Céder le patrimoine des administrations pour rembourser la dette publique
La soutenabilité fiscale de la dette publique dépend de la capacité des administrations à économiser de l’argent, c’est-à-dire à générer des excédents budgétaires. Dans un pays qui nomme « austérité » ce qui fut jadis qualifié de « cagnotte » – un déficit inférieur ou égal à la norme des 3% du PIB héritée du traité de Maastricht – on mesure combien pareil effort semble hors de portée.
Il est cependant un trésor caché – car on en parle peu – qui « gage » la dette publique : l’État, les collectivités locales et les administrations de sécurité sociale, possèdent à elles trois un patrimoine évalué à plus de 2 500 milliards d’euros (2 538 milliards fin 2010), soit environ 125% de leur passif financier!
De quoi s’agit-il ? La LOLF – Loi organique relative aux lois de finances – du 1er août 2001 engage l’État français dans un processus de modernisation budgétaire et fiscale qui, depuis 2006, débouche sur l’élaboration d’une sorte de bilan comptable consolidé des administrations publiques : le compte de patrimoine. Ce dernier, réalisé par l’INSEE, est conforme à une normalisation inspirée de la comptabilité privée : il ne recense que les actifs dont l’administration est propriétaire et qui sont susceptibles de donner lieu à transaction ; en outre, l’estimation comptable de ces actifs est aussi proche que possible de leur valeur « de marché ». Le compte de patrimoine inventorie donc ce que les collectivités publiques possèdent et qu’elles pourraient vendre à un prix relativement proche de l’évaluation comptable. Cela exclut les monuments historiques incessibles ainsi que le domaine public naturel ne donnant pas lieu à droits de propriété (rivières, littoral, etc.).
En 2010, les administrations publiques font état de 1 654 et 884 milliards d’euros d’actifs respectivement non financiers et financiers. En gros, le patrimoine de nos administrations se compose de logements, d’ouvrages de génie civil (routes, ports, aéroports, etc.), de terrains (bâtis ou non) et de titres financiers. Le patrimoine immobilier de l’État (et des « organismes divers d’administration centrale ») s’élèverait par exemple à une centaine de milliards d’euros, son portefeuille de participations avoisinant la même somme.
Les collectivités locales possèderaient, quant à elles, un cinquième environ du patrimoine immobilier français.
Tout cela est de prime abord rassurant. L’État s’est d’ailleurs doté d’organismes chargés d’optimiser la gestion de son patrimoine immobilier (France domaines), immatériel (Agence du patrimoine immatériel de l’État) et financier (Agence des participations de l’État). Pour l’heure, cependant, les cessions immobilières rapportent peu (environ un demi-milliard d’euros par an) et comme de juste, leur produit n’est que marginalement affecté au désendettement.
Quant au produit des cessions de participations (privatisations), il est destiné au financement de l’investissement public.
Supposons toutefois que le désendettement devienne une priorité absolue de politique publique. La cession d’actifs pourrait-elle alors venir au secours du portefeuille du contribuable ? Quatre réserves inclinent ici au pessimisme :
- La situation financière des collectivités publiques est contrastée : l’État détient relativement peu d’actifs tandis qu’il porte l’essentiel de la dette. Les collectivités locales sont naturellement dans une situation symétrique. Cette inadéquation entre actifs et passifs publics est institutionnellement problématique. On voit mal les collectivités accepter de céder leur patrimoine afin d’en affecter le produit au désendettement de l’État.
- On ne vend pas des actifs en urgence, à moins d’être en situation de faillite. Les actifs liquides des administrations – ceux qu’il est théoriquement loisible de « réaliser » rapidement et à bon prix (essentiellement des créances sur le secteur privé ou les non résidents) – s’élèvent à environ 159 milliards d’euros fin 2012, ce qui permet à l’INSEE d’évaluer la dette nette des administrations publiques à 1 675 milliards.
S’il s’agit d’une somme rondelette, il serait concrètement difficile de la mobiliser rapidement ; y parviendrait-on qu’en outre, cela n’épuiserait pas le problème. Prétendre apurer le passif des administrations au moyen de cessions d’actifs prendrait nécessairement du temps et ne serait fiscalement efficace qu’à condition de stabiliser le niveau de la dette publique, donc de parvenir à l’équilibre budgétaire sur longue période. Cela impliquerait que ces cessions d’actifs soient menées dans le cadre d’une politique de rationalisation des missions de l’État conduisant à une réduction durable de la dépense publique. Las, il est douteux que de telles réformes structurelles résistent aux réquisits du cycle électoral.
- L’évaluation comptable des actifs publics est hautement problématique. Les règles comptables en vigueur veulent qu’ils soient évalués à leur « valeur vénale » théorique, soit le prix qu’il serait raisonnable d’en attendre si on décidait de les vendre à l’instant. Quand cette évaluation est trop conjecturale (faute de marché de référence, en particulier), on recourt alors à une non moins hypothétique « valeur de remplacement au coût amorti » (au lieu de correspondre à un prix de cession probable, la valeur comptable de l’actif est alors constituée d’un coût supposé d’achat à l’état neuf, dont on déduit des amortissements correspondant à l’usure du bien). Mais combien valent, au juste, un phare, une route, une digue ou un spectre hertzien (car l’État possède aussi des actifs « incorporels ») ?
Ce problème d’évaluation est déjà conséquent quand il s’agit d’apprécier le patrimoine des entreprises privées ; toutefois, l’actif d’une entreprise a au moins le mérite de valoir ce qu’il permet de rapporter (ainsi, on peut évaluer une usine en fonction du chiffre d’affaires qu’elle permettra de générer). Et l’argent que gagne une entreprise (ses « produits » comptables) vient presque exclusivement de l’exploitation de ses actifs. Tel n’est pas le cas d’une collectivité publique : les revenus de la production et du patrimoine des administrations représentent à peine 10% de leurs recettes totales, lesquelles sont principalement constituées de prélèvements obligatoires.
Rien d’étonnant à cela : les actifs publics ne sont pas censés rapporter d’argent mais contribuer aux missions de service public ; il est donc difficile de leur attribuer une valeur vénale. C’est toute la limite d’une application des normes de comptabilité privée à l’évaluation des actifs d’une organisation publique.
- L’État n’est pas un vendeur comme les autres : il dispose d’une prérogative redoutée des acquéreurs. Il peut en effet toucher l’argent du beurre (le prix de cession) tout en prescrivant la manière dont le beurre doit être consommé. Il lui suffit de grever l’usage des actifs cédés de restrictions susceptibles d’en altérer la profitabilité (au vrai, ce pouvoir réglementaire peut aussi constituer un frein à l’investissement purement privé).
Il est donc périlleux de mettre la valeur supposée des actifs publics en face du montant de la dette des administrations, pour tenter d’en minimiser l’importance.
Il n’est cependant pas interdit d’espérer qu’un plan ambitieux de cession/rationalisation des actifs publics aille de pair avec une privatisation progressive de certains services d’éducation, de santé ou d’assurance en particulier (quitte, d’ailleurs, à ce que certains services non régaliens soient plus nettement qu’aujourd’hui délégués aux collectivités locales). Il en résulterait un assainissement durable de nos finances publiques, garant de l’intégrité patrimoniale du contribuable.
À défaut d’une véritable stratégie de désendettement au long cours, une autre option consisterait à répudier purement et simplement la dette publique ; certains économistes le recommandent d’ailleurs sans ambages.
Entre cette dernière option – la spoliation du créancier – et le prélèvement forcé d’un sixième du patrimoine des Français (Taxe Delpla), le lecteur pourra toujours faire son choix. Car même si le pire n’est jamais certain, les propositions radicales ont au moins valeur de sonnette d’alarme. Et le péril fiscal que constitue la dette publique est suffisamment grave pour qu’on ne se prive pas de la tirer.
Source Institut économique Molinari (par Erwan Queinnec)
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