Entretien avec André Brahic
Propos recueillis par Frédéric Lewino.
Il est la star française de l'astronomie.
Découvreur des anneaux de Neptune, astrophysicien au CEA, professeur à
Paris-VII, conférencier de génie, André Brahic, 70 ans, a l'énergie et
l'enthousiasme du Soleil. Si on l'écoutait, la science résoudrait certains
problèmes de société : violence, crises écologique et financière.
- Avons-nous encore besoin de science dans un monde en proie aux crises financières, politiques et écologiques ?
- Comment faire ?
André Brahic : Si j'étais président, je commencerais par placer des
scientifiques de grande envergure auprès de chaque ministre. Aux États-Unis, le président est entouré de plusieurs grands
scientifiques qu'il consulte régulièrement. En 1990, Michel Rocard avait créé un Comité de scientifiques français et
étrangers avec de nombreux Prix Nobel pour juger de la politique de recherche
du gouvernement. Il en est sorti des recommandations excellentes.
Malheureusement, l'expérience n'a duré que quatre ans. Quel dommage ! Je
créerais également un ministère de l'Avenir chargé de la vision à long terme,
les échelles de temps de la science étant bien plus longues que celles de la
vie politique. Ensuite, j'interdirais à tout chercheur de remplir des dossiers
administratifs. La recherche française cumule la lourdeur bureaucratique du
système soviétique avec la politique à court terme du système américain. Trop
de chercheurs, noyés par la bureaucratie, passent plus de temps à produire du
papier qu'à faire de la science. C'est absurde ! Cette dérive est
malheureusement mondiale. Il faut remplir trop de dossiers pour décrocher le
moindre crédit. Les joueurs de football ou de handball qui sont devenus
champions du monde ont fait l'objet d'une sélection et se sont entraînés au
lieu de remplir des dossiers d'excellence en précisant le salaire de
l'entraîneur ou le prix hors TVA du gazon du stade !
- Mais alors, quels critères choisir pour accorder les postes et les crédits de recherche ?
André Brahic : J'ai connu trois systèmes : le
mandarinat, l'assemblée générale et le comité. Tous les trois ont trop de
défauts. Pour les recrutements ou les crédits, je privilégierais la compétence
et je ferais confiance à une personne triée sur le volet, mais pour une durée
limitée. Ce "décideur" serait entouré d'un petit comité consultatif.
On éviterait l'irresponsabilité des membres de conseils pléthoriques. Quand on
détient le pouvoir de décision, on se sent responsable ! Avec un mandat de
courte durée, on se préserverait du mandarinat et du clientélisme.
- Notre enseignement est-il adapté à la formation de cette culture scientifique que vous appelez de vos vœux ?
André Brahic : Non ! Je lance un appel au monde
de l'éducation : nous devons faire aimer la science aux élèves, leur apprendre
à penser et stimuler leur esprit critique pour les mettre à l'abri de
l'intolérance et de l'obscurantisme. La culture scientifique a une place trop
réduite à tous les niveaux de l'enseignement. Il faut insister sur les notions
fondamentales et bannir l'apprentissage de techniques inutiles. Il est
important de créer de nouveaux postes d'enseignants, mais le vrai problème est
de trouver un nombre suffisant de bons candidats. Un enseignant mal formé peut
se révéler plus nuisible qu'utile.
- Faut-il réformer l'université et les grandes écoles ?
André Brahic : Bien entendu ! Les grandes
écoles devraient être plus proches du monde de la recherche. Quant aux
universités, la priorité est d'instaurer une sélection à l'entrée. De nos
jours, c'est une sélection par l'échec qui est en place et engendre des armées
d'aigris. Il serait préférable d'agir dès le début afin que chacun trouve sa
place. La sélection à l'entrée des grandes écoles récompense surtout les
qualités de mémoire, de rapidité et de résistance au stress, mais ceux qui en
sortent n'ont jamais fait de recherche. Or la recherche réclame du temps, du
calme et de grandes capacités de réflexion. Les premières mesures devraient
permettre de rapprocher universités et grandes écoles, d'assurer une sélection
juste et appropriée et de réunir futurs chercheurs, chefs d'entreprise ou
hommes politiques dans les mêmes formations.
- La sélection ! Vous auriez immédiatement tous les étudiants dans la rue...
André Brahic : Non ! Si on explique de quoi il
s'agit. Parlons plutôt d'orientation. Il n'est pas question d'éliminer
quiconque du monde du savoir. Au contraire, il est important que chacun trouve
une place où s'épanouir. Chanteurs d'opéra de renommée mondiale et chorales
locales ne fréquentent pas les mêmes salles, mais chacun peut progresser.
D'autres forteresses pourraient être bousculées. Par exemple, les classes
préparatoires aux concours devraient être placées au sein des universités avec
des enseignants actifs en recherche. Il ne faut pas faire preuve de brutalité,
mais expliquer et faire des réformes en pente douce, comme le disait si bien
Victor Hugo.
- Le monde traverse aujourd'hui une crise financière majeure ; que peut faire la science ?
André Brahic : Elle est le meilleur moyen de
lutter contre le chômage en étant à la pointe de l'innovation et contre la
violence qui est, comme chacun sait, fille de l'inculture. La crise financière
n'est qu'une conséquence de l'oubli des principes de base de la physique. Les
financiers ont créé un monde virtuel qui éclate quand il est rattrapé par la
réalité. Les principes de conservation sont absolus. On ne peut pas créer de la
richesse à partir du néant. Avoir supplanté le monde des ingénieurs par celui
des managers et le monde des chercheurs par celui des bureaucrates nous a menés
à une impasse. Redonnons la priorité aux vrais créateurs de richesse !
- Certains opposent science et écologie.
André Brahic : J'admire et je soutiens ceux qui
combattent les folies humaines : pollutions, gâchis des ressources,
déforestations, extermination des espèces animales, poisons industriels... Mais
je m'inquiète du côté obscurantiste de certains qui, confondant science et
technologie, voudraient revenir à la préhistoire. Ils oublient que la science
n'est ni bonne ni mauvaise. Seules comptent les utilisations par les hommes. Un
marteau peut tuer quelqu'un, il peut aussi servir à construire une maison. Si
vous remplacez le mot "nucléaire" par le mot "eau" dans
certains discours, vous en concluez que l'eau est très dangereuse, car on peut
se noyer ou périr dans un tsunami, et qu'il faudrait éradiquer l'eau de la
surface de la Terre. Pour l'eau comme pour la radioactivité, le danger est dans
l'excès et non dans l'objet. Grâce à la radioactivité, la vie est apparue sur
Terre et nous pouvons être soignés. Ne confondons pas le problème fondamental
de la sûreté des centrales nucléaires avec le rejet de la science ! Nombre de
mes ancêtres, mineurs de fond, sont morts à 50 ans de la silicose. Le charbon a
déjà tué des millions d'humains. Toute production d'énergie est polluante. Nous
avons besoin d'une bonne culture scientifique pour prendre les bonnes décisions.
- Si vous aviez une recommandation à donner...
André Brahic : Soyons enthousiastes ! Nous
n'avons jamais vécu aussi vieux et nous n'avons jamais été aussi bien soignés,
transmettons l'amour de la science ! L'idée de progrès est toujours vivante !
L'Europe restera loin du déclin tant qu'elle aimera la science.
Repères
1942 Naissance à Paris.
1976 Premier modèle dynamique des anneaux de
Saturne.
1978 Professeur à la Paris-VII.
1981 Membre de l'équipe d'imagerie de la sonde
" Voyager ".
1984 Découverte des anneaux de Neptune.
1990 Donne son nom à l'astéroïde 3488.
1991 Membre de l'équipe d'imagerie de la sonde
" Cassini ".
1997 Fonde un laboratoire au CEA.
2000 Prix Carl-Sagan.
2006 Prix Jean-Perrin.
Propos recueillis par Frédéric Lewino (Le Point)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire