Radio France : ce que
signifie la révocation de Mathieu Gallet
Les difficultés auxquelles se
confronte aujourd’hui l’ancien du cabinet de Frédéric Mitterrand, révoqué par
le csa de sa mission à la tête de Radio France, illustrent l’aversion de notre
époque pour les Rastignac.
Mathieu
Gallet n’est ni un prolétaire, ni un grand bourgeois. Il est issu des classes
moyennes de province, celles qui expriment de plus en plus souvent leur malaise
et leur désaffection pour un régime qui leur tourne le dos. Vu à travers ce
prisme, l’affaire Gallet permet une superbe décomposition spectrale de la
réaction nobiliaire qui asphyxie la France depuis quelques décennies.
MATHIEU GALLET, CE JEUNE AMBITIEUX VENU DE PROVINCE
Mathieu
Gallet n’a pas fait de grande école. Il a fait Sciences-Po Bordeaux, puis un
DEA à l’université de Paris-I. Il est à l’image de ces centaines de milliers de
jeunes Français qui ne brillent pas, pour des raisons diverses, par un parcours
« aristocratique » à la française, fait de Polytechnique, d’ENA ou de
HEC mais qui estiment ne pas démériter pour autant.
Il n’a
pas trente ans, et il est déjà condamné, comme il se doit dans ce pays, à des
emplois moyens, ni prolétaires, ni dirigeants. Mais… Gallet a de l’ambition et
il veut réussir.
S’engage
alors ce que la France adore à certaines époques, et déteste à d’autres (comme
aujourd’hui) : une course à la Rastignac qui va se terminer en drame.
LE CIRAGE DE POMPE EN CABINET
Gallet
aime les paillettes. Il se tourne très tôt vers la culture et le pouvoir. Ses
pourfendeurs soutiennent qu’il utilise à cette fin des réseaux minoritaires, et
attribuent à ce jeu de coulisses sa nomination par Frédéric Mitterrand comme
directeur adjoint de cabinet au ministère de la Culture.
Quand
bien même ces allégations seraient vraies, faut-il s’en offusquer ? En quoi ces
réseaux sont-ils plus choquants que les écuries du Conseil d’État où, avant
chaque nomination d’une équipe gouvernementale, des conciliabules se tiennent à
la bibliothèque du Palais-Royal pour déterminer qui ira où ?
Car le
grand public ne le sait pas assez, mais la France est un pays de pouvoir
distribué : on n’entre pas dans un cabinet ministériel, on n’accède pas à un
poste exposé si la machine, la technostructure, ne l’a pas décidé pour vous. Ce
ne sont pas, ou pas seulement, les compétences qui priment, mais l’allégeance à
un système narcissique où n’a de chance de réussir que celui qui ressemble et
qui cultive la ressemblance avec ceux qui sont au pouvoir.
C’est
ainsi que la République, à petits feux, se meurt, à force de consanguinité et
de collusion.
LA RÉACTION NOBILIAIRE FRAPPE
Depuis
30 ans, le pouvoir en France ne cesse de se resserrer sur un noyau de plus en
plus restreint de gens qui se ressemblent et qui ont la conviction d’être la
quintessence des sauveurs dont le pays a besoin. Malgré les réseaux qui le
soutiennent, Gallet ne tarde pas à en prendre conscience. Il sait que l’INA
dont il a pris la présidence est pour lui une sorte d’impasse (le fameux
syndrome du « trop haut trop tôt »).
Avec son
manque de diplômes ronflants, son origine sociale ordinaire et son manque
d’entregent parmi les vrais réseaux qui tiennent la machine, il devra en
rabattre. Il a beau dégager des résultats positifs à l’INA et montrer ses
talents de dirigeant d’entreprise publique, il comprend que ce qui paie n’est
pas la compétence, mais l’esprit de cour.
Alors
Gallet se donne les moyens de réussir et de franchir l’obstacle suivant. En
dehors des règles, il passe des marchés de « stratégie »,
c’est-à-dire de lobbying personnel.
Tel est
le prix à payer pour les Rastignac modernes, qui se heurtent à la réaction
nobiliaire. Le système leur ferme les portes, alors ils reviennent pas la
fenêtre ou par le soupirail.
COMMENT RÉUSSIR QUAND ON A TRÈS PEU DE CHANCES D’Y
ARRIVER
Dans la
liste des contrats passés au crible par la justice, on en retrouve des bien
connus qui fonctionnent sur un mode simple : tu donnes 10.000 euros par mois à
un gars pendant un an, et tu as un accès illimité à son carnet d’adresses. Il
te présente toutes les personnes utiles qu’il connaît et à auxquelles il a
l’habitude de cirer les pompes.
Ce genre
d’affaires est particulièrement juteux quand ce consultant en courtisanerie est
membre du Siècle et te présente tous les grands décideurs susceptibles de faire
ta carrière. Après, c’est à toi de faire ta vente et de convaincre, après force
révérences, d’être pistonné pour le job de tes rêves.
Ainsi
fonctionne l’élite parisienne. Elle n’a pas beaucoup changé depuis les années
1780, telles que l’excellent film de Patrice Leconte, Ridicule, l’a décrite. Gallet le comprend et
tente sa chance avec intelligence, au fond : il décroche ainsi la présidence de
Radio-France.
LA RÉACTION NOBILIAIRE FAIT SON OEUVRE
Qu’un outsider décroche si jeune un emploi d’insider ne pouvait que heurter la
noblesse parisienne. Cette réussite était d’autant plus insupportable que les
résultats de Gallet sont inattaquables, et qu’ils privent les porte-voix de la
réaction nobiliaire de leur argument favori : le système doit rester entre nos
mains car nous sommes seuls compétents pour le gérer.
Disons
même que Gallet constitue une menace pour l’entre-soi parisien. Il parvient à
démontrer que des réformes peuvent survenir, qui fonctionnent même si elles
bousculent les certitudes acquises et les préjugés bien-pensants. Ce genre
d’extravagance ne peut durablement rester impunie.
Alors,
l’attaque ne s’est pas faite attendre. Les fameux contrats hors marché sont
tombés sur le tapis. Et de Rastignac, on est passé à Julien Sorel.
Certaines mauvaises langues ont établi un lien entre la
chute de la présidente de l’INA qui avait succédé à Gallet et la remontée
à la surface des marchés irréguliers du président de Radio-France. Ce lien est
à prouver, mais il est plausible que la technostructure, qui déteste ceux qui lui prennent des postes sans
respecter les règles de concours aristocratique qu’elle a imposées, ait adoré
voir Gallet tomber.
Source contrepoints.org
Par Éric Verhaeghe.
Éric Verhaeghe est président de Tripalio. Ancien élève
de l'ENA, il est diplômé en philosophie et en histoire. Écrivain, il est
l'auteur de "Faut-il quitter la France ?" (Jacob-Duvernet, avril
2012). Il anime le site "Jusqu'ici tout va bien" http://www.eric-verhaeghe.fr/
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