Les taux négatifs contre les lois de
l’économie
Taux négatifs : quand les banques
centrales marchent sur la tête !
Depuis que l’économie existe, les hommes (et souvent les
économistes) n’ont cessé de vouloir échapper à ses lois. À ce jour ils n’y
avaient pas réussi, malgré le génie de Keynes
! Nous sommes pourtant à la veille d’un grand progrès scientifique : la
préférence pour les taux d’intérêt négatifs. Il y a sans doute quelques
inconditionnels des vieilles lois de l’économie, tel le Français Xavier Rolet
qui dans une interview aux Échos (13 février) a l’audace d’affirmer « notre environnement de taux négatifs
peut inquiéter car il n’est pas sain ». Et
d’incriminer la classe politique qui aurait poussé à cette politique, pourtant
novatrice !
Qui prête son argent ne le retrouve pas
Commençons
par rappeler ce qu’est l’invention géniale quoique paradoxale des taux
d’intérêt négatifs. Habituellement quand quelqu’un prête de l’argent,
l’emprunteur s’engage évidemment à le lui restituer, assez souvent grossi d’un
intérêt convenu entre les deux parties.
Un taux
d’intérêt négatif est le système inverse : l’emprunteur déduira de ce qu’il
doit une somme calculée suivant un taux convenu entre les deux parties. Plus il
emprunte, moins il remboursera.
Quel est
donc le mystérieux contrat passé entre les parties ? Est-ce une générosité
humanitaire, le riche créancier voulant secourir le pauvre débiteur ? C’est
possible, mais exceptionnel, vous en conviendrez. Surtout lorsque le prêteur
fait commerce de la banque.
Est-ce
une obligation morale, l’argent étant chose commune à toute l’humanité ?
Certains théologiens le soutiennent encore aujourd’hui en se référant à
quelques pères de l’Église, comme Saint Jérôme. Lectures sans doute hâtives et
définitivement réglées par la théorie de l’intérêt de Saint Thomas d’Aquin.
En
réalité, il s’agit d’une obligation politique, imposée par les banques
centrales, elles-mêmes sous la pression des gouvernements. La raison invoquée
est bien simple : la pratique financière doit être soumise aux impératifs
macro-économiques, intelligemment fixés par les gouvernants. Comme les banques
ont accumulé trop d’actifs et n’ont pas accordé assez de crédit alors qu’elles
le pouvaient, elles seront pénalisées et se décideront à financer entreprises
et ménages pour permettre la reprise de la croissance économique. C’est
l’évidence même.
L’arroseur arrosé
Mais quelle serait cette aisance monétaire dont
jouiraient banquiers et financiers actuellement ? Elle a été instituée depuis
des années par les banques centrales elles-mêmes. Partie de la Fed aux
États-Unis, la mode du Quantitative Easing
(politique d’émission monétaire « accommodante ») a séduit toutes les
banques centrales et a trouvé son
couronnement avec Mario Draghi, à la tête de la
Banque Centrale Européenne.
Au
départ, il s’agissait d’une classique application de l’incongruité keynésienne
: pour surmonter la crise (mais d’où vient-elle ?) il suffit de stimuler la
demande globale, et les crédits sont là pour relancer la consommation et
l’investissement. Pour faciliter les crédits rien de tel que d’abaisser le taux
d’intérêt exigé par les banques centrales pour fournir aux banques de second
rang les liquidités dont elles ont besoin.
Progressivement
la baisse des taux d’intérêt a pris une autre dimension : elle permet aux États
endettés d’alléger le service de leur dette. En fait, les liquidités gratuites
fournies aux banques font l’affaire des États. La constitution de la BCE lui interdit-elle
de prêter aux États ? Il n’y a qu’à injecter de la monnaie dans le circuit
financier qui sera plus « compréhensif » à l’égard des États débiteurs puisque
le circuit s’approvisionne presque gratuitement. L’affaire est dans le sac. On
vous dit bien que la finance n’est que magie !
Où est le danger ?
Le
danger, c’est ce que l’on vit actuellement : une perturbation de la finance
mondiale. Les spéculations qui ont conduit les bourses à la surenchère à la
hausse (opérateurs bull, taureaux) s’inversent maintenant et les opérateurs
jouent à la baisse (bear, ours).
Bien
évidemment, gouvernements et médias dénoncent les dérèglements des opérations
boursières, et au-delà de la finance et, au-delà même, du capitalisme. Hollande
avait bien raison de désigner la finance comme son seul ennemi. Mais Hollande
tape tous les jours à la porte des financiers pour emprunter de quoi payer le
service de la dette publique française, et il bénéficie des taux d’intérêt
négatifs.
Xavier
Rolet voit la crise boursière actuelle différemment. Depuis son observatoire du
LSE (London Stock Exchange, bourse entièrement privée) le danger de dérapage
mondial vient uniquement de la classe politique surendettée. La cigale
gouvernementale publique cherche à emprunter au meilleur compte auprès de la
fourmi. Qui est fourmi ? Qui développe des activités productives de nature à
enrichir une nation et à assurer la reprise ? Fort de l’expérience anglaise,
Rolet souligne le dynamisme des petites entreprises, bien plus que des grands
groupes qui retiennent l’attention des bourses. En Angleterre, ce sont 500.000
emplois qui ont été créés l’an dernier. Ils ne doivent rien à la finance
classique, ils ne doivent rien à l’État (qui a cependant eu la bonne idée de
supprimer des milliers de postes de fonctionnaires). Ils le doivent à 5,2
millions de PME, parmi elles des startups qui font 75 % de croissance en
moyenne chaque année. Il est donc inutile et erroné d’incriminer le marché, la
finance, les entreprises, puisque les seuls perturbateurs de l’économie
mondiale sont les gouvernements.
Signification du taux d’intérêt
Depuis Thomas d’Aquin
on sait que le taux d’intérêt est le prix du temps. Voici pourquoi l’Église
prohibait le taux d’intérêt : le temps appartient à Dieu. On ne saurait donc
s’enrichir en jouant sur le temps. Mais s’il est interdit de s’enrichir, dit le
Docteur Angélique, il n’est pas pour autant normal ni moral de s’appauvrir.
Donc le prêteur peut exiger un taux d’intérêt chaque fois que son prêt lui fait
encourir une perte. Il va très loin dans ce sens : il tient compte des coûts
d’opportunité (en prêtant mon argent, j’ai manqué une affaire lucrative lucrum
cessan), mais aussi des coûts d’assurance (l’intérêt me permet de couvrir les
risques de mon affaire, par exemple le naufrage d’un bateau periculum sortis).
On débouche ainsi sur une signification contemporaine du taux d’intérêt :
rémunération d’un service rendu à l’emprunteur.
Dans le taux d’intérêt, il y a nécessairement une
dualité, bien repérée par Hayek. Le taux
d’intérêt naturel est celui qui traduit l’arbitrage entre le temps présent et
le futur, il est anticipation de richesse à venir ; c’est pourquoi le taux
d’intérêt est élevé dans les pays pauvres puisque la perte de temps est minime.
Mais le taux d’intérêt monétaire, celui que fixent directement ou indirectement
les banques centrales aux ordres des gouvernants, n’est que le prix des
liquidités disponibles en un moment donné. Tout écart entre les deux est source
de crise. Fabriquer de l’argent sans produire est illusoire : vieille loi de
l’économie.
Source contrepoints.org
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