qu’elle était facile cette avenue?
Vous souhaitez
connaître la première phrase qui est sortie de ma bouche après avoir été
modifiée de l’intérieur? Bien sûr… Lorsqu’un infirmier est venu m’aider à me
lever, trois heures seulement après l’intervention, je l’ai regardé, les yeux
noyés de morphine, et j’ai dis : « si jamais un jour quelqu’un vient me dire
que c’était la solution facile, je lui CALISSE mon poing sur la yeule ». Ma
copine l’a trouvé pas mal bonne et elle a su que tout allait bien, que j’étais
toujours en vie!
photo: Paul-André Larocque
Le portrait qui est
peint des obèses n’est en fait qu’une partie de la réalité et moi, je ne
m’identifie pas à cette réalité. Je ne me suis pas mise à engraisser à la suite
d’un échec amoureux ou parce que mon père m’a violée étant enfant, je
n’entretenais pas de rapports conflictuels avec la nourriture, je ne m’isolais
pas dans un 2 ½ crasseux parce que j’avais peur du regard des gens, je ne
m’empiffrais pas de « junkfood » toute la journée, je ne couvrais pas mon corps
de vêtements trop grands…
Quoi que je fasse, les
kilos ne faisaient que s’accumuler avec les années. Pourquoi? Malgré les
régimes, l’entrainement physique, la restriction, je n’arrivais à rien. Tout ce
qui augmentait, c’était mon sentiment de culpabilité et d’injustice. Malgré cela,
j’avais une vie relativement normale! J’avais des amis, des amoureux, des
amants, une vie sexuelle…
J’allais à
l’université même si les sièges étaient trop petits pour mon derrière, je
sortais dans les bars et les soirées, je tentais de me réaliser malgré les
regards. Vous savez, ces regards accusateurs qui me laissaient croire que mes
difficultés corporelles m’étaient entièrement attribuées et que c’était « bien
fait » pour moi. Ces regards de dédain qui me scrutaient des pieds à la tête.
Ces regards, ces foutus regards! Lorsqu’ils étaient accompagnés de
chuchotements et de rires, ils étaient sanglants! Malgré tout cela, je fonçais
dans la vie! Je savais qu’un jour on me jugerait pour ce que je suis et ce que
je fais et non pas parce que je prends deux sièges dans l’autobus…
photo: Paul-André Larocque
On éprouve rarement de
la compassion pour les personnes obèses… Pourquoi se mettre à la place d’un
obèse, il a juste à arrêter de manger!
Tu as une vie normale
aujourd’hui me direz-vous. Peut-être, vu par des yeux extérieurs, mais je serai
à tout jamais une obèse. Il y a deux côtés à ma médaille et je dois apprendre à
accepter le revers. Je devrai à tout jamais « dealer » avec les regards. Ils
sont différents certes, mais toujours existants, toujours aussi accusateurs…
Lorsque je raconte mon récit, il y a certaines personnes qui me regardent
comme-ci je ne méritais pas ma beauté. Pour eux, je ne ferai jamais parti des
leurs, je serai à tout jamais la grosse qu’on méprise.
Lorsque j’étais obèse,
on ne pouvait s’y méprendre… Lorsque je faisais une rencontre, mon partenaire
était parfaitement conscient qu’en enlevant mes vêtements, il y trouverait un
corps gros et déformé. Maintenant, mon apparence devient un mensonge sans que
je ne le veuille. Si j’effectuais des rencontres aujourd’hui, je n’aurais
d’autres choix que d’en parler avant que les évènements s’enchainent, car la
surprise serait mauvaise! Comment expliquez que même si je suis jolie, une fois
nue je suis une toute autre personne? Et si je ne disais tout simplement rien…
Quels types de réaction pourraient produire mes seins vides et mes cuisses
flasques? À quel point est-on ouvert d’esprit?
photo: Paul-André Larocque
Certains individus,
adeptes du positivisme, me diront : « mais tu peux t’habiller où tu veux
maintenant, tu n’as plus ce problème et tu peux t’asseoir dans un siège
étroit». Vrai! Par contre, le bonheur ne se résume pas à ce que l’on perçoit.
Mes os sont heureux, mon rythme cardiaque me remercie, mes articulations
trépignent de bonheur, mais ma peau est triste…Elle est toujours là! Plus
molle, plus plissée… Notre société nous inculque qu’une femme perd sa beauté au
même rythme qu’elle accumule les années. Pour ma part, ma jeune beauté est un
euphémisme. Ce n’est qu’une illusion d’optique. Il ne faut pas juger un livre à
sa couverture. Vrai, tellement vrai! Ma couverture est magnifique, mais mes
pages sont fripées, usées, elles ont été bafouées, pliées et même déchirées…
Suis-je heureuse
aujourd’hui? OUI! J’apprends à aimer mon nouveau livre, car malgré son
apparence, il est rempli de force et de courage. J’aurai sûrement recours à la
chirurgie esthétique un jour, mais même si je réussissais à accumuler l’argent
nécessaire à la réparation de mon corps, je devrai tout de même apprendre à
vivre avec ces blessures. Je suis de celles qui croient que la force et
l’équilibre sont puisés dans le fait d’assumer qui on est, et cela, dans son
intégralité. La grande question : « reproduirais-tu les mêmes gestes à la suite
du résultat connu? ». OUI, sans hésitation! Il faut seulement être conscient
que, comme dans tout, une action conduit toujours à des résultats inattendus et
il faut être en mesure de les accepter.
Vous croyez toujours
que cette intervention est une solution facile? Je mènerai un combat jusqu’à ma
mort. Il est juste différent maintenant…
source: urbania.ca
par Sylvie St-Jacques
La
Presse
13 avril 2012
Sur son fil Twitter,
Maryse Deraîche ne tarit pas d’enthousiasme pour la célébrité instantanée que
lui a valu son texte «Qui gagne perd…», paru cette semaine sur le site
d’Urbania. «Quelle fabuleuse expérience!», se réjouit la jeune femme de Québec
de 31 ans qui s’est mise à nue au propre comme au figuré dans ce qui est
«probablement l’un des articles les plus troublants [et émouvants] de
l’histoire d’Urbania».
Il y a deux ans, celle
qui emprunte le pseudonyme Mariz était obèse: elle pesait 360 livres.
Aujourd’hui, elle se présente comme «belle et blonde» et pèse 145 livres pour
ses 5 pi 8 po (1,72 m). Le photographe Paul-André Larocque l’a immortalisée
d’abord en svelte et fougueuse vamp, puis en costume d’Ève où est révélé le
triste spectacle de ses chairs évidées et pendantes que dissimulent
avantageusement des vêtements ajustés.
«C’est très personnel
comme article. Quand on a subi un changement corporel de la sorte, on ressent
le besoin de coucher ça sur papier», exprime Maryse Deraîche, au bout du fil,
qui espère que cet article réalisé avec son meilleur ami, le photographe Paul-André
Larocque, «ouvrira les horizons des personnes obèses et fera la preuve qu’il
n’y a rien de miraculeux dans la vie.»
Dans son témoignage
coup-de-poing, Maryse Deraîche s’en prend à une société qui rend les obèses et
les personnes aux comportements «incorrects» responsables de leurs maux.
«De nos jours, si nous
ne mangeons pas six portions de fruits et de légumes quotidiennement, si nous
ne faisons pas 30 minutes d’exercice soutenu ou si nous avons le malheur de
fumer, nous méritons nos malheurs!» écrit celle qui tient «un problème métabolique
récurrent» responsable de son surpoids.
L’amincissement de
Maryse Deraîche n’est pas le résultat d’un régime, puisque la jeune femme a
plutôt choisi de prêter son corps à la science. Trois ans d’expertises, de
séances d’information et de consultations avec des spécialistes ont précédé
l’intervention chirurgicale «complexe et lourde de conséquences» qui lui a
donné un nouveau corps.
Et voilà qu’elle
expose au grand jour les résultats d’une démarche lourde de conséquences. «Le
but n’était pas de choquer, mais bien de démontrer le décalage entre ce que les
gens perçoivent d’une image corporelle et la réalité qui est cachée, sous l’enveloppe.»
Jadis, quand elle
était ronde, ses articulations et son rythme cardiaques étaient peut-être
souffrants, son derrière était peut-être trop volumineux pour les bancs de
l’université, mais elle avait des amis, des chums, des amants. Aujourd’hui,
Maryse est libérée de son surpoids, mais porte néanmoins une tonne et demie de
meurtrissures, bien dissimulées sous ses vêtements sexy.
«Lorsqu’un infirmier
est venu m’aider à me lever, trois heures seulement après l’intervention, je
l’ai regardé, les yeux noyés de morphine, et j’ai dit: «Si jamais un jour
quelqu’un vient me dire que c’était la solution facile, je lui CÂLISSE mon
poing sur la yeule.»»
La «fabuleuse
expérience» de Maryse Deraîche, bien entendu, c’est sa percée fulgurante dans
les statuts Facebook et Twitter de centaines de sympathisants à sa cause.
«C’est incroyable, tout l’amour et les encouragements que j’ai reçus» Le
nouveau fan-club de Maryse Deraîche a trouvé en cette jeune femme au corps
prématurément vieilli une poster girl pour une époque où l’obsession du corps
n’a d’égale que l’obsession d’être vu, entendu, retwitté…
Maryse Deraîche – à
l’instar de la Britannique Samantha Beck, cette inconnue de 41 ans devenue
célèbre après avoir signé un texte dans le Daily Mail sur la jalousie que lui
vaut sa grande beauté – est le symbole d’une époque où tout ce qui est «viral»
prend spontanément une importance cruciale.
Si ce texte a tant
suscité l’attention, c’est que Maryse Deraîche porte plusieurs paradoxes. En
même temps qu’elle dénonce l’obsession de la minceur, elle révèle les douleurs
et séquelles d’une procédure encore expérimentale. Deux ans après sa chirurgie,
la prochaine étape sera la chirurgie esthétique, qui pourrait lui coûter
plusieurs dizaines de milliers de dollars.
«Le but n’était pas de
choquer», assure Maryse Deraîche qui jure qu’elle ne s’attendait pas à ce que
son histoire crée une «aussi grosse vague.»
Un tsunami, plutôt.
Qui dérange et repousse les frontières d’une réflexion sur notre rapport
trouble à nos corps et à nos miroirs.
source: cyberpresse.ca
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