Primaires : les cartes rebattues par Macron ?
Emmanuel Macron cherche-t-il à
réussir là où François Bayrou a échoué en 2007 ou bien ne travaille-t-il pas
d’abord à redéfinir le clivage gauche/droite… pour le bénéfice de François
Hollande ?
La
France s’illustre par sa culture du conflit : monarchistes/républicains,
laïcs/catholiques, dreyfusards/antidreyfusards, autant d’oppositions qui ont
scandé son histoire politique depuis 1789 et qui, à chaque fois, ont redessiné
le clivage gauche/droite structurant les champs politique, idéologique et
culturel français. Rares ont été les personnalités capables, dans des
circonstances tragiques, de le dépasser : les Napoléon, Clemenceau, de
Gaulle.
Plus récemment, le système bipolaire de
la Cinquième République a de surcroît rendu l’entreprise difficile. Dès lors, Emmanuel Macron cherche-t-il à réussir là où François
Bayrou a échoué en 2007 ou bien ne
travaille-t-il pas d’abord à redéfinir le clivage gauche/droite… pour le
bénéfice de François Hollande ?
La justesse du diagnostic
Emmanuel
Macron pose un diagnostic juste sur la situation du pays : prisonnière de ses conservatismes, la société
française peine, sans doute plus que ses voisines, à s’adapter au monde
nouveau, à la révolution numérique, au changement démographique. L’État,
dirigé par des élites peu représentatives du pays réel, tarde à se réformer.
Dans le fond, la France doit se moderniser et Emmanuel Macron considère que les
remèdes à appliquer ne sont ni de droite ni de gauche. Ainsi, reculer l’âge de
la retraite ce n’est plus trahir les travailleurs, c’est sauver le système par
répartition, fleuron du modèle social français. Un certain discours de gauche a
vécu.
À défaut d’être entièrement nouveau, le propos est
pertinent, confirmé du reste par la crise politique française illustrée par la
montée de l’abstention et la force d’un Front national devenu le « premier parti de France ». Une partie importante de l’électorat partage la
même conviction : droite et gauche, finalement, passé le temps des
campagnes électorales, la politique menée est la même et, se fourvoyant dans
des querelles idéologiques d’un autre âge, ne résout pas les problèmes concrets
rencontrés par les Français : désertification médicale, faillite
de l’école, coût du logement– liste non exhaustive -. On attend du reste les propositions
concrètes d’Emmanuel Macron sur ces questions.
Car la politique, Michel Rocard le disait dans son discours d’investiture en
1988, c’est également se préoccuper « des réparations des cages d’escalier ».
Le pari risqué de la rupture
À ce diagnostic, Emmanuel Macron en ajoute un autre tout
aussi pertinent : une certaine manière de faire de la politique est
dépassée et les partis traditionnels sont incapables de s’adapter à la nouvelle
donne. D’où la création du mouvement
« auquel a plaisamment répondu le PS
avec la «Belle
Alliance Populaire ». Pour autant
Emmanuel Macron prendra-t-il le risque de faire sans le Parti socialiste dont
il n’est pas membre et de se servir de l’élection présidentielle au suffrage
universel pour être plébiscité par les électeurs en proclamant dépassé le clivage
gauche/droite – une démarche qui, soit dit en passant, relève davantage de la
culture bonapartiste que de la culture de gauche traditionnelle – ?
Plusieurs
facteurs l’incitent sans doute à la prudence. D’abord aucun candidat à l’élection présidentielle n’a jamais gagné sans
le soutien d’un parti et encore moins contre son parti ; les
précédents Rocard et Balladur sont là pour le rappeler. Ensuite, Emmanuel
Macron met surtout « en marche »
les CSP+. Sa base sociologique, celle de Bayrou en 2007, semble trop étroite
pour l’emporter. L’enthousiasme de certains grands médias masque mal
l’indifférence sinon le rejet de la France du non, celle qui ne
« travaille pas assez » pour s’offrir un costume à 1200 euros, envers
l’enfant gâté du système. Bernard Frank l’écrivait déjà dans les années 1960 à
propos de Pierre Mendès-France : « ce
que vous ne comprendrez jamais, je le crains, c’est que les lecteurs du Monde,
de l’Express et de l’Observateur, qui d’ailleurs ne s’additionnent pas, ça ne
pèse pas lourd dans une élection présidentielle ». Enfin, le
positionnement idéologique d’Emmanuel Macron l’empêche, pour l’instant, de
rassembler la gauche dans un scrutin bipolaire : celle-ci n’a pas encore
achevé sa mue.
Redéfinir le clivage
gauche/droite et brouiller les primaires
La
question des ambitions du ministre de l’Économie agite cependant le microcosme
politique tant ce dernier semble déterminé. Pourtant rien n’indique de sa part
une quelconque volonté de rupture. Le plus vraisemblable est qu’il cherche à
pousser ses pions le plus loin possible – on ne sait jamais… – sans avoir en
réalité l’intention de franchir le Rubicon. Du
coup, il provoque l’ire de Manuel Valls et suscite l’intérêt du président de la
République qui peut tout à fait l’intégrer dans sa stratégie de candidat.
Car le corpus idéologique d’Emmanuel Macron se confondant pour partie avec
celui de la droite – dans son versant libéral – pourrait bien, paradoxalement,
rendre service à Nicolas Sarkozy et à François Hollande.
Avec
Emmanuel, le « renouveau ce n’est plus
Bruno ». Quant à Alain Juppé, le voilà confirmé dans sa position de
candidat centriste ; rien ne s’oppose dans le fond à le voir gouverner avec
Macron. Nicolas Sarkozy, représentant d’une droite autoritaire et identitaire
retrouve du coup davantage d’espace pour les primaires. Une bonne nouvelle pour François Hollande qui rêve
d’affronter à nouveau son adversaire de 2012. Mais Emmanuel Macron, en
incarnant un social libéralisme assumé et en se rattachant à la grande famille
de la gauche est également un allié précieux qui permet au futur candidat
socialiste d’élargir sa base électorale vers le centre droit. Hollande
serait ainsi le défenseur des libertés et du pacte républicain face à un
Sarkozy prisonnier du FN. Au passage,
Emmanuel Macron contribuerait à faire du libéralisme, dans toutes ses
dimensions, l’élément fondamental d’une nouvelle culture de gauche : un
retour aux sources ? Dans le contexte des attentats qui
frappent la France, il est fort probable que ces questions seront au cœur de la
campagne.
L’indulgence
du président de la République à l’égard du ministre de l’Économie ne s’explique
donc pas par le manque d’autorité du chef de l’État mais par un calcul
politique habile du futur candidat. Espérer disqualifier avec un seul atout
Juppé, Bayrou et Valls, voilà qui n’est sans doute pas pour déplaire à François
Hollande qui n’a de toute façon plus guère d’autres cartes à jouer.
Naturellement, le pari du président de la République
est loin d’être gagné mais la rentrée politique s’annonce sans doute beaucoup
plus incertaine que prévue.
Source contrepoints.org
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire