mercredi 22 octobre 2014

Billets-Cessez de dire que la France est morte…


Cessez de dire que la France est morte…

En France, chacun y va de sa prophétie dévastatrice ou de son livre décliniste, à l'instar d'Eric Zemmour. Attention, Marine Le Pen attend en embuscade de ramasser les fruits du dénigrement, prévient ce journaliste britannique.

Si vous voulez une indication de l'humeur qui règne en France en ce moment, sachez que le best-seller actuel s'intitule Le Suicide français. Ce sombre ouvrage du journaliste Eric Zemmour se vend comme des petits pains depuis quelques semaines. Pendant 530 pages, l'auteur fulmine contre la destruction du pays par un “vaste projet subversif” imposé par le féminisme, la mondialisation, l'immigration et la “monstrueuse bureaucratie de Bruxelles”.

Andy Street, directeur de la chaîne de magasins britannique John Lewis, s'était attiré les foudres du pays quand il avait déclaré récemment que la France était “finie”. Zemmour a trouvé des clients prêts à accepter sa conclusion : “La France se meurt. La France est morte.”

Succès préoccupant
Les ventes de son livre dépassent celles du dernier ouvrage de Patrick Modiano, fier vainqueur du prix Nobel de littérature cette année. Le Suicide français devrait atteindre selon certaines estimations plus de 300 000 exemplaires, soit plus de trois fois plus que les ouvrages de Modiano avant le prix Nobel. On est encore loin du véritable phénomène d'édition français de cette année – la gifle dévastatrice infligée à François Hollande par Valérie Trierweiler, son ancienne compagne et journaliste à Paris Match. Merci pour ce moment s'est déjà vendu à plus de 500 000 exemplaires et va être traduit pour plusieurs marchés, les Etats-Unis et le Royaume-Uni entre autres. Sa description impitoyable de la trahison du président – une compagne française a parlé d'exemple ultime de journalisme embarqué – a consolidé l'impopularité de celui-ci auprès des Français.

Le succès du livre de M. Zemmour a de quoi préoccuper M. Hollande, dont les perspectives de réélection en 2017 semblent pour le moins faibles, mais également de quoi inquiéter l'establishment français. Certes, il est depuis longtemps habitué aux ouvrages déclinistes qui déplorent l'état du pays et aux sondages qui démontrent que même les Irakiens envisagent leur avenir avec plus d'optimisme que les Français, mais le problème pour toutes les personnalités politiques républicaines, c'est le parallèle entre la réaction du public au Suicide français et la récente montée du Front national de Marine Le Pen. L'auteur ne fait pas directement partie du mouvement FN mais son ouvrage fait écho à une grande partie du discours de Le Pen.

Approbation explicite
Le récit chronologique commence avec les funérailles de Charles de Gaulle en novembre 1970, qui se déroulent sous une pluie battante – tout un symbole. Ainsi s'achèvent, écrit Zemmour, cent cinquante ans de dirigeants “glorieux”, à commencer par Napoléon Bonaparte. Zemmour inscrit les racines du déclin de la France dans la “révolution” de mai 1968, le soulèvement des étudiants de Paris, puis égrène une litanie d'événements dans lesquels la France est décrite comme ayant cédé sa souveraineté et son identité culturelle à l'Europe et aux forces de l'économie mondiale et du libéralisme social, parmi lesquelles l'immigration de masse.

Il se livre également à une apologie bizarre des agissements du régime de Vichy vis-à-vis des Juifs : s'il les a bien expédiés vers les camps de concentration nazis, il a cependant sacrifié les Juifs étrangers pour sauver les Juifs français. Cette proposition a été violemment réfutée par plusieurs historiens mais a recueilli l'approbation explicite de Jean-Marie Le Pen, fondateur du FN et père de Marine.

Adversaire de taille
Avec les récentes victoires électorales du FN et la montée de Marine Le Pen dans les sondages, le succès du livre de Zemmour souligne les profondes secousses politiques provoquées par ces dernières années de crise économique. Nicolas Sarkozy, l'ancien président maintenant en piste pour son retour politique, et ses concurrents pour la tête de l'UMP se délectent des tourments de M. Hollande et du gouvernement socialiste. Ils feraient toutefois bien de se montrer prudents : sans la reprise économique, que M. Hollande s'efforce désespérément de mettre en œuvre, les deux partis républicains auront en la personne de Mme Le Pen un adversaire de taille. La présidente du FN a senti leur faiblesse et veut le pouvoir.

Dessin de Glez, paru dans Le Jeudi, Ouagadougou
Source courrierinternational.com

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