Ken Loach a refusé son prix au festival de Turin
Par ce geste, le réalisateur britannique
entendait protester contre les conditions de travail d'employés de ménage liés
à la manifestation. Explications d'Andrea Martini, journaliste au quotidien “La
Nazione”.
Andrea Martini est une figure de la critique
italienne. Il est professeur d’histoire du cinéma à l’université de Sienne et
critique de cinéma pour le quotidien La Nazione.
« En refusant le Grand Prix du Festival du film de Turin, Ken
Loach a agi en complète cohérence avec lui-même.
Quand on connaît ses films, et notamment Bread
and roses, qui s’intéressait, en 2000, à la
révolte des femmes et hommes de ménage mexicains à Los Angeles, on sait combien
il est sensible à l’injustice sociale. Cet été, des syndicalistes ont pris
contact avec le réalisateur britannique pour l’avertir que le musée du Cinéma
de Turin, qui est associé au festival, avait délégué une partie de ses services
de gardiennage et de nettoyage à une société extérieure. Ces contractuels,
désormais extérieurs au musée, ont vu leurs salaires baisser. Deux employés se
sont plaints et ont perdu leur emploi. Loach a demandé des explications au
festival et à Alberto Barbera, directeur du musée, mais, au lieu de lui
répondre, tous ont eu la mauvaise idée d’essayer de le faire revenir sur sa
décision ; pis, de le culpabiliser. Comment pouvait-il ne pas tenir sa promesse
de rencontrer les cinéphiles turinois ? On ne voit pas Ken Loach succomber au
chantage affectif. La veille du début du festival, il a expliqué son refus de
venir dans un communiqué à la fois ferme et aimable.
Gianni Amelio, réalisateur et directeur artistique du festival, et Ettore
Scola, venu recevoir un prix pour sa carrière, ont eu
des mots très durs à l’encontre de leur confrère, le traitant d’“idéologue
obtus et narcissique. Le quadragénaire Paolo Sorrentino, président du jury, a
même parlé d’un retour aux divisions des années 1970. Pour comprendre ces
réactions excessives, signalons le désistement tardif de Dustin Hoffman (non pour des raisons politiques !) : en 48 heures, le
festival avait perdu deux grands noms… C’est dommage car Turin est un festival
fait pour Ken Loach. Le prix Cipputi, par exemple, y récompense chaque année le
meilleur film sur le monde ouvrier. Allez trouver un prix équivalent à Venise
ou à Cannes ! Les médias italiens ont beaucoup commenté le geste du cinéaste
anglais, mais, bizarrement, n’ont pas eu la curiosité d’aller voir du côté du
personnel de nettoyage. Cela ne devrait pas tarder : j’ai entendu dire que Ken
Loach viendra bientôt leur rendre visite… »
Source Télérama propos recueillis par Agnès Catherine Poirier
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