Déclin français Le dogmatisme
La réduction du discours politique à des
slogans dogmatiques est l’une des causes du déclin français.
Au cœur des
interactions déterminant le devenir d’une civilisation se trouve le politique.
Il interagit nécessairement avec l’économique, le social, le juridique et
l’institutionnel. Quant à l’aspect éthique, il est indissociablement lié au
politique qui porte les valeurs déterminant la vision de l’avenir et les
modalités de l’action. Cinq concepts politico-éthiques constituent la base
intellectuelle du déclin de la France au début du 21e siècle : l’idéologie, le
dogmatisme, le repli sur les acquis, l’hédonisme et la démagogie.
- Pragmatisme et dogmatisme
La récupération
d’analyses théoriques et leur réduction à des dogmes par les partis politiques
a été principalement le fait du socialisme et du communisme, beaucoup moins du
libéralisme. Le socialisme est un dogmatisme, le libéralisme est un
pragmatisme. Le marxisme sera ainsi revisité par Lénine qui le réduira dans ses
écrits à un bréviaire à vocation utilitariste pour militant politique. Il en
fera un véritable dogme. Bien que moins sujet à de telles dérives, le
libéralisme n’en est pas totalement à l’abri. Des adeptes d’une totale
déréglementation ont essayé de théoriser leur position (Ludwig von Mises,
Friedrich Hayek, par exemple). Mais leur influence concrète a été moins
importante que celle du dogmatisme socialiste.
- Le dogmatisme socialiste
Pourquoi le dogmatisme
est-il plutôt du côté du socialisme ? Parce qu’il est nécessaire,
lorsqu’on propose « un autre modèle de société », de disposer d’une
véritable doctrine permettant de justifier un tel saut vers l’inconnu. Les
arguments théoriques doivent se décliner en slogans politiques et en promesses
de lendemains qui chantent pour les électeurs. Là se situe l’explication de
l’influence concrète d’un dogme : il cherche à faire rêver, il promet un
monde meilleur que l’on peut construire assez facilement en utilisant quelques
préceptes simples. Bref, si les « justes » gouvernaient, la société se
rapprocherait vite de l’idéal recherché. Le pragmatisme est intrinsèquement
moins attractif puisqu’il ne propose qu’une adaptation progressive de
l’existant. Il fait difficilement rêver le peuple.
L’influence
idéologique du dogme marxiste perdure jusqu’à la fin du 20e siècle, même dans
les sociétés démocratiques occidentales. Son influence latente prend la forme
de revendications en faveur d’un interventionnisme étatique accru dans le
domaine socio‑économique. L’a priori intellectuel invoqué est que
l’État est plus juste que le marché. En réalité, bien entendu, l’argument
éthique (plus de justice) n’est qu’un prétexte pour conquérir le pouvoir :
il s’agit pour les leaders politiques socialistes ou communistes de prendre le
contrôle de secteurs importants de l’économie, par exemple le secteur bancaire
en France en 1982. Le contrôle des banques est essentiel pour disposer des
sources de financement permettant d’instaurer un « nouveau modèle de
société ». Évidemment, on ne bouleverse pas le monde par décret et on sait
ce qu’il est advenu de ces grands projets irresponsables : retour en
arrière complet au bout de quelques années.
- Le dogmatisme, motivé par la quête du pouvoir, non par le progrès social
Ainsi, le socialisme
a, en pratique, toujours été une manière de s’évader du réel pour proposer des
réformes plus ou moins inadaptées aux nécessités de l’époque. L’argument du
progrès social est-il vraiment convaincant ? Sans doute pas, puisque tout
dépend en définitive de la croissance économique. S’il y a une croissance
forte, la production supplémentaire entraînera nécessairement une augmentation
de la consommation et donc du niveau de vie. Des variantes redistributives
peuvent être constatées entre les États fortement interventionnistes et les
autres (par exemple États-Unis et France ou pays scandinaves). Mais chacun peut
constater que l’essentiel n’est pas là : la croissance génère toujours une
augmentation du niveau de vie de l’ensemble de la population. La politique peut
plus ou moins affiner la répartition, mais elle risque, si l’interventionnisme
est trop appuyé, de dérégler le mécanisme productif.
L’interventionnisme a
plus de rapport avec la lutte pour le pouvoir qu’avec la justice :
octroyer par le droit plus de pouvoir économique aux dirigeants politiques
revient évidemment à priver le marché et les dirigeants d’entreprises privées
de ce même pouvoir. Une telle évolution est souhaitable lorsque le marché à lui
seul maintiendrait des inégalités d’accès à la consommation qu’une société
développée ne peut pas tolérer pour des raisons éthiques : par exemple,
l’accès aux soins de santé. Mais les sociétés occidentales sont allées beaucoup
plus loin dans ce domaine, rigidifiant ainsi leur fonctionnement par la
réglementation et la mise en place de structures coupées des réalités
économiques, au moment précis où la globalisation aurait nécessité une écoute
attentive des évolutions du monde et une réactivité forte. Cette distance par
rapport au réel, créée par la sphère politique, pour des raisons largement
électoralistes, est une des bases intellectuelles du déclin.
- Le dogme keynésien, instrument d’une vision courtermiste
Les travaux de
l’économiste anglais John Maynard Keynes ont également été fortement réduits à
un dogme budgétaire simpliste par les dirigeants politiques. Alors que la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la
monnaie (1936) est une œuvre complexe, on en retient essentiellement une
recette simple : en cas de récession, il convient de mettre en œuvre une
politique contracyclique en augmentant les dépenses publiques financées par
l’endettement (et non pas par des prélèvements obligatoires supplémentaires).
Nul doute qu’une telle politique peut se révéler efficace pour créer une
demande s’il existe un potentiel d’offre disponible du côté des entreprises.
Mais elle a parfois été utilisée à contretemps, générant ainsi des flux
d’importations et déséquilibrant la balance commerciale. Aujourd’hui encore,
alors que les déficits publics sont devenus insoutenables, certains n’hésitent
pas à invoquer le dogme keynésien (pas la pensée de Keynes !) pour
proposer à l’État de s’endetter encore davantage en vue d’une très improbable
relance.
Pour tout économiste
digne de ce nom, seule la politique de l’offre a un sens sur le long terme. Il
s’agit bien évidemment de configurer une offre performante dans un univers
concurrentiel, c’est-à-dire une offre répondant à une demande réelle ou potentielle
solvable. La relance keynésienne consistant à susciter artificiellement de la
demande par l’interventionnisme public ne peut avoir qu’un caractère
conjoncturel. Le débat politique actuel en France relève donc de l’insuffisante
compréhension de cette problématique, mais aussi sans doute de préoccupations
électoralistes de court terme. On invoque une pensée réduite à un dogme parce
qu’on a personnellement intérêt à imposer la mise en œuvre du dogme. Ce
faisant, les structures obsolètes perdurent et le pays décline.
Source contrepoints.org
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