Génération Y : victime ou pleurnicharde ?
La génération Y doit-elle sortir de l’auto-apitoiement pour réussir ?
Coupons tout de suite court au suspense : les deux, je pense. Mais comme le débat sur les Millennials – l’autre nom de la génération Y – refait périodiquement surface et que je ne peux m’empêcher d’y participer, autant coucher sur la toile une petite série de réflexions sur le sujet.
Énervé par l’esprit Millenials
Il y a quelques semaines, j’ai répondu avec une pointe d’énervement à la publication, sur le profil Facebook d’une ancienne étudiante, d’un article du Huffington Post intitulé : « Pourquoi la génération Y est-elle en train de démissionner ? » Un texte par ailleurs parfaitement représentatif de la génération Y : intéressant au départ, mais peu fouillé, peu développé et donc extrêmement frustrant quand on ne se contente pas d’une analyse en surface.
Logique, donc, qu’il plaise à une millennial. Fait plus grave, mais là encore, rien d’étonnant vu la génération à laquelle appartient l’auteur du texte, son analyse est une resucée d’un fort intéressant texte publié par l’auteur américain Brett Easton Ellis sur le blog du magazine Vanity Fair.
Seul élément éventuellement intéressant : le texte semblait vaguement anglé sur le monde du travail. Sa conclusion, en revanche, était une de ces affligeantes affirmations si typiques de la génération Y, que je pourrais paraphraser ainsi : « le monde du travail il est méchant et il n’est pas adapté à ces personnalités merveilleuses, uniques et exceptionnelles que sont les millennials. Alors si ce méchant monde ne s’adapte pas, et bien les gentils millennials le déserteront. »
Réaction épidermique
Après une rapide lecture en diagonale du texte et des commentaires des millennials qui approuvaient avec enthousiasme sur la page de la demoiselle, j’ai donc posté un commentaire passablement énervé :
C’est la cent cinquantième resucée sur le thème « ouin ouin, on est malheureux mais c’est parce que le monde est méchant. » Rien de très neuf, rien de très intéressant, et rien qui n’explique à la génération Y comment se sortir les doigts du cul et arrêter de contempler son nombril. Mais c’est sans doute le vieux con en moi qui s’exprime…
Pas très malin, je l’admets. Ça doit être mon cynisme de « Gen X-er »
Cela dit, la question aura au moins lancé le débat. Et sa réponse donnait elle-même à réfléchir. J’en extrais la partie la plus importante :
Là où je ne suis pas d’accord avec toi, c’est que justement, les jeunes ne se sont jamais autant sorti les doigts du cul. Il n’y a jamais eu autant de startups, d’indépendants, de projets collaboratifs, d’activités complémentaires, de blogs, de nouvelles formations, que maintenant. Et dans tous les secteurs. Dans les postes plus « classiques » aussi, il y a des initiatives, des propositions pour faire évoluer l’entreprise. La motivation et la détermination sont bien présentes, ça m’étonne fortement que tu puisses avoir une vision inverse, toi qui travailles régulièrement avec des stagiaires ou à l’IHECS. Ce qui cloche, et ce que souligne l’article, c’est un décalage entre espérances et réalité. Ce décalage engendre une certaine frustration. C’est un constat, pas une revendication quelconque.
J’ai donc promis à Sarah une réponse circonstanciée, que je vais essayer d’articuler ici. Comme le sujet est vaste, il faudra sans doute plusieurs posts pour l’épuiser.
Je vous propose de commencer par l’essence de la riposte de Sarah : « les millennials se sortent les doigts du cul, c’est juste que la réalité n’est pas à hauteur de leurs espérances ».
Nous élargirons ensuite la réflexion, car, malgré le côté très « frontal » de ma réaction, j’ai une tendresse infinie pour la génération Y, que je trouve émouvante et touchante. Ça me fait au moins un point commun avec Brett Easton Ellis.
Génération « chochotte »
Brett Easton Ellis a surnommé les millennials la generation Wuss (génération « chochotte » dans la langue de Voltaire, si tant est que Voltaire ait jamais employé ce terme).
Je préfère generation whine (to whine = se plaindre), un terme de mon cru qui permet un joli jeu de mots basé sur la prononciation anglo-saxonne de Y. Dans l’article que je citais en introduction, l’auteur américain a magnifiquement défini tout ce qui cloche dans cette génération, et la genèse de ses problèmes :
My huge generalities touch on their over-sensitivity, their insistence that they are right despite the overwhelming proof that suggests they are not, their lack of placing things within context, the overreacting, the passive-aggressive positivity, and, of course, all of this exacerbated by the meds they’ve been fed since childhood by over-protective “helicopter” parents mapping their every move.
These are late-end Baby Boomers and Generation X parents who were now rebelling against their own rebelliousness because of the love they felt that they never got from their selfish narcissistic Boomer parents and who end up smothering their kids, inducing a kind of inadequate preparation in how to deal with the hardships of life and the real way the world works: people won’t like you, that person may not love you back, kids are really cruel, work sucks, it’s hard to be good at something, life is made up of failure and disappointment, you’re not talented, people suffer, people grow old, people die.
And Generation Wuss responds by collapsing into sentimentality and creating victim narratives rather than acknowledging the realities of the world and grappling with them and processing them and then moving on, better prepared to navigate an often hostile or indifferent world that doesn’t care if you exist.
Une entreprise systématique de déstructuration
Ce constat trouve par ailleurs écho dans un petit livre fort amusant publié en 2016 par Mark Manson, et que je suis en train de dévorer : The subtle art of not giving a fuck. Manson y élargit l’idée de Brett Easton Ellis. Pour lui, ce ne sont pas les parents qui sont la cause de toute cela, mais tout un mouvement sociétal piloté, ô surprise, par les grands-parents de la génération Y, les baby-boomers.
Nourris à la philosophie soixante-huitarde et encouragés par le climat économique des Trente Glorieuses, les politiciens issus de cette génération ont produit, explique Manson, une culture particulièrement néfaste qui a abouti à convaincre chacun (et pas juste les millennials, même s’ils sont les plus atteints) qu’ils sont tous exceptionnels, sans exception.
Dans le système éducatif, cette attitude s’est traduite par un abaissement généralisé du niveau d’exigence et un abandon des critères de comparaison entre élèves, seule solution pour convaincre l’ensemble des apprenants, même les moins bien équipés, qu’ils sont aussi capables et exceptionnels que tous les autres.
L’illusion de la célébrité à portée de main
Parallèlement, le consumérisme effréné et le développement parallèle des réseaux sociaux et de la télé-réalité a permis de créer et de répandre l’illusion que la célébrité était à portée de main de chacun, sans grands efforts à fournir.
L’ascension vers la «gloire» de Kim Kardashian et de Nabila, toutes deux particulièrement aptes à la création et à la gestion de leur image, en est un bel exemple. Celle de Youtubeurs célèbres, partis de rien pour finir par gagner – fort bien – leur vie à l’aide de leurs vidéos procède du même concept.
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : j’adore Cyprien, Gui-Home et tous les autres, et j’admire le travail et la persévérance dont ils ont dû faire preuve pour arriver là où ils sont.
Et c’est bien là que le bât blesse, d’ailleurs : les success stories, celles des YouTubeurs comme des startupers les plus à la mode, masquent complètement la réalité, qui est que la plupart ont dû leur célébrité à cette bonne vieille combinaison de travail et de chance qui rappelle la grâce efficace de Saint Augustin (oui, je sais, les références littéraires dépotent un peu, mais en même temps sur mon blog, j’écris ce que je veux).
Pourquoi Michaël Dias a tort
L’analyse de Manson a le mérite à la fois d’expliquer la position peu enviable de la génération Y et de permettre une réfutation intelligente des thèses de Michaël Dias et de mon étudiante.
Non, le monde de l’entreprise ne doit pas s’adapter à la génération Y. Il doit s’adapter, c’est certain, mais avant de réfléchir à la génération Y, il ferait bien de sortir de l’influence des modèles sociétaux 19e siècle dans lesquels il est encore englué quoi qu’on en dise : infantilisation des travailleurs, dictature du présentéisme, accent sur les moyens et non les résultats, déresponsabilisation, noyautage par des syndicats plus préoccupés de leur agenda politique que du bien-être des travailleurs, et cetera, et cetera.
Et non, la solution pour la génération Y n’est pas de « sortir de l’entreprise traditionnelle pour créer des startups ». Aucune de ces deux pistes ne constitue une solution au mal-être actuel de la génération Y, pour une bonne raison : elle ne résout pas le dilemme existentiel des Millennials. Ce dilemme est issu à mon sens des trois composantes suivantes :
- mal éduqués à gérer les revers et les échecs, les Millennials perdent leurs moyens dès que quelque chose leur résiste ;
- convaincus par le système de leur propre exceptionalisme, les Millennials n’ont pas appris à identifier leurs forces et leurs faiblesses, et à se concentrer sur les endroits où ils sont forts ;
- élevés dans une culture qui fait depuis longtemps la part belle aux reprises, aux remakes et au partage de créations existantes sur les réseaux sociaux, les Millennials n’ont pas été éduqués à créer.
Répondre au mal-être de la Génération Y implique donc de trouver une solution à ces trois problèmes. La bonne nouvelle est que c’est loin d’être impossible. Mais cela implique deux choses : que la génération X (la mienne) puisse exprimer des critiques bienveillantes et constructives (et non complaisantes et/ou stériles).
Et que la Generation Y sorte du mutisme causé par l’échec pour écouter ses aînés et utiliser leurs critiques pour avancer. Considérons cet article comme un petit effort dans cette direction.
Alors, Sarah, challenge accepted ?
Source contrepoints.org
Par Frédéric Wauters.
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