Versement social unique :
Macron ne tiendra pas sa promesse
Comme
la promesse d’Emmanuel Macron ne sera pas tenue, le « cancer de
l’assistanat », qu’une grande partie des Français déplore, ne sera pas
guéri.
Le programme électoral
2017 d’En Marche, comme celui des Républicains, contenait la promesse d’un
versement social unique :
Emmanuel Macron :
Nous créerons un versement social unique et automatique. […] Toutes les
prestations (APL, RSA, prime d’activité, etc.) seront versées automatiquement
le même jour du mois, un trimestre maximum après la constatation des revenus
(contre jusqu’à 2 ans aujourd’hui). […] Cette mesure permettra aux travailleurs
sociaux de trouver toutes les informations pertinentes pour accompagner les
plus vulnérables. […] Plus de 12 millions de foyers seront concernés, soit près
de la moitié de la population française.
Programme des Républicains pour
les élections législatives :
Nous créerons une allocation sociale unique plafonnée, fusionnant la
majorité des aides sociales (hors handicap et retraite). Plus simple et plus
incitative à la reprise d’un emploi, elle permettra également de lutter contre
la fraude sociale.
Ces deux promesses,
d’apparence identique, étaient en fait différentes :
- Pour Emmanuel Macron, le but était d’éviter que des bénéficiaires renoncent aux allocations auxquelles ils ont droit. Les Républicains voulaient lutter contre la fraude sociale.
- À la différence d’Emmanuel Macron, les Républicains annonçaient un plafonnement des aides. Ce plafond n’avait pas été défini. Récemment, Laurent Wauquiez l’a proposé à 75 % du SMIC. Mais, comme le programme électoral des Républicains, il n’a pas donné la liste des aides concernées. Cette promesse est donc restée imprécise.
- Pour Emmanuel Macron, toutes les prestations sociales étaient remplacées par le versement unique. Pour les Républicains, seule la majorité des aides était concernée.
Promesse non tenue
Cette différence est
considérable. « Toutes les prestations
sociales » désigne la centaine d’aides d’État, mais aussi celles
versées par les Caisses de Sécurité Sociale, les versements de Pôle emploi, des
collectivités locales, les exonérations de taxe d’habitation et d’autres
impôts, les prêts à taux zéro, les réductions des tarifs d’eau, d’électricité,
de transport, de cantine, de crèche, les prestations en nature (livraisons de
repas gratuits, réductions de loyers des HLM, CMUC, etc).
Pour Emmanuel Macron, le
versement unique n’excluait donc, parmi les dépenses de la protection sociale,
que les pensions de retraites, les remboursements de l’assurance maladie et les
dépenses de formation. Sa promesse concernait « plus
de 12 millions de foyers ». D’après la Cour des comptes, le nombre
d’allocataires de prestations sous condition de ressources, qui sont sans doute
la cible de l’allocation unique des Républicains, est de 4,2 millions.
Pour réaliser la
promesse d’Emmanuel Macron, il faudrait :
- connaître toutes les prestations sociales ;
- les unifier, c’est-à-dire attribuer les mêmes droits à tous les bénéficiaires ;
- choisir un guichet unique de versement.
Où en sont ces
différentes étapes ?
Connaître les prestations
Dans de nombreux
rapports, la Cour des comptes demande depuis des années que, pour lutter contre
la fraude sociale, on puisse « croiser les fichiers », c’est-à-dire
permettre à un dispensateur d’aide sociale de connaître les autres aides perçues
par un demandeur.
Les administrations et
le Gouvernement s’opposaient à cette demande, jusqu’au jour où, à la fin
de 2006, un député fît voter un amendement à la loi de financement de la
Sécurité sociale pour 2007. Cet amendement créait un « Répertoire national
commun de la protection sociale » (RNCPS), un fichier dans lequel on
pourrait trouver toutes les aides sociales reçues par un bénéficiaire.
C’est seulement trois
ans plus tard que le décret d’application de cette loi sur le RNCPS était
publié. Un an et demi après, l’arrêté permettant d’appliquer le décret était
finalement pris. L’administration promettait que le RNCPS serait opérationnel à
la fin de 2011. Celui-ci était effectivement mis en place en 2012.
Mais de nombreuses
allocations n’y figuraient pas : allocations-chômage, CMUC, AME,
exonérations fiscales, attribution de HLM, prestations familiales, allocations
sociales des collectivités locales et des caisses de Sécurité sociale, prêt à
taux zéro, réductions de tarifs, aides aux agriculteurs, aux demandeurs
d’asile, aux résidents outre-mer, etc.
Les employés des Centres
communaux d’action sociale, qui sont souvent les premiers interlocuteurs d’un
demandeur d’aide, n’avaient pas le droit d’accès au RNCPS.
Il n’y avait pas
d’inter-connexion entre le RNCPS et les services fiscaux et donc de
connaissance des revenus du demandeur.
Et surtout les montants
des allocations n’y figuraient pas ! Ce qui était évidemment contraire à
l’intention des législateurs. En 2011 le sénateur Jean-Louis Masson posait une
question écrite :
Le décret n° 2009-1577 a précisé que le RNCPS doit fournir, notamment,
l’état de chacun des droits ou prestations. Pour que la nature des droits et
leur état soient connus des agents chargés de les attribuer et pour que ceux-ci
puissent réellement apprécier les conditions d’ouverture de ces droits,
l’esprit de la loi exige que la totalité des montants des droits perçus par les
bénéficiaires ainsi que l’ensemble de leurs revenus, nécessaires pour apprécier
les versements sous condition de ressources, figurent dans le répertoire. En
l’absence de ces renseignements, le répertoire perdrait la plus grande partie
de son intérêt, ne permettrait pas d’apprécier les conditions d’ouverture de
certains droits et ne serait pas utilisé par les agents…
Le ministre du Budget
lui répondait le 25 août 2011 :
Aux termes de la loi, les montants des prestations servies aux
bénéficiaires, de même que leurs ressources, ne peuvent pas figurer dans le
répertoire. C’est un élément important du dossier qui a été présenté à la
Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui s’est alors
félicitée de cette orientation.
Les députés ont réagi.
La majorité de gauche, choquée par le refus de l’administration de respecter la
loi, a voté en 2014 :
au 1er janvier 2016, le
RNCPS contient également le montant des prestations en espèces.
L’administration ne
s’est pas pliée à la loi. Comme l’indique le portail internet de la Sécurité
Sociale :
Le RNCPS contient des informations sur les prestations suivantes
(nature du droit, date d’effet, adresse de versement, à l’exclusion du montant des
prestations)
Un gouvernement qui
voudrait mettre en place la promesse d’un versement social unique devrait donc
commencer par faire appliquer la loi. Le RNCPS fournirait toutes les
prestations sociales, y compris les montants reçus, et les revenus des
demandeurs.
Il devrait être
accessible à tous les employés qui attribuent les aides. Si la CNIL s’opposait
à ces changements – alors qu’elle autorise l’administration des impôts à
connaître tous les revenus des contribuables – la loi devrait exclure le RNCPS
de sa compétence.
Le gouvernement
d’Édouard Philippe n’a pris aucune mesure pour faire respecter la loi.
Unifier les prestations
Unifier les prestations
n’est pas simple. Car chacune a ses conditions d’attribution, différentes de
celles des autres prestations.
Par exemple la
définition des revenus, pour toutes les prestations versées sous condition de
ressources, n’est pas la même. Pour certaines, les revenus comprennent les
allocations logement et les allocations familiales. Pas pour d’autres. La
période pendant laquelle ont été versés les revenus varie suivant les
prestations : pour le RSA, ce sont les revenus des trois derniers mois qui
sont pris en compte ; pour la prime d’activité, c’est le revenu fiscal de
l’année précédente ; pour la CMU ce sont ceux des douze derniers
mois ; pour les aides au logement, ce sont les revenus d’il y a deux ans.
Pour les aides au
logement, aucun barème de calcul n’est disponible. Le site internet des Caisses
d’allocations familiales en prévient les demandeurs : « les critères étant nombreux, il est impossible
de donner ici les montants des aides au logement ».
Les dossiers de demande
sont tous différents. Par exemple, pour demander l’aide de pédicure à domicile
(une des quelques 80 aides de la ville de Paris) le dossier comprend 11 pièces
justificatives !
Imposer à toutes les
administrations des définitions et des conditions d’attribution communes
demanderait une volonté politique que le gouvernement n’a pas manifesté jusqu’à
présent.
Cette tâche sera
d’autant plus difficile qu’un grand nombre d’aides sont décidées par les
collectivités locales dans des conditions opaques, et souvent à la tête du
client. Si le personnel des communes et des départements qui attribue ces aides
connaissait les autres aides reçues par un demandeur, avait la responsabilité
intégrale de toutes les aides, et pouvait contrôler sérieusement l’utilisation
de ces aides, ses décisions d’attribution seraient sans doute bien adaptées aux
besoins du demandeur.
Actuellement ces
conditions ne sont pas remplies. Sous le prétexte d’éviter le flicage des
pauvres, les syndicats incitent même le personnel qui distribue les aides à ne
pas lutter contre la fraude.
L’uniformisation des
aides, conforme au désir d’égalité d’une majorité de Français et nécessaire à
l’automaticité promise par Emmanuel Macron, devrait donc être la règle.
Mais la « libre
administration des collectivités locales » est inscrite dans la
Constitution. Emmanuel Macron n’arrivera pas à faire renoncer les élus locaux à
leurs pouvoirs d’attribution d’aides sociales. Ce n’est d’ailleurs pas prévu
dans son projet de réforme constitutionnelle.
Un guichet unique
Les guichets de
distribution des aides sont multiples. Les caisses d’allocations familiales en
distribuent une bonne partie. Mais d’autres aides sont versées par Pôle emploi,
les services des impôts (crédits d’impôts, prime d’activité, exonérations fiscales),
les collectivités locales (en particulier les Centres communaux d’action
sociale), les caisses de Sécurité sociale (pour leurs « œuvres
sociales »), l’assurance-maladie (CMUC, AME), etc. Certaines sont versées
directement au demandeur, d’autres sont versées au bailleur, à la crèche, au
foyer, à l’assistante maternelle, etc.
Le versement unique
devrait être effectué par un guichet unique. Le plus fiable, le mieux organisé
et celui qui connaît le mieux les ressources des demandeurs est le service des
impôts. Il a prouvé qu’il savait maîtriser la numérisation et le portage sur
Internet de ses activités. Lui confier la totalité des versements d’aides
améliorerait l’efficacité de la distribution des aides. Ce serait conforme au
versement « automatique » promis par Emmanuel Macron.
Rien n’indique que le
gouvernement d’Édouard Philippe soit prêt à organiser ce changement.
Conclusion
La Belgique a réussi à
unifier ses systèmes d’aide. Au Royaume-Uni, le crédit universel (unique)
remplace les multiples aides. Il concerne actuellement plus de huit millions de
foyers. Avec l’aide notamment d’une entreprise française spécialisée dans l’analyse
des empreintes digitales, l’Inde a réussi à mettre en place un versement unique
– accessible par téléphone – pour 90 % de sa population, dont pourtant
une bonne partie est illettrée.
En France, la promesse
d’Emmanuel Macron d’un versement social unique remplaçant toutes les aides
sociales existantes ne sera pas tenue.
C’est regrettable. Le
système français d’aides sociales est si compliqué que personne, y compris les
fonctionnaires qui le dispensent, ne peut s’y retrouver, que son contrôle est
très difficile, que la fraude en est encouragée, que c’est le plus coûteux de
la planète, et qu’ainsi il affecte la compétitivité des entreprises françaises
et augmente le chômage.
La mise en place de la
promesse d’Emmanuel Macron simplifierait la vie des demandeurs, réduirait les
charges sur les entreprises et donc le chômage, permettrait de mieux contrôler
la fraude et réduirait l’« évasion sociale », c’est-à-dire la distribution
d’aides de façon légale à des demandeurs qui ne devraient pas en recevoir.
L’imam salafiste
Bouziane recevait légalement sans travailler, grâce à ses deux femmes et seize
enfants, plus de 9 000 € par mois d’aides non imposables. Les quelques
20 000 ménages polygames français sont dans des cas semblables. La
centralisation du versement des aides permettrait de mieux connaître ce genre
de cas aberrants, et sans doute d’y remédier.
Les versements
d’allocations familiales pour des enfants résidant à l’étranger, les
« kits Assedic » de faux licenciements, les allocations versées à des
clandestins, seraient plus faciles à contrôler.
Comme dans les pays
d’Europe du Nord, la connaissance précise des aides permettrait de les rendre
imposables et donc plus justes. Le montant des aides sociales attribuées à un
bénéficiaire pourrait être déduit de ses versements d’impôts, ce qui simplifierait
les mouvements de fonds. Le déficit et la dette de notre protection sociale
seraient réduits. L’égalité entre Français serait renforcée.
Comme la promesse
d’Emmanuel Macron ne sera pas tenue, le « cancer de l’assistanat »,
qu’une grande partie des Français déplore, ne sera pas guéri.
Source contrepoints.org
Par Alain Mathieu.
Alain Mathieu est un militant
libéral français ancien président de Contribuables Associés
(2005-2013). Contribuables Associés est la première association non
subventionnée de France avec plus de 350 000 membres.
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