Bientôt le jet privé pour
tous
Il faut laisser vivre
« BlaBlaPlane » !
L’économie dite collaborative donne
des ailes aux innovateurs. Au point que la nouvelle tendance, après le
covoiturage, est au coavionnage : depuis quelques mois, des plates-formes
se lancent pour proposer aux pilotes privés de partager leurs sièges libres. Ce
pourrait être le début de « BlaBlaPlane » (même si l’on recommande
aux passagers de limiter le bla-bla durant les phases de décollage et
d’atterrissage). Pourquoi rester sur quatre roues à se traîner de ronds-points
en embouteillages, en priant de passer à travers les gouttes des statistiques
de mortalité routière, quand l’on pourra traverser le territoire en ligne
droite et à moindres frais ? Bientôt le jet privé pour tous ?
Bureaucratie vigilante
C’était compter sans la vigilance de
l’administration française. Nos ministres ont beau
nous bercer de douces paroles sur la disruption et l’écosystème numérique, et
vanter la French Tech de Hong Kong à San Francisco, la réalité bureaucratique
hexagonale est moins rose (comme nous l’avions déjà montré pour les auto-écoles).
En l’occurrence, la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC) a conclu
récemment que « le
coavionnage doit être considéré comme du transport public », et donc soumis à l’ensemble des contraintes qui pèsent
sur les vols commerciaux. Autrement dit, les pilotes privés peuvent continuer à
embarquer leur famille ou leurs amis, y compris en leur facturant les frais
(carburant, les frais de location de l’avion, les taxes aéroportuaires…) comme
le prévoit un arrêté de 1981, mais ne sauraient en faire profiter des quidams
rencontrés sur Internet.
Question de sécurité,
explique la DGAC, nullement influencée, bien sûr,
par les lobbies des professionnels du secteur. Pourtant, un pilote privé n’est
en rien un amateur inexpérimenté. Une pratique assidue est exigée, sa
compétence est vérifiée tous les ans, sa bonne santé tous les deux ans. À titre
d’exemple, il lui est interdit de transporter des passagers s’il n’a pas
effectué trois vols dans les trois mois qui précèdent. Nettement plus
rassurant, me semble-t-il, que le simple permis de conduire obtenu il y a
trente ans qui suffit pour s’inscrire sur un site de covoiturage. Et si les
pilotes privés posent de tels risques, pourquoi seraient-ils autorisés à mettre
en danger la vie de leur femme, de leurs enfants ou de leurs voisins ? Les
liens du sang excusent-ils la mise en danger de la vie d’autrui ? Un ami
de bureau vaut-il moins qu’un ami Facebook ? À l’inverse, pourquoi un
passager pourrait-il embarquer avec son cousin dépressif, et non avec un pilote
bien noté par les utilisateurs d’une plate-forme ? Enfin, argument
définitif pour le libéral que je suis : chacun n’est-il pas libre
d’évaluer le niveau de risque qu’il souhaite prendre, dans la mesure où il en a
été suffisamment informé ?
Partout sauf en France
Résultat de notre paternalisme procrastinateur, la
pratique du coavionnage est en plein essor en Allemagne, au Royaume-Uni, en
Suisse ou en République tchèque, tandis que la France, ligotant une nouvelle
fois ses entrepreneurs, prend un retard fatal, suivant en cela le mauvais
exemple… des Etats-Unis, où la Federal Aviation Administration vient de se
prononcer contre le coavionnage. Comme souvent, notre salut pourrait venir de
l’Union européenne. L’Autorité européenne de la sécurité aérienne (EASA) a donné
son feu vert au coavionnage, sous réserve de conditions assez fermes (et
d’ailleurs contestables) : limitation à six du nombre de personnes à bord,
rémunération limitée au partage des coûts. L’EASA fera-t-elle plier la
DGAC ? Espérons que la ministre de tutelle, Ségolène Royal, qui n’hésite
pas à utiliser pour ses déplacements les appareils de l’Enac (École nationale
d’aviation civile), se résoudra à démocratiser un mode de transport qu’elle
semble apprécier. Comment ne pas aimer le monde de demain, où l’on pourra
fendre l’air pour le prix d’un billet de train (et snober les grèves
SNCF) ? Comment ne pas s’impatienter pour le monde d’après-demain :
l’avion autonome, déjà testé par BAE Systems ; ou l’avion à énergie
solaire, sur le modèle de ce Solar Impulse
aujourd’hui en route pour un premier tour du monde ? Le progrès n’a pas
fini de nous faire rêver. Encore faudrait-il que l’administration cesse de se
dresser sur son chemin.
Photo : avion parachute credits philip leara (licence
creative commons)
Source contrepoints.org
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