Principe de précaution, outil de décision inutile
Sans responsabilité individuelle et sans concurrence, pas de gestion équilibrée du risque
J’étais invitée jeudi 17 mars à parler de nos grandes peurs dans le cadre de l’émission Ce soir ou jamais de Frédéric Taddéi. Quel dommage que Jean de Kervasdoué n’y ait pas été invité ! Son dernier livre traite très exactement de toutes ces peurs qui présentent le fâcheux défaut de ne pas être toujours étayées. Il aurait ainsi su détruire de nombreux mythes à la mode sur les pesticides, le bio, les OGM, les antennes de téléphone mobile, le bisphénol A, etc., et enterrer avec nous le principe de précaution.
Le livre de Kervasdoué fourmille d’informations passionnantes sur ces sujets qui font monter l’adrénaline sans que cela soit pour autant toujours justifié. Il montre qu’il faut se méfier des statistiques tronquées et garder à l’esprit qu’une corrélation n’est en aucun cas la preuve d’un lien de cause à effet. Il faut disposer d’ordres de grandeur et d’un minimum de repères pour relativiser certaines informations.
Dans le domaine de l’alimentation, du cancer, du bio… les chiffres sont souvent instrumentalisés pour amplifier les dommages des uns ou les bénéfices des autres.
Or, leur analyse sobre et raisonnée indique que l’on trouve des substances cancérigènes (et parmi elles les pesticides) dans des aliments bio comme dans les aliments issus de l’agriculture intensive. La toxicité dans les deux cas pour l’homme dépend de la proportion de ces substances qui se révèle n’être que des traces. Sans nocivité, elles peuvent néanmoins être nécessaires pour la santé, comme le cuivre qui sert notamment à véhiculer le fer dans l’organisme et qui est largement utilisé dans l’agriculture bio pour lutter contre les pestes.
L’auteur rappelle d’ailleurs qu’une étude de l’Afssa (elle n’est d’ailleurs pas la seule) a montré en 2004 que la valeur nutritionnelle des aliments issus de l’agriculture traditionnelle valait celle des aliments bio et que l’usage que fait le bio du cuivre n’est pas non plus sans conséquence pour l’environnement.
Pour ce qui est des OGM, Kervasdoué rappelle ce qu’est le génie génétique et en quoi c’est seulement une méthode perfectionnée de ce que nos ancêtres ont fait de tout temps en croisant des espèces. Sauf qu’il est aujourd’hui possible d’isoler le gène dont on connait les heureuses propriétés sans traîner tous les autres.
Qui n’a pas non plus entendu parler du Bisphénol A maintenant interdit dans les biberons pour enfant ? Reste que là encore l’interdiction ne semble pas fondée sur des bases théoriques sûres et qu’il reste autorisé dans d’autres pays.
Du côté des antennes de téléphone mobile, faut-il s’inquiéter ? Peut être, mais en gardant à l’esprit que la longueur d’onde propagée par ces antennes est 100 à 100 000 fois moins forte que celle des ondes émises par les téléphones que nous collons à notre oreille, qui elles-mêmes sont 100 000 fois moins fortes que la longueur d’onde de la lumière visible. De quoi relativiser !
Quid du Gaucho et du Régent, deux insecticides eux aussi interdits en France car accusés de détruire les ruches de leurs habitants. Là encore, on découvre que les données ne semblent pas étayer le lien entre la mortalité des abeilles et ces produits chimiques, une étude de l’Afssa concluant au contraire que le facteur déterminant est la façon dont l’apiculteur traite ses ruches. Le livre est plein de ces informations qui mettent les choses en perspective et indique que les scandales qui éclatent les uns après les autres ne font qu’obscurcir le débat sur des questions qui peuvent être cruciales comme celui de la grippe A et du système de santé en France.
L’auteur y consacre des pages intéressantes qui l’amènent à se positionner sur le principe de précaution dont il dit clairement qu’il n’est pas un outil de décision utile car son application ne peut être raisonnable. Là encore, les mots sont justes et les réflexions intéressantes. Il nous semble que la réflexion aurait pu aller plus loin dans la mesure où le principe de précaution est avant tout un principe érigé par les pouvoirs publics qui font fi des institutions qui ont émergé au cours des siècles pour gérer au mieux le risque.
En effet, une fois le constat fait qu’il n’y a pas d’action sans risque, faut-il encore chercher à comprendre ce qui permet de limiter au mieux la prise inconsidérée de risques ou à l’inverse la trop grande précaution. L’un comme l’autre présentent des risques et le tout est de balancer l’un et l’autre. Or, un système sans responsabilité individuelle et sans concurrence ne semble pas pouvoir offrir une gestion équilibrée du risque. La critique acerbe de Kervasdoué à l’égard du fiasco de la gestion par l’État de la campagne de vaccination contre la Grippe H1N1 va d’ailleurs dans ce sens.
En fait, il est crucial d’avoir une réflexion approfondie sur la gestion centralisée du risque versus sa gestion par les individus. Dans les deux cas, des erreurs peuvent être commises par ignorance ou par nonchalance mais lorsque des individus assument les risques qu’ils prennent, il y a de grandes chances qu’ils les limitent et qu’ils essaient de s’en protéger tout en sachant qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’innover pour avancer. Quand une bureaucratie est en charge de la prise du risque sans en subir directement les conséquences, le risque est très élevé de les voir se protéger avant tout du scandale et de tout interdire, y compris des innovations certes risquées mais dont les bienfaits sont importants.
Source contrepoints.org
Dessin de René Le Honzec
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