La Folie des banques
centrales
Un essai
alarmant sur les excès de l’interventionnisme des banques centrales et le
cataclysme que cela prépare.
Après des années d’engouement renouvelé de beaucoup pour les
politiques monétaires ultra-expansionnistes, devenues une véritable drogue pour
certains acteurs de marché, les choses semblent commencer véritablement à
évoluer. Les cris d’alarme se font de plus en plus entendre, à l’instar de
celui-ci. Or, la notoriété des auteurs laisse espérer, à travers ce titre fort
et évocateur, sinon les prémisses d’un changement radical, tout au moins un
début d’inflexion dans les orientations en matière de politique monétaire. D’où
ce document, à verser au débat.
Patrick Artus et Marie-Paule Virard commencent par décrire
brièvement la fébrilité et la nervosité actuelles des marchés financiers, dont
l’instabilité s’est nettement renforcée en ce début d’année sous l’effet des
mauvaises nouvelles économiques, avec des secousses parfois assez violentes et
souvent excessives.
De manière plus générale, les deux auteurs s’intéressent au rôle
des banques centrales dans ce contexte qui, depuis le début des années 2000 et
surtout depuis 2008, « jouent les
pousse-au-crime » à travers leurs politiques monétaires
expansionnistes, qu’ils qualifient autrement de « laxistes ».
La dramatique confusion entre
création monétaire et création de richesse
Si Patrick Artus et Marie-Paule Virard approuvent
l’intervention massive de 2009 visant à « éviter un désastre encore plus grave que celui de 1929 », ils pensent que cela ne se justifie plus depuis
2010. Dans un contexte de surendettement mondial, cela s’avère même, selon eux,
parfaitement dangereux. Toute la sphère financière se trouve ainsi faussée dans
ses jugements par la « montagne
de cash » engendrée par des « augmentations de dose »
de plus en plus fréquentes et importantes, plongeant les acteurs « dans un monde où l’on confond
volontiers création monétaire et création de richesse ». Et le tout avec la complicité des politiques, et
même du FMI, qui encouragent cette politique.
« Avec à la clé le spectre
d’une nouvelle crise financière », les primes de risque sur les
entreprises publiques, les banques et les pays surendettés ayant
malencontreusement disparu. Ainsi, sept ans après Lehman Brothers et la crise
des subprimes, on renoue avec les mêmes maux : des achats massifs d’actifs
financiers risqués, qui conduisent droit vers une nouvelle crise, dont
l’ampleur sera bien pire et dévastatrice.
À travers la confiance aveugle accordée aux banquiers centraux,
« on compte sur eux pour relancer la
croissance, combattre la déflation, aider à résoudre l’endettement des États,
conjurer l’éclatement de l’euro, faire repartir l’investissement, et bien
d’autres choses encore… », comme si les problèmes liés à l’économie
réelle n’étaient pas là, et bien profonds. Pire, « la monnaie déserte l’économie réelle insuffisamment rentable pour
offrir du rendement à court terme ».
C’est aussi toute la mécanique de fixation des
prix des actifs qui s’en trouve perturbée et
entièrement faussée.
Mais les auteurs se veulent toutefois résolument optimistes,
considérant qu’il n’est « pas trop tard »
pour stopper le « mécanisme à retardement »
de cette politique, espérant par leur ouvrage faire entendre raison à ceux qui
étudieront leurs analyses, même s’ils croient peu à une inflexion de nos
banquiers centraux.
Quand la planche à billets
s’emballe
Dans un premier chapitre, très clair et très pédagogique, les
mécanismes de la création monétaire nous sont très bien expliqués, en mettant
l’accent en particulier sur les ressorts de la politique dite non
conventionnelle.
Les origines du Quantitative Easing (Q.E) sont retracées et les
réelles intentions des banquiers centraux tirées au clair. La mécanique est
parfaitement décrite, implacable.
Mais les dangers, contradictions et risques sont ensuite mis en
lumière, faisant apparaître les dérives qui risquent bien de se transformer en
chaos si on continue de jouer avec la monnaie.
Il est temps de cesser de jouer
avec la monnaie !
Les deux auteurs présentent ainsi les risques qui ont toutes les
chances de découler de ces politiques :
- Risques pour la stabilité financière, à travers la création d’une nouvelle bulle sur les prix des actifs, dont la valeur est encouragée par les mécanismes mis en jeu, destinés à créer un effet de richesse chez les détenteurs de portefeuille, et ainsi une stimulation de la demande (États-Unis et Japon, surtout, mais aussi Chine plus récemment ou Grand-Bretagne dans l’immobilier). D’autant plus que les investisseurs se reposent sur la croyance en le soutien permanent des banques centrales contre la chute des bourses à travers leurs interventions via leurs politiques accommodantes.
- Risques liés à l’écrasement des primes de risque. Outre qu’il favorise la réalisation d’investissements inefficaces et une mauvaise allocation de l’épargne, donc une baisse de la croissance potentielle, le Q.E accroît par là-même le risque de crise financière.
- Risque sur l’économie réelle, en entendant remédier par la politique monétaire à une crise cyclique, là où elle est avant tout structurelle (rigidité des règles sur le marché du travail, déficience du système éducatif et de la formation professionnelle, insuffisance de la recherche, etc.).
Cela a pour effet, contrairement à ce qui est pourtant
souhaité, d’amener les agents économiques, en particulier États, à ne pas
véritablement engager les réformes structurelles, profitant des largesses des
banques centrales. De même que les processus de « destruction
créatrice » s’en trouvent contrariés.
« Bref, la
« mauvaise » économie chasse la « bonne », c’est-à-dire
celle qui investit, qui lutte pour afficher une productivité élevée, créer des
emplois qualifiés et rester compétitive dans la bataille commerciale
internationale. Et le processus s’auto-entretient car, dès lors que la
« bonne économie » aura tendance à se contracter, la réaction normale
de la banque centrale sera de passer à une politique monétaire plus
expansionniste. »
- Sans oublier la croissance des inégalités de revenus et de patrimoine et l’encouragement à la guerre des monnaies (Japon, Chine et maintenant Europe, après les États-Unis).
En définitive, Patrick Artus et Marie-Paule Virard craignent que
l’on ne soit entré dans une ère de politiques monétaires durablement laxistes
avec taux d’intérêt faibles et abondance de liquidités. Et, face aux taux
d’endettement élevés de nombreux pays ou investisseurs privés, ainsi qu’aux
risques d’énormes pertes dans les portefeuilles des investisseurs ou de
dislocation des marchés financiers, les banques centrales craignent un
relèvement des taux d’intérêt à long terme, ce qui les fige dans leurs actions
et signe « l’arrêt de mort de la politique
monétaire contra-cyclique », à l’instar du Japon depuis 1999, dans
un contexte de croissance réelle et d’inflation très faibles. Confortant Mario
Draghi dans la poursuite et le renforcement de ses programmes de rachats
d’actifs. Et révélant toute l’impuissance des banquiers centraux.
De la toute-puissance à
l’impuissance
Le chapitre 3 s’appuie sur l’histoire de la politique
monétaire pour montrer pourquoi les banquiers centraux sont moins puissants
qu’il y paraît. De l’inflation des années 1970-80, après les chocs pétroliers,
et la courbe de Philips, aux politiques de stop and go de l’époque, mues essentiellement par les contraintes de
réélection des politiques, on comprend comment on est passé à des banques
centrales indépendantes et entièrement dédiées à la lutte contre l’inflation,
en se fondant sur les analyses de Robert Barro
et David Gordon sur les anticipations
rationnelles. Avec la règle de Taylor en point d’appui.
Un système mis à mal par la crise de 2008 et remis en cause,
selon les auteurs, par la disparition de l’inflation. Ce qui remet en cause,
selon eux, l’ancienne doxa monétaire.
Après le constat, les
propositions…
Si l’on peut adhérer globalement, dans une assez large
mesure, au cri d’alarme lancé par Patrick Artus et Marie-Paule Virard au sujet
de la folle politique menée par les banquiers centraux à travers leur Quantitative
Easing, on n’est pas forcément obligé d’être en
accord avec eux quant aux solutions proposées.
Ainsi, ils remettent en cause l’objectif statutaire de priorité
à la lutte contre l’inflation, dans une économie qu’ils considèrent désormais
sans inflation, tout au moins tant qu’il n’y a pas de chocs majeurs. Ils se
montrent également favorables, conformément à la théorie keynésienne, aux
politiques monétaires en réponse aux crises (mais en aucun cas dans un but de
régulation à long terme).
Et enfin, ils semblent ne pas désavouer totalement les
analyses d’Olivier Blanchard et de tous ceux
qui souhaitent assouplir l’objectif des 2% d’inflation des banques centrales
pour le faire passer à 4%, l’inflation étant selon eux le meilleur moyen
traditionnel de réduire les dettes souveraines, même s’ils restent sceptiques
sur la capacité de l’inflation d’atteindre désormais de tels niveaux, du moins
dans un horizon de temps de quelques années.
Ils préconisent surtout la fin des règles « gravées dans le
marbre » et davantage de souplesse pour tenir compte des réelles
contraintes du moment.
Il s’agit d’une véritable remise en cause de la conception
monétariste de la monnaie, accusée de favoriser
l’instabilité financière et la spéculation sur les marchés, au moment où les
taux d’endettement ont atteint des sommets.
Les deux auteurs proposent l’élargissement des instruments
macroprudentiels à disposition des banquiers centraux, au-delà du seul taux
d’intérêt, de manière à mieux cibler les actions en fonction des problèmes
spécifiques qui se posent dans tel ou tel pays et mieux réguler les marchés.
Ils préconisent d’en revenir au mandat initial des banques
centrales avant les chocs pétroliers, et surtout depuis la seconde moitié des
années 1990, à savoir la création et la gestion d’une quantité raisonnable de
liquidités, à des fins de disposer des quantités nécessaires au regard des
échanges et de jouer le rôle de prêteur en dernier ressort. Ce qui suppose
aussi une bonne coopération monétaire internationale.
Patrick Artus et Marie-Paule Virard s’interrogent aussi
fortement sur le pouvoir exorbitant des banquiers centraux. Sans remettre en
cause les raisons fondamentales qui ont conduit à souhaiter cette indépendance,
ils ne s’inquiètent pas moins du manque de contrepouvoirs existants, et ce
d’autant plus que nos auteurs jugent dépassé le modèle mis en place dans les
années 1980.
La remise en cause de la
neutralité monétaire
Sur le fond, les auteurs remettent surtout en cause
l’idée de Milton Friedman selon laquelle
« l’inflation est
toujours et partout un phénomène monétaire ».
Ceci dans la mesure où les interventions monétaires sont telles,
aujourd’hui, que l’économie réelle est fortement influencée (et perturbée) par
elles.
Ils s’interrogent, en outre, sur le pouvoir exorbitant laissé à
quelques hommes sans réel contre-pouvoirs, qui ont commis « toutes sortes de bêtises pour toutes sortes de
raisons », dont ils apportent quelques exemples.
En conclusion, Patrick Artus et Marie-Paule Virard mettent en
garde contre l’arrivée de la prochaine crise, qui devrait être, ainsi qu’ils
l’indiquent dans le titre de l’ouvrage, bien pire que les précédentes (les
crises financières devenant d’ores et déjà de plus en plus fréquentes et
violentes), en raison de la folle abondance de liquidités mondiales, qui
représentent des niveaux jamais atteints.
À moins de procéder aux réformes institutionnelles évoquées plus
haut et à une meilleure coordination des politiques monétaires (via le FMI),
ainsi qu’à l’usage plus ponctuel et non prolongé des politiques monétaires,
tout en renonçant tout simplement à les utiliser dès lors que ce sont plutôt de
réformes structurelles (comme actuellement) dont auraient en réalité besoin les
économies. Et… se fixer un objectif de progression de la base monétaire
conforme à celui du PIB mondial en valeur.
Source contrepoints.org
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