Comment la France sélectionne ses élites : le cas
Hollande
3 raisons peuvent être avancées pour expliquer la
monopolisation du pouvoir par une certaine élite dont François Hollande est
sans doute le plus symbolique de ses représentants.
Il y a déjà une
trentaine d’années, Michel
Crozier fustigeait la sélection de l’élite en France. L’ancien juré de
l’ENA et sociologue réputé des organisations militait pour une fermeture
immédiate de cette école. Il disait à peu près en ces termes « qu’il n’avait jamais rencontré des
étudiants aussi fermés intellectuellement ». La sélection par les
grandes écoles de ce type est un travers typiquement français : aucun pays
développé n’a eu semble-t-il l’idée de construire une « école du pouvoir
politique ». Le concept sent bien évidemment le soufre car il contient
certains des germes qui conduisent tout droit à une captation du pouvoir :
voie d’accès unique, formatage intellectuel unique, méthodes de gouvernance
uniques, réseau unique, cooptation/monogamie, étiolement culturel, etc.
Mais le problème de la
sélection des élites politiques françaises est encore plus vaste qu’il n’y
paraît. Il fallait en effet bien d’autres lacunes dans notre société pour que
cette « voie scolaire royale » puisse se développer à ce point. Si notre
classe politique est aussi saturée en énarques (ou tout simplement en agents de
la fonction publique), c’est forcément parce que d’autres niveaux
d’organisation n’ont pas fonctionné de façon optimale. Le cas Hollande est très
intéressant à ce sujet, où l’on voit qu’un individu a priori sans compétences
et sans expérience particulière pour le poste de Président, se retrouve à la
tête de notre pays au plus mauvais moment. Que s’est-il passé ?
La filière politicienne
Le parcours de F.
Hollande ressemble d’ailleurs à s’y méprendre à celui d’autres leaders
politiques actuels. À croire qu’il existe, au-delà d’une voie royale officielle
(l’ENA), un cheminement tout aussi déterminant et qui en constitue le
prolongement indispensable : UNEF, Éducation nationale, Parti Socialiste,
missions à l’Élysée, direction d’un cabinet de ministre, conseil municipal,
députation, Secrétariat national du PS… F. Hollande est devenu porte-parole du
PS, Premier secrétaire, député européen, puis maire de Tulle. En 2007, il
s’abstient de se présenter aux élections présidentielles qui verront s’opposer
S. Royal et N. Sarkozy, mais se présente à celles de 2012 et les gagne contre
ce dernier.
La nature d’un tel
parcours nous apprend beaucoup sur les travers de notre pays :
exclusivement cantonné dans le secteur public et subventionné, celui-ci se
trouve de facto protégé de toute contrainte d’efficacité et d’efficience. Alors
que la différence entre ces deux notions est une obsession quotidienne chez les
chefs d’entreprises, aucune n’a vraiment cours dans ce parcours effectué sous
les lambris des hôtels ministériels et municipaux, parmi les arcanes et parfois
les alcôves des partis politiques, au beau milieu de leurs joutes florentines
si spécieuses.
Quelles sont les
qualités qui transparaissent d’un tel pédigree ? Strictement rien n’y
démontre un quelconque succès sur les plans économique, social ou managérial.
En tant que maire de Tulle, les résultats sont même consternants (endettement
record). À l’inverse, on y devine en filigrane un puissant talent
relationnel : tout le monde n’est pas capable de naviguer dans les cercles
proches du Président Mitterrand et de ses ministres, tout le monde n’est pas
capable de manœuvrer de façon virtuose au sein d’un Parti socialiste jusqu’à en
atteindre la plus haute marche malgré la cacophonie qui le caractérise à
l’époque…
Ce sont
indiscutablement des qualités relationnelles, des dons en matière de
diplomatie, des capacités à élaborer des synthèses impossibles entre des clans
qui ne se supportent pas. Ce sont des compétences, le nier serait malhonnête.
Mais suffisent-elles pour faire un Président de la République ? Ne
seraient-elles pas plutôt tournées vers la réussite individuelle ? Ne
sont-elles pas dramatiquement dénuées des autres qualités indispensables que
sont le courage, le pragmatisme, la vision, l’anticipation, l’efficacité, le
dévouement ?
Il y a même quelque
chose d’effrayant dans ce cheminement car il s’avère être le tremplin le plus
efficace pour atteindre la responsabilité suprême, alors qu’il évite la vraie
vie économique… Comme une sorte d’ascenseur qui évoluerait au mépris du monde ultra
concurrentiel de l’entreprise mais qui permettrait ensuite à ceux qui
l’empruntent d’en diriger les règles de fonctionnement…
Il existe donc
aujourd’hui, dans la société française, un parcours protégé et comparativement
peu exigeant qui se permet le luxe de surpasser l’ensemble des autres parcours
pourtant bien plus challengés. En d’autres termes, un diplômé sans la moindre
expérience professionnelle réussie a la possibilité de prendre la direction de
notre pays et de l’ensemble de son économie parce qu’il aura su barboter dans
les cercles idoines. Et de façon tout aussi diabolique, des partis politiques
tels que le PS ne sont rien d’autre que des écuries de course qui, loin du
monde réel, élèvent en circuit fermé des chevaux pour gagner l’ultime
compétition électorale.
Comment en sommes-nous
arrivés là ? L’existence de la filière elle-même n’explique pas tout. Pour que
de telles choses deviennent possibles, ne faut-il pas compter sur d’autres
éléments favorables tels que la bienveillance des médias et la naïveté des électeurs ?
La bienveillance des médias
Depuis le fameux
sondage post élection présidentielle, nous savons que 74% des journalistes ont
voté F. Hollande. Ce score à la soviétique constitue un splendide raccourci sur
le rapprochement qui s’est opéré entre les médias, et les écuries des étalons socialistes.
Il existe beaucoup
d’autres pays dans lesquels des journalistes auraient posé quelques problèmes
au candidat socialiste en matière de programme économique. Dans une nation qui
recule régulièrement d’un point de vue économique et social (chômage de masse,
croissance, PIB, PIB/habitant, part de marché mondiale, part de marché
industrielle, dette, niveau scolaire, création d’entreprises, etc.) et qui est
déjà parmi les champions mondiaux de la pression fiscale et des prélèvements,
proposer une réforme fiscale visant à prendre encore plus aux riches et aux
entreprises avait en effet de quoi surprendre. Il y avait au minimum matière à
débat…
Or F. Hollande a t-il
eu des difficultés à faire passer son message égalitariste en dépit d’un
contexte qui ne le permettait même plus ? A-t-il été challengé par
la presse et la télévision ? A-t-il dû affronter des débats
contradictoires réguliers face à des spécialistes de l’économie et de la
politique ? La réponse est clairement négative. Les débats ont été d’une
extrême rareté. Et la plupart des médias étant de gauche, le message a été
diffusé tel quel, dénué de la moindre critique de fond, comme s’il était
la bonne parole en provenance d’un messie du Bien…
La naïveté des électeurs
Pour accepter un
programme économique aussi inepte que celui de F. Hollande, il ne manquait plus
qu’une bonne dose de crédulité populaire. Gagner les élections en jouant sur le
ressentiment anti-riche, en faisant miroiter le confort des pauvres grâce aux
ponctions dans la poche des nantis, et en promettant de réduire le chômage en
recrutant encore et toujours plus de fonctionnaires, n’était-ce pas la preuve
d’une immense naïveté ? C’est ici sans doute que réside l’un des plus gros
problèmes de la France (cf. les statistiques dans « Les
différentes formes de pouvoir et le probable futur de notre démocratie »).
Certes, l’inculture économique d’une grande partie de sa population n’est que
le fruit de décennies de mensonges et de déresponsabilisation. Elle n’est que
la triste conséquence d’une captation du pouvoir par une nomenklatura politique
chimérique. Elle n’est que le reflet naturel d’une Éducation Nationale qui en a
épousé la doxa et qui perpétue auprès de chaque génération le mythe étatique.
Mais maintenant que
cette immaturité économique est un fait avéré, comment notre pays peut-il s’en
sortir ? Comment peut-il éviter la victoire du populisme contre le
principe de réalité ? La victoire de la facilité contre l’effort de
désendettement ? La victoire de la fermeture des frontières contre le
réveil de notre compétitivité ?
Après des décennies de
falsification des faits, de mensonges politiques répétés par les médias, de
centralisation du pouvoir, de clonage des profils administratifs au sommet de
notre État, le tableau n’est pas brillant. Nous sommes actuellement dans la zone
rouge. N’ayons pas peur de le dire : n’importe qui peut gagner les
prochaines élections. Les conditions sont idéalement réunies.
Source contrepoints.org
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire