Macron, objet politique non identifiable
Emmanuel Macron entraîne son public
– j’allais écrire ses ouailles – dans un monde qui n’est plus politique mais
quasiment christique avec un processus qui n’est pas sans rappeler celui de
Ségolène Royal.
Depuis des mois j’attends avec une impatience de plus en
vive qu’Emmanuel Macron veuille bien
m’accorder cet entretien dont à intervalles réguliers, avec amabilité, il me
laisse espérer la venue. Sans être naïf, je le crois.
Alors
que l’élection présidentielle offrira l’opportunité de favoriser un changement
politique, pour Emmanuel Macron elle procurera l’occasion du dévoilement d’un
mystère.
Quelque
chose surgira au mois de mai qui donnera une réponse aux doutes, aux
interrogations, aux suspicions, ou confirmera, avec le premier tour et
peut-être la victoire, le caractère irrésistible d’un élan qui n’est pas né
depuis peu.
Emmanuel
Macron fait partie de ces rares personnalités qui peuvent donner l’impression à
ceux qu’il intéresse ou plus, fascine, qu’ils ont à la fois le droit de
concéder à la politique classique et de se pencher sur le destin, déjà
exceptionnel par sa fulgurance, de cet objet politique non identifiable (OPNI).
Comme si les deux démarches relevaient de registres différents et que le
citoyen et l’observateur, duo dont je raffole, trouvaient leur compte avec
l’ordinaire de la politique et avec l’extraordinaire Macron.
Une manière inédite de faire de
la politique
J’ai
d’abord par paresse appliqué une grille banale à l’analyse des avancées
d’Emmanuel Macron parce qu’elles paraissaient s’inscrire dans une politique
vieille comme le monde : celle qui prétend ne pas en faire et bouscule le jeu
en façade, mais pour mieux récolter les fruits traditionnels du pouvoir et
assouvir une ambition somme toute guère originale.
Mais,
très vite, cette perception, cette réduction d’une forme d’inconnu à un connu
rassurant et maîtrisable ont montré leurs limites. Depuis plusieurs mois,
l’histoire qui se fait jour entre En Marche et son chef d’un côté, et de
l’autre, la multitude qui vient l’applaudir révèle une relation qui a dépassé
la tonalité collective du meeting pour aborder des rivages peu usités en
démocratie.
Emmanuel Macron n’est pas un tribun politique et il s’en
moque. Quand il s’époumone et crie à la fin d’un discours, ce n’est pas pour
singer une puissance de parole qu’il n’a pas. Il sait qu’il ne dispose pas de
cette aptitude et un Mélenchon, qui est un
véritable orateur, ne terminerait jamais son intervention sur un mode aussi
paroxystique, précisément parce qu’il n’en a pas besoin, exerçant tout au long
l’art du verbe dans sa plénitude.
Le phénomène Macron
Il
n’empêche qu’Emmanuel Macron – rassemblant autour de lui grâce à une empathie,
une aura infiniment plus convaincantes qu’une expression orale qui manquerait
de force, diffusant séduction, compassion et communion, se prêtant, avec une
incarnation ostensible, de sa gestuelle à son air inspiré, au besoin qu’éprouve
chacun de s’identifier à lui – ouvre ainsi des chemins adaptés à son
tempérament et se garde bien de battre en brèche le consensuel généreux et
évident qu’on attend de lui.
Car il a
compris les faiblesses du politique et, de fait, pour l’instant, dans le
clair-obscur, il privilégie l’obscur. Attendons de voir si, comme il s’y
engage, au mois de février le clair d’un projet sera soumis à ses concitoyens.
Sans abuser des mots, Emmanuel Macron, en totale lucidité
et avec une habileté sans pareille, entraîne son public – j’allais écrire ses
ouailles – dans un monde qui n’est plus politique mais quasiment christique
avec un processus qui n’est pas sans rappeler celui de Ségolène Royal. Avec toutefois une double différence capitale.
Macron
est infiniment plus doué, plus structuré et plus subtil qu’elle et, surtout, il
n’est pas combattu par des forces centrifuges qui viseraient à le marginaliser.
Il est au contraire poussé par des vents favorables qui rapprochent de plus en
plus de lui.
Cette
volonté de négliger l’univoque sommaire du partisan au profit d’une équivoque
imprégnée d’un halo étrange – comme si un gourou avait pris la place du
Emmanuel Macron d’avant qui avait déjà des forces certes mais des faiblesses
aussi qui ne le distinguaient pas forcément – a tout changé.
Maintenant
on suit une lumière, on fond pour une personnalité et les idées qui clivent, on
les laisse à la porte ! On ne regarde plus le chemin mais celui qui marche.
Beaucoup
qui étaient dégoûtés par la politique ou qu’elle laissait indifférents sont
revenus dans ce giron atypique. À cause de cette singularité si remarquablement
travaillée, Emmanuel Macron plonge la classe politique dans une angoissante
perplexité. Comment saisir ce qui se trouve vraiment ailleurs, comment opposer
au sacré républicain d’un mysticisme novateur le profane d’argumentations trop
réelles et si peu élevées ?
Pour
l’instant Emmanuel Macron entraîne à sa suite, avec une flûte brillamment
magique, une cohorte dont une part se persuade qu’elle a avec lui le Messie
dont la France a besoin et une autre, sans illusion, emplie de socialistes, qui
le choisit parce qu’elle n’a plus rien à perdre. Sauf le socialisme démonétisé
et déjà ridiculisé par le quinquennat de François Hollande.
Plus que
quelques mois.
Emmanuel
Macron demeurera-t-il un OPNI ou le fera-t-on retomber sur terre avec la
vulgarité quotidienne de débats médiocres, avec l’obligation de quitter l’ange
pour la bête ? Le futur, le nôtre et le sien, sera passionnant.
Source contrepoints.org
Photo By: OFFICIAL LEWEB PHOTOS – CC BY 2.0
Par Philippe Bilger.
Président de l'Institut de la parole, aujourd'hui
magistrat honoraire, Philippe Bilger a exercé pendant plus de vingt ans la
fonction d'avocat général à la cour d'assises de Paris. Il anime le site
Justice au singulier.
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