Cessez de dire que la France est morte…
En France, chacun y va de sa prophétie
dévastatrice ou de son livre décliniste, à l'instar d'Eric Zemmour. Attention,
Marine Le Pen attend en embuscade de ramasser les fruits du dénigrement,
prévient ce journaliste britannique.
Si vous
voulez une indication de l'humeur qui règne en France en ce moment, sachez que
le best-seller actuel s'intitule Le Suicide
français. Ce sombre ouvrage du journaliste Eric Zemmour se vend comme
des petits pains depuis quelques semaines. Pendant 530 pages, l'auteur fulmine
contre la destruction du pays par un “vaste projet subversif” imposé par le
féminisme, la mondialisation, l'immigration et la “monstrueuse bureaucratie de
Bruxelles”.
Andy Street, directeur de la chaîne de magasins britannique
John Lewis, s'était attiré les foudres du pays quand il avait déclaré récemment que la France était “finie”. Zemmour a trouvé
des clients prêts à accepter sa conclusion : “La France se meurt. La France est
morte.”
Succès préoccupant
Les ventes
de son livre dépassent celles du dernier ouvrage de Patrick Modiano, fier
vainqueur du prix Nobel de littérature cette année. Le Suicide français devrait atteindre selon certaines
estimations plus de 300 000 exemplaires, soit plus de trois fois plus que les
ouvrages de Modiano avant le prix Nobel. On est encore loin du véritable
phénomène d'édition français de cette année – la gifle dévastatrice infligée à
François Hollande par Valérie Trierweiler, son ancienne compagne et journaliste
à Paris Match. Merci pour ce moment s'est déjà vendu à plus de 500 000
exemplaires et va être traduit pour plusieurs marchés, les Etats-Unis et le
Royaume-Uni entre autres. Sa description impitoyable de la trahison du
président – une compagne française a parlé d'exemple ultime de journalisme
embarqué – a consolidé l'impopularité de celui-ci auprès des Français.
Le succès
du livre de M. Zemmour a de quoi préoccuper M. Hollande, dont les perspectives
de réélection en 2017 semblent pour le moins faibles, mais également de quoi
inquiéter l'establishment français. Certes, il est depuis longtemps habitué aux
ouvrages déclinistes qui déplorent l'état du pays et aux sondages qui
démontrent que même les Irakiens envisagent leur avenir avec plus d'optimisme
que les Français, mais le problème pour toutes les personnalités politiques
républicaines, c'est le parallèle entre la réaction du public au Suicide français et la récente montée du Front
national de Marine Le Pen. L'auteur ne fait pas directement partie du mouvement
FN mais son ouvrage fait écho à une grande partie du discours de Le Pen.
Approbation explicite
Le récit
chronologique commence avec les funérailles de Charles de Gaulle en novembre
1970, qui se déroulent sous une pluie battante – tout un symbole. Ainsi
s'achèvent, écrit Zemmour, cent cinquante ans de dirigeants “glorieux”, à
commencer par Napoléon Bonaparte. Zemmour inscrit les racines du déclin de la
France dans la “révolution” de mai 1968, le soulèvement des étudiants de Paris,
puis égrène une litanie d'événements dans lesquels la France est décrite comme
ayant cédé sa souveraineté et son identité culturelle à l'Europe et aux forces
de l'économie mondiale et du libéralisme social, parmi lesquelles l'immigration
de masse.
Il se
livre également à une apologie bizarre des agissements du régime de Vichy
vis-à-vis des Juifs : s'il les a bien expédiés vers les camps de concentration
nazis, il a cependant sacrifié les Juifs étrangers pour sauver les Juifs
français. Cette proposition a été violemment réfutée par plusieurs historiens
mais a recueilli l'approbation explicite de Jean-Marie Le Pen, fondateur du FN
et père de Marine.
Adversaire de taille
Avec les
récentes victoires électorales du FN et la montée de Marine Le Pen dans les
sondages, le succès du livre de Zemmour souligne les profondes secousses
politiques provoquées par ces dernières années de crise économique. Nicolas
Sarkozy, l'ancien président maintenant en piste pour son retour politique, et
ses concurrents pour la tête de l'UMP se délectent des tourments de M. Hollande
et du gouvernement socialiste. Ils feraient toutefois bien de se montrer
prudents : sans la reprise économique, que M. Hollande s'efforce désespérément
de mettre en œuvre, les deux partis républicains auront en la personne de Mme
Le Pen un adversaire de taille. La présidente du FN a senti leur faiblesse et
veut le pouvoir.
Dessin de Glez, paru dans Le Jeudi, Ouagadougou
Source courrierinternational.com
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