David Bowie: Un hippie brechtien
David Jones devient David Bowie et l'acte de
naissance du glam rock est signé. La mutation décisive approche : une star va
éclore.
Un jeune faon sanglé de tweed. Ainsi paraît David Bowie en
juin 1967 sur la pochette d'un album qui porte juste ce nom. Le joli garçon
déjà photogénique a 20 ans, vient de se réinventer une première fois.
Jusqu'ici, il était David Jones, un frêle « mod » cherchant sa place dans des groupes
éphémères de rhythm'n'blues. Sous cette nouvelle marque, celle d'un fameux
couteau (le bowie knife), il peine encore à trancher dans l'air du temps.
C'est la
saison des fleurs à Londres, où règne le chatoyant Sgt. Pepper's des Beatles. Les miniatures pop composées et
chantées par Bowie, accompagnées par sa douze-cordes et le son d'un groupe
assez spartiate, ont un curieux goût de cabaret. Quinze ans avant son hommage à
Baal, il est déjà brechtien. Acteur de
sa musique autant que musicien.
« Nous pensions qu'il avait un avenir dans la comédie
musicale », confie un peu plus tard l'éditeur des chansons de Bowie (il
a notamment les Rolling Stones à son catalogue) à Tony Visconti. Le jeune
producteur américain, débarquant en plein Swingin' London, est fasciné par ce
gandin bizarre et stylé, qui voue la même passion au rock'n'roll de Little
Richard, au jazz de Gerry Mulligan, à l'underground pop de Frank Zappa. Viré
par sa maison de disques après des débuts en sourdine, Bowie s'initie à l'art
du mime chez Lindsay Kemp et monte avec sa muse Hermione, danseuse de ballet,
des groupes au parfum hippie et volatil : Turquoise, Feathers…
Ce
Bowie-là est un touche-à-tout sans direction précise, un paon quelque peu
évanescent qui pose en robe et se pare des couleurs et coutumes du moment. Il
peut mimer l'invasion du Tibet par les Chinois sur une scène, et quelques mois
plus tard parader en « homme arc-en-ciel » sur une autre, pour une soirée que
Tony Visconti voit comme l'acte de naissance du glam rock, où le scintillement
des étoffes répond à des tempos désormais plus électriques. On est alors en
février 1970.
L'année
précédente est sorti un nouvel album de David Bowie, dont on a tiré son premier
succès, Space Oddity. Une ode de
circonstance aux premiers pas de l'homme sur la Lune. Mais aussi une chanson
complexe et majestueuse, dépassant le cadre folk-rock où s'inscrivent la
plupart de ses créations. Bowie dut l'imposer à son producteur, qui n'y croyait
pas. S'il n'a pas encore d'identité musicale forte, il a déjà du flair. Mais
peine à refaire le coup avec le disque suivant, The
Man who sold the world, en dépit du potentiel du morceau-titre (auquel
Kurt Cobain rendra justice bien plus tard).
Hunky Dory, à la fin d'une année 1971 qui a vu
s'envoler vers la gloire son camarade et rival Marc Bolan avec T-Rex, est le
chant du cygne du « premier » David Bowie.
Précédant
de quelques mois sa mutation décisive… A l'image du portrait impressionniste
illustrant l'album, il exhale encore une fraîcheur indécise et frémit de la
grâce des commencements. Pop exubérante, berceuse au nouveau-né, grande ballade
narrative et quelques exercices d'admiration qui dessinent Bowie en fan transi
avant qu'il ne devienne star à son tour : dans Song
for Bob Dylan, Andy Warhol ou Queen Bitch (un pastiche de Lou Reed), il joue
encore à être un autre, avec une délectation palpable. Et quand il recopie (Fill your heart, du comédien-chanteur
américain Biff Rose), c'est avec élégance.
Après
viendra le temps du contrôle et du pouvoir, ces drogues dures auxquelles un
créateur ne s'adonne jamais sans dommage. Pour l'heure, ce David de 24 ans, les
yeux vairons balayés par une longue mèche, batifole encore en falzar à pinces,
cultivant une vague ressemblance avec Lauren Bacall. On ne sait plus ce qui
chez lui est naturel ou composé : désinvolture dandy, accent cockney... Mais
l'a-t-on jamais su ?
Source Télérama
1971. Séance photo pour la pochette de Hunky Dory, par Brian Ward. © Brian Ward / Sony
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