Dépistage du cancer du sein
Vies sauvées d’un côté, procédures lourdes et
agressives probablement inutiles de l’autre, la bataille sur le dépistage du
cancer par mammographie est un sujet chaud depuis quelques années. Un groupe de
spécialistes britanniques apporte aujourd’hui une pierre importante à
l’édifice en chiffrant bénéfices et risques. En prônant également une
meilleure information des femmes.
L’article de ‘The Lancet’ ne va pas passer
inaperçu, aussi bien chez les tenants que chez les opposants au dépistage. On a
vu, ces dernières années, monter des critiques face aux campagnes de dépistage
à travers les divers pays occidentaux. Ces critiques mettaient en avant le risque
de surdiagnostic, c’est-à-dire de déceler une tumeur qui n’aurait sans doute
jamais fait parler d’elle et lui appliquer, néanmoins, un traitement agressif.
Une définition
différente de celle du ‘faux-positif- qui conduit à conclure à la présence
d’une tumeur maligne alors, que, de fait, il ne s’agit pas de cela.
Les chiffres
concernant ce surdiagnostic varient selon les études On a même avancé des
chiffres allant jusqu’à 76 %.
Les analyses sereines
estiment ce surdiagnostic entre 4 et 12 % environ.
Cela suffit-il pour
remettre en question la politique du dépistage systématique proposé aux femmes
de 50 à 74 ans avec une périodicité biennale ?
Certains le pensent et
réclament la fin de cette politique.
Mais il semble que ni
les pouvoirs publics, ni les femmes n’aient envie de voir disparaitre un
dépistage mis en place dans tous les pays occidentaux et qui permet, à partir
de procédures définies strictement d’utiliser des appareils homologués, qui
impose une double, voire une triple, lecture des clichés et qui est pris en
charge intégralement par l’Assurance-maladie.
Il faut cependant
nuancer un peu les choses. Le taux d’adhésion reste encore en deçà des
espérances, dépassant à peine les 50 % sur le territoire national.
Et le bénéfice
annoncé, c’est-à-dire la réduction de la mortalité liée à ce dépistage, a
longtemps été annoncé comme atteignant 30 % alors que rien ne venait étayer ces
données.
L’étude du Lancet, qui
est un résumé du rapport d’un groupe d’experts britanniques permet de mettre
des chiffres face à certaines interrogations.
Précision importante,
ces experts épidémiologistes, biostatisticiens ou spécialistes du cancer du
sein n’ont jamais publié de travaux sur le dépistage du cancer du sein et sont
donc, a priori, supposés ne défendre aucune chapelle.
- Evaluer bénéfices et surdiagnostic
Pour cela le groupe
s’est intéressé à la situation anglaise : un dépistage qui concerne les femmes
de 50 à 70 ans, dépistées tous les trois ans.
Leur objectif était de
mesurer le seul critère important en termes d’efficacité du dépistage : la
réduction de la mortalité.
Mais il faut aussi
mesurer le ‘prix à payer’ pour atteindre un tel but, c’est-à-dire le
surdiagnostic.
Ils se sont donc
penchés sur onze études dites ‘randomisées’ dans lesquelles on comparait le
destin de femmes ayant participé au programme de dépistage à celui de femmes
n’ayant pas été incluses dans ce type de programme.
Les études anglaises,
suédoises, canadiennes, américaines et écossaise, avaient des méthodologies qui
pouvaient varier de façon importante même si le but et la définition des essais
étaient les mêmes.
Finalement l’étude
écossaise a été écartée de l’analyse pour des raisons de méthodologie.
Les experts voulaient
voir quelle était l’évolution de la mortalité dans la période de 10 à 15 ans
suivant le dépistage, période retenue par les principales grandes études sur ce
sujet.
Il ressort de leur
travail que le risque relatif de mourir d’un cancer du sein était
inférieur de 20 % pour celles qui avaient été dépistées par rapport à celles
qui ne l’avaient pas été.
Pour les habitués des
articles scientifiques cela se traduit dans la méta-analyse par :
RR : 0,80 ( IC95% :0,73-0,89)
Comment estimer le
bénéfice absolu, c’est-à-dire le nombre de vies sauvées par rapport au nombre
de femmes examinées.
C’est un exercice
périlleux et sujet à contestation, reconnait le groupe d’experts.
Ils ont considéré la
période 55-79 ans, partant du principe de l’absence de bénéfice dans les 5
premières années suivant le dépistage et la continuation d’un bénéfice dix ans
après la dernière convocation au dépistage, 70 ans en Grande-Bretagne, je le rappelle.
De leurs savants
calculs il apparait que pour dix mille femmes dépistées, on prévient 43 décès
par cancer du sein,
Qu’en est-il de la
question tout aussi importante du surdiagnostic ?
Bref rappel : on parle
de lésions cancéreuses découvertes à l’occasion du dépistage mais qui ne se
seraient probablement jamais manifestées. La femme décédera de toute autre
cause qu’un cancer du sein.
Pour se faire une
opinion, les experts ont travaillé sur trois études, deux canadiennes et une
suédoise.
Ils estiment ce risque
de surdiagnostic entre 10,7 % et 19 %…
Comment cela se
traduit-il dans l’absolu Pour dix mille femmes invitées à suivre le
programme de dépistage pendant 20 ans, on estime qu’on aura un surdiagnostic
chez 129 d’entre elles.
- Traiter ou ne pas traiter ?
Ce surdiagnostic
entraine évidemment la nécessité de faire des biopsies et de mettre en œuvre un
traitement chirurgical accompagné de radiothérapie et, parfois, une
chimiothérapie. Les effets secondaires et les séquelles de ces diverses
thérapeutiques ne sont pas anodines.
Cela peut paraître
extrêmement agressif si on part du postulat que ces tumeurs n’auraient jamais
fait parler d’elles.
Mais le problème c’est
qu’on ne dispose pas encore d’outils, de techniques d’imagerie, de tests
capables d’indiquer au médecin et à la femme que cette masse cancéreuse vue à
la mammographie n’évoluera pas.
L’attitude à adopter
est donc loin d’être évidente.
Prenons un exemple
très concret et souvent rencontré dans les mammographies de dépistage : le
cancer intracanalaire in situ ou CCIS (DCIS en anglais).
Ce cancer se développe
à l’intérieur des canaux galactophores, ceux qui conduisent le lait au mamelon
‘In situ’, signifie
que les cellules cancéreuses se sont développées aux dépens de la partie
superficielle des canaux et n’ont pas atteint la zone cruciale et dangereuse
appelée membrane basale. Si cette zone est franchie, les cellules cancéreuses
sont au contact des vaisseaux sanguins et peuvent donc disséminer.
La difficulté c’est
que certains de ces cancers in situ peuvent dépasser cette zone fatidique et
devenir infiltrants et on n’a pas de réels moyens de le prévoir.
Des études ont montré
que si on fait un geste simple, en ‘nettoyant’ ces cellules cancéreuses in
situ, le risque de rechute était quand même de 19 %.
Traiter, ne pas
traiter ? En l’état actuel, les outils de décision manquent cruellement.
- Relatif et absolu
Quelles conclusions
tirer de ce travail qui, répétons-le, est une méta-analyse de travaux déjà
publiés ?
En termes de bénéfices
dépister 10 000 femmes permet de prévenir 43 décès par cancer du sein.
En termes de
surdiagnostic : dépister 10 000 femmes conduira à 129 surdiagnostics.
On peut donc dire
qu’on évite un décès au prix de trois surdiagnostics.
Les auteurs estiment
que, ramené à l’échelon individuel, ce risque de surdiagnostic est à peine
supérieur à 1 % (129/10000). Rappelons encore une fois que ces surdiagnostics
ne correspondent pas à des erreurs ou des fautes médicales.
On s’aperçoit, à la
lumière des polémiques actuelles, qu’on manque encore d’évaluations
satisfaisantes, notamment du suivi des femmes ayant participé à ces programmes
de dépistage dans les 10 ans qui suivent leur sortie du programme.
Mais cette étude
britannique montre aussi que le dépistage apporte des bénéfices en termes de
réduction de la mortalité par cancer du sein.
Le défi, maintenant,
c’est e fournir les informations les plus claires possibles aux femmes, avec
des données et non pas des slogans.
Si on se réfère à ce
travail on peut parfaitement dire et écrire ce que représente en
bénéfice et en surdiagnostic un tel dépistage, à la fois en terme de population
et de risque individuel.
Informer en amont, de
façon précise, avec des valeurs relatives et des valeurs absolues, des
pourcentages mais aussi combien cela représente de cas pour 1000 ou 10000
personnes dépistées.
Le dépistage du cancer
du sein par mammographie n’est sûrement pas parfait et il est normal qu’il soit
critiqué et remis en question.
Mais s’il disparait,
que va-t-il se passer ? Il n’y aura plus de contraintes, telles la double
lecture. N’y a-t-il pas un risque de voir se créer une différence d’accès au
dépistage individuel ? Certains radiologues, très minoritaires, certes, mais
ayant de bonnes relations, laissent penser qu’ils sont les seuls à avoir des
équipements performants.
La tentation de voir
des femmes devoir dépenser beaucoup d’argent dans des examens dont rien ne
prouve qu’ils seront vus par au moins deux spécialistes n’est pas réjouissante.
Il semble donc utile
de laisser en place un dispositif qui permet un accès à chacune sans avoir à
engager de dépenses.
Il semble urgent que
le médecin de famille soit impliqué dans ce dépistage, tenu au courant des
dates et des résultats.
Enfin il est
fondamental que les femmes et leur médecin aient des informations solides,
étayées, actualisées sur les bénéfices mais aussi les risques de ces
dépistages, notamment en termes de surdiagnostic.
Loin des slogans, des
imprécations, mais loin aussi des campagnes parfois pas toujours très claires,
elles pourront donc décider d’entrer ou non dans ces programmes de dépistage
systématique.
Et l’arrivée de tests
génomiques, permettant de donner des probabilités d’évolution d’une tumeur,
devrait permettre d’affiner les diagnostics et d’éviter un grand nombre de
traitements inutiles.
Référence de l’étude:
Independent UK Panel on Breast Cancer Screening
The benefits and harms of breast cancer screening:
an independent review
The Lancet. Published online October 30, 2012
dx.doi.org/10.1016/S0140-736 (12)61611-0
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