Photo : Nathanael Charbonnier
Propos recueillis par Pascal-Moussellard (Télérama)
Crise économique, écologique, sociale… le combat est plus que jamais nécessaire. Mais dans les partis, le militantisme se meurt. Pour mieux renaître ailleurs ?
L'Europe qui prend l'eau, les politiques qui écopent et l'idéologie dominante – le libéralisme – au bord du naufrage : des « conditions objectives » optimales, aurait-on dit il y a trente ans, pour une action militante florissante. C'était l'époque où partis, syndicats et autres « mouvements » savaient capter l'électricité dans l'air et mobiliser les énergies sous une bannière, un mot d'ordre fédérateur. Aujourd'hui, ces catalyseurs sont en panne. Le problème ne touche pas la droite, qui, par tradition, a toujours eu une culture de « supporters » (d'un homme) plutôt que de militants (d'une idée), Front national excepté. En revanche, la gauche patine. Elle qui, du Parti communiste au Parti socialiste en passant par les extrêmes, a construit ses succès sur le travail de la base – ces milliers d'hommes et de femmes prêts à sacrifier leurs dimanches matin pour tracter sur les marchés, plus quelques soirs pour faire vivre leurs convictions.
Deux livres récents en témoignent : dans Les Primaires socialistes, la fin du parti militant, le politologue Rémi Lefebvre souligne que la crise n'est pas tant dans la baisse des adhérents que dans l'incapacité des dirigeants à repenser le rôle de ces derniers, à fixer leurs missions et... à les écouter. Ces primaires, dans lesquelles tant de commentateurs ont cru percevoir un renforcement du processus démocratique, sont plutôt la preuve, selon Lefebvre, de la « dévaluation » du militantisme au sein du parti : « Je ne veux pas mythifier le militantisme d'hier, mais l'ouverture du vote à tout-va l'a enterré. En fait, le parti a fini de liquider une forme d'organisation qu'il n'avait pas su réinventer. » Une pause, puis l'estocade : « Aujourd'hui, le PS ne veut pas de militants. »
“L'ouverture du vote à tout-va a enterré
le militantisme d'hier. En fait, le PS a fini de liquider
une forme d'organisation qu'il n'avait pas su réinventer.”
Rémi Lefebvre, politologue
Parole d'intello ? Militants, le récit que fait Isabelle Spaak de son séjour dans une dizaine de sections socialistes à travers la France - du Carmaux de Jean Jaurès au Jarnac de François Mitterrand, et de La Courneuve au très chic 6e arrondissement de Paris - alterne espoir et gueule de bois. La base est là, généreuse. Manque l'étincelle : « A quoi sert-on ? demande un militant de Jonzac. C'est acté, nous sommes des soutiers. »
Et les soutiers sont sympas mais paumés. Car leur parti, ce PS historiquement hostile à la présidentialisation, traditionnellement réfractaire à la personnalisation, est devenu un parti d'élus, de professionnels de la politique et de notables : dans son fonctionnement, un parti de droite... ou presque. Et Alain, un militant rencontré par Isabelle Spaak sur l'île de Ré, « regrette le temps où l'on avait de vrais débats sur le monde, l'époque des intellectuels organiques issus du monde ouvrier, qui se formaient sur le tas, devenaient leaders d'opinion »...
Le militantisme d'appareil est mort... vive les militants ! Le premier, porté par la discipline et la doctrine, s'efface. Un autre émerge, passionné mais « désidéologisé » - même s'il continue de pencher à gauche -, incertain dans ses buts et sa postérité. Nous sommes allés à la rencontre de ces nouveaux militants – des Indignés aux collectifs Jeudi Noir, Génération Précaire ou Sauvons les riches ! – et nous leur avons montré le formidable film Tous au Larzac, bientôt sur les écrans. On comprend, à les écouter, que jamais, sans doute, depuis une génération, l'époque n'avait été aussi favorable à l'action collective. Que l'on parle d'économie, d'écologie, de social ou de culture, c'est l'« état d'urgence ». Après des années de repli individuel – la tentation du chacun pour soi face à la dureté du monde –, les valeurs du collectif sont de nouveau à l'honneur : « On n'y arrivera pas seuls », clament les Indignés. Reste à catalyser, remettre du conflit dans le débat, suggère Rémi Lefebvre : « Aujourd'hui, le PS a besoin d'une refondation idéologique car il a en face de lui un libéralisme surpuissant – mais aussi parce que les militants veulent voir leurs idées prises en compte. Pour lui comme pour eux, c'est le moment. »