Fillon, Juppé, Sarkozy : les stratégies pour
gagner
Les deux favoris des sondages, Juppé
et Sarkozy, ont choisi deux stratégies distinctes de conquête du pouvoir. Un
petit aperçu.
Quel que
soit le prochain Président de la République, la droite de gouvernement sera
confrontée à la même réalité : la société ouverte sur le monde et la
concurrence inhérente, les résistances syndicales, la dette abyssale et les
déficits publics, les prélèvements obligatoires plus élevés que jamais,
l’arrivée massive de migrants, les interventions militaires extérieures.
On n’imagine pas facilement qu’entre Juppé, Sarkozy et Fillon, il puisse y avoir des différences
politiques profondes lorsqu’ils se trouveront face à cette réalité. Des
nuances, certes, mais pas davantage. Pourtant, les deux favoris des sondages
ont choisi deux stratégies distinctes de conquête du pouvoir.
Alain Juppé et le rassemblement
Pour
Alain Juppé, l’électorat auquel on s’adresse pour conquérir le pouvoir doit
également représenter la majorité avec laquelle on souhaite gouverner. Il
cherche donc à rassembler ceux qui gouverneront avec lui : Les
Républicains (LR) et les centristes (MODEM, UDI). Les centristes soutenant
Juppé adhèrent à ses propositions mais attendent un accord électoral en vue des
élections législatives. Leur soutien est conditionné par l’octroi, en position
éligible, d’un certain nombre de circonscriptions. En pratique, les candidats
LR devront se désister en faveur des centristes lorsque ceux-ci arriveront en
tête au premier tour.
Juppé Président disposera donc d’une majorité composite mais soutenant
sa politique. Il ne devrait pas y avoir de difficulté majeure au niveau du
Parlement à condition d’accepter les compromis avec le centre, ce qui est
l’essence même de la démocratie.
Nicolas Sarkozy et le clivage
Nicolas Sarkozy dissocie nettement conquête et exercice du pouvoir. Il
cherche d’abord à conquérir un électorat pour accéder à la Présidence.
Mais
l’exercice du pouvoir ne pourra pas correspondre aux aspirations d’une partie
de cet électorat. En effet, il considère que le centre de gravité politique
pour la conquête du pouvoir se situe très à droite de LR. Les journalistes
spécialisés ont pu observer que certains militants UMP soutenant Sarkozy
avaient également la carte du Front National. Comme en 2007, Nicolas Sarkozy pense pouvoir aspirer une partie de l’électorat
frontiste.
Les
discours de campagne reposent alors beaucoup sur les diverses déclinaisons de
la thématique « nous/eux » (Français-étrangers, peuple/élite,
travailleurs/assistés, etc.). Évidemment, l’exercice du pouvoir ne sera pas du
tout en harmonie avec l’électorat frontiste ainsi conquis. Nicolas Sarkozy est
un libéral mâtiné de bonapartisme qui exercera une politique très proche
de celle d’Alain Juppé.
En tout
état de cause, il faudra une alliance avec les centristes pour les législatives
de juin 2017. La majorité parlementaire de Sarkozy ne pourra pas être très
différente de celle de Juppé. Elle ne correspondra pas à sa majorité
présidentielle.
Majorité parlementaire et
majorité présidentielle
C’est le
régime semi-présidentiel français qui induit cette problématique. Jusqu’à 2002,
le Président de la République était élu pour sept ans. Élections législatives
et présidentielles étaient totalement dissociées dans le temps. Il en résultait
que majorité parlementaire et majorité présidentielle ne coïncidaient pas
toujours. Une cohabitation droite-gauche était parfois nécessaire. Cela s’est
produit trois fois. Sous la présidence de Mitterrand, Jacques Chirac fut
Premier ministre de 1986 à 1988, puis Édouard Balladur de 1993 à 1995, du fait
d’une majorité parlementaire de droite. Sous la Présidence de Jacques Chirac,
Lionel Jospin fut nommé Premier ministre en 1997 à la suite d’une dissolution
et de l’arrivée d’une majorité parlementaire de gauche.
Le passage au quinquennat était motivé, en particulier,
par la volonté d’éviter les cohabitations. Les élections législatives
surviennent désormais immédiatement après la Présidentielle. On espère ainsi
que les deux majorités coïncident et c’est bien ce qui s’est produit depuis
2002. Mais il apparaît que les candidats à la Présidence de la République font
parfois campagne sans respecter l’harmonie nécessaire entre les deux majorités.
La volonté de conquérir le pouvoir peut les
porter à élargir l’électorat présidentiel par des promesses ou des discours
assez démagogiques.
Le corps électoral n’est pas un
simple instrument
Depuis
2002, date de la réélection de Jacques Chirac, les citoyens français subissent
donc cette dichotomie larvée entre majorité parlementaire et présidentielle
correspondant aussi à une dissociation nette entre conquête et exercice du
pouvoir. La conquête du mandat de Président de la République obéit à une
stratégie spécifique. L’exercice du pouvoir suppose une majorité parlementaire.
Une fois
le pouvoir conquis, son exercice ne dépend plus de l’électorat qui a désigné le
Président de la République. Cette forme de monarchie républicaine conduisant le
chef de l’exécutif à s’exonérer de sa dette envers ses électeurs suscite un
malaise croissant. Les électeurs ne veulent pas être traités comme un simple
instrument d’accession au pouvoir. Ils entendent qu’on les respecte, même si
les moyens existent, du fait des études d’opinion, pour considérer le corps
électoral comme une simple matière que l’on peut travailler tout à loisir.
Rappelons-nous
que Jacques Chirac avait été élu en 2002 avec plus de 82% des suffrages suite à
la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour. Le gouvernement Raffarin,
constitué en 2002, ne comportait cependant que des ministres UMP. Les Français
ont ressenti cette absence d’ouverture comme une trahison. Le phénomène inverse
se produit en 2007 : Nicolas Sarkozy parvient à capter une partie de
l’électorat du Front National pour l’élection présidentielle.
Mais il nomme quelques ministres issus de la gauche et
présentés comme « prises de guerre » par certains médias. Cette
ouverture à gauche ne correspond absolument pas à l’électorat présidentiel. En
2012, François Hollande fait des promesses tous azimuts, sinon dans son
programme, du moins dans ses discours. Mais il mène une politique
sociale-démocrate, voire sociale-libérale sous certains aspects, qui déçoit profondément une large partie de ses
électeurs.
Que veulent les Français ?
Qu’on
les respecte, tout simplement. Surtout quand on prétend les gouverner. C’est un
devoir, un impératif catégorique. Le programme que l’on propose doit être en
adéquation avec la majorité dont on dispose. La conquête du pouvoir n’est pas
une fin en soi. Elle n’est que le passage obligé pour réaliser ce que l’on
croit juste et nécessaire.
Si Alain
Juppé est élu Président de la République, il le devra à la cohérence de sa
démarche. De même pour François Fillon. Ils gouverneront avec ceux qui les ont
soutenus. Si Nicolas Sarkozy gagne, il le devra à une stratégie politicienne de
captation d’un électorat qui ne figurera pas dans sa majorité parlementaire.
Certains
de ses électeurs se sentiront donc trompés. Mais les citoyens ne sont plus
dupes. De plus en plus nombreux sont ceux qui analysent assez finement les
manœuvres politiciennes car l’information existe désormais. Les Français
exigent de leurs gouvernants un minimum éthique. Qui pourrait le leur
reprocher ?
Source contrepoints.org
Photo Alain Juppé By: The Official CTBTO Photostream –
CC BY 2.0
Par Patrick Aulnas.
Diplômé d’études supérieures de droit public, ancien
professeur agrégé d’économie-gestion, Patrick Aulnas est aujourd'hui blogueur
et essayiste.
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