Trop tard pour la France ? Cécile Philippe
Nous vivons une époque
passionnante, avec une remise en cause profonde de toute une série de croyances
et de certitudes.
Alors que la crise
s’est installée de façon durable, nombre d’économistes avouent leur perplexité
devant une situation qu’ils ont du mal à expliquer et des remèdes qui s’avèrent
inefficaces. Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, constate par exemple
que la macroéconomie est cassée et propose de la rebâtir.
Ce constat vient de ce
que les outils habituellement utilisés pour sortir un pays de la crise ne
fonctionnent plus. Les politiques budgétaires ou monétaires se révèlent, les
unes comme les autres, impuissantes à endiguer le marasme actuel.
La magie des
politiques de relance contra-cycliques ne fait plus recette. Cette méthode,
pratiquée en France dès les années 1880, avant d’être popularisée avec brio au
XXe siècle par les économistes keynésiens, apparaît aujourd’hui impraticable.
En dépit des appels de Paul Krugman, les plans de relance ont été jusqu’à
présent mesurés, et il est peu probable que cela change. Les pouvoirs publics,
confrontés à un endettement massif, ont en effet peu de moyens mobilisables.
De même, nous avons
aussi vécu depuis les années 1970 avec la croyance qu’on pouvait réguler la
quantité de monnaie de façon indépendante et éviter ainsi les crises. Or si les
indicateurs actuels n’attestent pas un retour à l’inflation, l’idée que la politique
monétaire est capable de relancer la croissance est elle aussi battue en
brèche. Pire, le rôle des banques centrales dans la genèse des crises
financières est dans la ligne de mire.
Enfin, l’idée que la
crise financière avait débuté dans un secteur financier mal régulé est elle
aussi mise à mal. Il apparaît de plus en plus clairement à tous que la finance
est, depuis des décennies, un secteur hautement régulé et que cela n’évite nullement
les crises.
Ces débats économiques
n’empêchent pas les pouvoirs publics de remettre au goût du jour des idées
anciennes. De la politique industrielle au patriotisme économique en passant
par la remise en avant de la suprématie de l’État, ces propositions ne fournissent
rien de nouveau et n’ont surtout pas fait leurs preuves dans le passé.
Ce livre vise à
apporter un décodage alternatif et rappelle qu’il n’y a pas lieu de rejeter
l’économie. Tout au contraire, nombre de penseurs de premier plan, trop souvent
méconnus du grand public, à commencer par Friedrich A. Hayek, Prix Nobel 1974,
proposent des explications particulièrement pertinentes du cycle économique.
Celles-ci sont très utiles pour comprendre notre monde chaotique.
Ce livre est aussi le
résultat d’une démarche personnelle. La crise financière et économique de
2007-2008 m’a incitée à concrétiser une promesse que je m’étais faite au
lendemain de ma soutenance de thèse et à me lancer à la découverte de la
monnaie, des bulles, des banques, de l’endettement, etc.
L’objectif était
double. Réussir à expliquer ce qui se passait et – dans la lignée de la mission
de l’Institut économique Molinari – restituer cette compréhension des choses en
langage accessible pour des lecteurs cherchant, eux aussi, à comprendre la résurgence
des crises et souhaitant des réponses à la morosité ambiante.
Ce livre conduit à
s’interroger sur le rôle de l’État dans l’économie, en France notamment où ce
rôle est à la fois plébiscité et omniprésent. En effet, le XXe et le début du
XXIe siècle y révèlent une croissance ininterrompue de la sphère publique. Les Français
ne semblent pas en prendre la mesure, mais c’est bel et bien la réalité dans
laquelle ils vivent depuis les années 1980. C’est dans ces années que le poids
des dépenses publiques dépasse la barre symbolique des 50 %. Or, on constate
que cette augmentation de la taille de l’État correspond à un ralentissement de
la croissance économique et on peut finalement se demander s’il n’y a pas de
bonnes explications à cela (chapitre 1).
De même, la vie
économique est régulièrement troublée par des crises financières. Leur
récurrence donne l’impression qu’elles sont inhérentes au fonctionnement de nos
sociétés, et certains vont même jusqu’à dire que c’est un mal nécessaire dont
il faudrait s’accommoder. À l’opposé de cette vision des choses, on peut se
demander si, au contraire, cela n’est pas aussi le fait d’une intervention de
plus en plus importante des autorités publiques en matière monétaire (chapitre
2). D’ailleurs, la crise des subprimes aux États-Unis offre un cas d’étude
assez intéressant en la matière (chapitre 3).
Pour bien comprendre
ce qui se passe, il est utile de s’interroger sur une institution fondatrice de
nos économies et de notre prospérité : la monnaie. Car il y a bel et bien un
paradoxe à expliquer au sujet de la monnaie, à savoir qu’elle est nécessaire au
développement économique mais qu’elle peut aussi – si elle est créée en excès –
engendrer des crises profondes qui bouleversent nos sociétés (chapitre 4).
La plupart des États
européens ont réagi à la crise financière en augmentant les dépenses. Puis,
suite aux dérapages constatés, ils cherchent à ramener leurs déficits publics
dans les limites autorisées par le traité de Maastricht. Il en a résulté la mise
en place de politiques drastiques d’ajustement, ayant permis de ramener le
déficit moyen de l’UE de 6,9 % du PIB en moyenne, en 2009, à 4 % en 2012.
Cependant, ces
politiques, dites d’« austérité », continuent d’être décriées aussi bien par
des chefs de gouvernement, des ministres des Finances, des dirigeants de
l’Union européenne que par le FMI lui-même. La question mérite de s’y attarder
afin de comprendre de quelle austérité on parle et dans quelles conditions cela
peut déboucher sur une reprise économique durable (chapitre 5).
La question de
l’austérité est en fait intrinsèquement liée à la question de la capacité des
États à engager des réformes structurelles. Aucun gouvernement français n’a
encore osé prendre le projet à bras-le-corps – même si le virage de François
Hollande en 2014 laisse penser que les choses évoluent. Les marges de progrès
sont très importantes.
En effet, la France a
instauré une gestion publique de divers risques comme la santé, la retraite ou
le chômage. Ces domaines, particulièrement importants, souffrent de nombreux
handicaps. Non seulement ils coûtent très chers, mais les impôts et charges ne
suffisent plus à les financer et conduisent les pouvoirs publics à s’endetter
pour servir les prestations promises (chapitres 6 et 7).
Autre caractéristique
du système français : les risques sociaux sont surtout financés par les fruits
du travail sur un marché extrêmement réglementé. En panne depuis plus de 30
ans, ce marché rend le financement de la protection sociale épineux (chapitre
8).
Quand on ajoute à cela
que la France s’est aussi distinguée en introduisant un outil de gestion
publique des risques technologiques sous la forme du principe de précaution, on
comprend bien que la question est en effet de se demander si l’État n’en fait pas
beaucoup trop (chapitre 9) et d’insister sur l’idée qu’il n’est pas trop tard
pour le remettre à sa place.
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