David Bowie: Un androgyne de génie
Plus fascinant que jamais, Bowie devance les
modes. Le glam rock est moribond ? Il prépare déjà une nouvelle mue…
Septembre
1971. A peine le dernier titre de Hunky Dory
bouclé en studio, David Bowie est pris d'une frénésie : les chansons de son
disque suivant s'imposent déjà comme des évidences, à graver dans l'urgence.
Cette intuition, Bowie la doit à Mick Ronson, guitariste et arrangeur
virtuose. La complicité trouvée avec ce timide alter ego venu du Nord a
donné des ailes au second couteau pop, déterminé à ravir la couronne glam à
Marc Bolan.
« Five years, that's all we've got... » Cinq ans, c'est tout ce qu'il nous reste. La
voix du chanteur se brise en hurlant le finale de ce qui est peut-être sa plus
belle chanson. La plus atypique dans sa construction, la plus caractéristique
d'un répertoire qui ne procédera désormais plus par imitation. Le titre, qui
ouvre The Rise and Fall of Ziggy
Stardust and the Spiders from Mars, l'album de la
consécration, publié en juin 1972, marque le basculement d'un outsider,
tâtonnant et joueur, en maître absolu de sa création. Sa voix, d'abord, aux
mille intonations et expressions, fragile mais d'une justesse rare,
n'appartient plus qu'à lui. L'enregistrement de Five Years, comme tant d'autres à venir,
se fit en une prise, Bowie, littéralement en larmes, puisant au plus profond de
son être ses mots cinglants et désespérés.
Jusqu'à
Ziggy, Bowie se cherchait. En créant ce personnage de star extraterrestre,
héritier de Vince Taylor, Iggy Pop et autres figures cultes de la mythologie
rock, Bowie trouvait enfin qui il était : la créature rock ultime, flamboyant
marginal triomphant jusque dans la mise en scène de sa mort programmée (Rock'n'roll Suicide), là où ses inspirateurs
restaient maudits.
L'ère est
encore aux cheveux longs ? Sur les conseils de sa femme, Angie, Bowie les
coupe, comme pour souligner plus encore son androgynie. Blond pour la photo de
pochette, il passe au rouge, pour mieux répondre aux couleurs vives de ses
délirantes tenues japonaises. Bowie déclare à la presse qu'il « [est] gay,
et l'[a] toujours été ». Le
timing est parfait. Quinze ans après Presley, l'Anglais incarne à nouveau le
trouble sexuel, l'interdit, la liberté. Ziggy Bowie devient l'idole dotée de
toutes les vertus : le style, le physique, le costume, l'attitude et, plus que
tous ses contemporains, les chansons.
Car plus
rien n'arrête Bowie, qui se met à écrire des classiques à la vitesse de la
lumière. Pour lui et les autres. All the young
dudes sauve la carrière en chute libre de Mott the Hoople. Lou Reed et
Iggy Pop sont aux abois ? Bowie les produit, généreux et pas fou : il ne perd
jamais le contact avec ceux qui l'ont nourri. Car, si Bowie est un vampire, il
demeure un fabuleux passeur, toujours prompt à citer ses sources. De Jean Genet
(The Jean Genie) à George Orwell (1984 étant à l'origine de Diamond Dogs), il ouvre son jeune public à un
monde infini de culture et de sous-culture.
Cet homme étrange, irréel, au corps si fin, au visage si
fascinant, barré d'un éclair multicolore, devient le sésame vers une vie autre,
plus belle, plus intéressante, plus sensuelle. Son rock dur, glam, concis,
s'autorise un élégant grand écart entre music-hall et jazz. Et Pin Ups,
disque de reprises, rend autant hommage aux encore sous-estimés pionniers
sixties (Kinks, Pretty Things Syd Barrett...) qu'il inscrit Bowie dans leur directe lignée.
Les modes
sont éphémères, Bowie les devance. Jusqu'à épuisement. Physique. Le glam rock
est déjà moribond lorsqu'il boucle Diamond
Dogs, en 1974. Une ultime ode rebelle
(Rebel rebel) achève les années de folles extravagances. Entre
décadence, déchéance et régénérescence, une nouvelle mue commence.
Source Télérama
Source Télérama
(1973. Photo de Brian Duffy pour la pochette intérieure d'Aladdin Sane. © Duffy / Duffy Archive)
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