Sauvons Hollande !
Le président a beau être très critiqué, la
France comme l'Europe devront bien s'en accommoder et œuvrer à sa réussite,
estime ce journaliste allemand. Car l'échec de François Hollande, ce serait
l'échec de toute l'Europe.
En
Allemagne ce sont les années 1920, en France les années 1930, mais dans les
deux pays ces époques sont considérées de la même façon : annonciatrices
de troubles à venir. La crise économique mondiale avait frappé la France plus
tard que d’autres pays, mais elle n’en avait été que plus brutale. La situation
socio-économique avait été aggravée par une crise politique et morale. Les
réformes s’étaient enlisées, et les gens, écœurés par les “affaires” et les
scandales, s’étaient tournés vers les extrêmes, à gauche comme à droite. Le
peuple avait sombré dans le désespoir.
Aujourd’hui,
nombreux sont les Français qui éprouvent une sensation de déjà-vu. Il est
frappant de constater à quel point les observateurs ont recours ces temps-ci à
des analogies avec les années 1930 pour faire peur à la nation. Une fois de
plus, la crise économique et financière semble aller de pair avec la déchéance
politique et morale. Une fois de plus, beaucoup de gens, écœurés, se détournent
des forces politiques traditionnelles au profit des extrêmes. Et une fois de
plus la France sombre dans un pessimisme infiniment plus dangereux que
l’absence de croissance et le chômage à 10 %. Les derniers scandales en
date, en particulier les mensonges éhontés de l’ancien ministre du Budget
Jérôme Cahuzac, n’ont fait qu’empoisonner un peu plus l’atmosphère. Au
pessimisme s’ajoute désormais la rancœur. Un mélange explosif. C’est maintenant
que l’on aurait besoin du président. Ce serait à lui de montrer la voie aux
Français. Or que fait François Hollande ? Il hoche la tête et attend des
jours meilleurs. C’est ce que beaucoup pensent, tant en France qu’à l’étranger.
Ce n’est pas tout à fait juste, car Hollande, à sa façon prudente et mesurée, a
accompli bien des choses. Son programme cette année comprend la réforme du
marché du travail, du système de retraite et de la politique familiale, autant
de dossiers épineux. Mais il ne parvient pas à donner une orientation
d’ensemble à sa politique. On voit mal quelle France il souhaite vraiment, et
dans quelle Europe. Il faudrait pourtant que les citoyens sachent au nom de
quoi ils doivent accepter de faire des sacrifices.
On
reconnaît les grands politiciens, pour ne pas dire les grands hommes d’Etat, au
“récit” qu’ils brossent de leurs propres agissements, et qui leur donne du
sens. Charles de Gaulle promettait la “grandeur”
aux Français. Helmut Kohl était le “chancelier
de l’unité”. John F. Kennedy s’était mis en scène comme le jeune
rénovateur de l’Amérique. D’autres, quoique de moindre envergure, ont su le
faire également : Nicolas Sarkozy garantissait une “rupture” avec la République poussiéreuse de
Chirac ; Angela Merkel se bat comme une “ménagère
souabe” pour un budget solide au sein de la zone euro. Mais que nous
raconte Hollande ? Rien ? Ce serait encore quelque chose. Certes, le
président est dans une situation difficile. La Constitution et le peuple lui
attribuent un rôle écrasant, conçu autrefois par de Gaulle. Le chef de l’Etat
doit non seulement incarner la nation, mais aussi la guider, la sauver, et lui
servir d’inspiration. Ce qui, de nos jours, est trop demander, car depuis
l’époque du Général la souveraineté nationale s’est recroquevillée. Les
frontières ont disparu, l’économie et les finances se développent à l’échelle
planétaire. La monnaie est battue non à Paris, mais en Europe.
Conséquences : l’homme de l’Elysée ne peut plus que rarement prendre en
main le destin de son peuple, et ne peut donc que décevoir ; Sarkozy aussi
en a fait l’expérience.
A long
terme, la République va devoir envisager de répartir le pouvoir qu’il lui reste
sur diverses épaules, pour qu’un individu ne se retrouve pas à incarner seul de
trop grands espoirs. En revanche, à moyen terme, il va falloir qu’elle s’en
sorte avec ce président-là. Cela vaut également pour l’Allemagne et l’Europe,
lesquelles ont intérêt à ce qu’Hollande réussisse. L’Union européenne et son
euro peuvent encore financer une banqueroute chypriote, voire une Italie
coincée. Mais une France paralysée qui se complairait dans sa morosité finirait
à la longue par la détruire. Par conséquent, un seul mot d’ordre : sauvons
Hollande !Il pourrait être utile de remettre en branle le tandem
franco-allemand. Extérieurement du moins, depuis l’élection d’Hollande, il
donne l’impression d’être figé – au détriment des deux pays. Seule, la France
est trop faible pour diriger l’Europe. Paradoxalement, l’Allemagne, elle, est
trop forte pour prendre seule la tête de l’UE. Une Allemagne dominante entraîne
l’hostilité des autres peuples. La déplorable colère que suscite Berlin en
Grèce et en Italie montre que l’Allemagne doit au plus vite se trouver un
partenaire afin que les responsabilités soient partagées. Et il n’y a que la
France qui soit capable de jouer ce rôle.L’histoire du siècle dernier n’est pas
en train de se répéter. Les Etats d’Europe ne vont pas de nouveau
s’entre-déchirer dans une guerre fratricide. Mais, si l’on ne tient pas compte
de ces signes avant-coureurs, ce sont d’autres catastrophes qui guettent les
Français, les Allemands, et tous les Européens.
Dessin de Haro de Reijger, Pays-Bas
Source Courrier International
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