La légion d’honneur
En refusant bruyamment la Légion d’honneur,
l’économiste vedette Thomas Piketty a remis sur le devant de la scène la
question de l’attribution de la plus haute distinction de la République. Cette
année encore, on estime qu’à elle seule cette récompense sera remise à plus de
3 000 récipiendaires civils et militaires.
Comme à l’accoutumée,
les nominations proviennent essentiellement des ministres, bien qu’il soit
pourtant désormais possible pour chaque citoyen de proposer la nomination d’un
individu méritant (un dossier soutenu par 100 signataires du même département doit
alors être déposé par le préfet, validé puis transféré au grand chancelier de
la Légion d’honneur). Évidemment, l’actuel processus de sélection s’accompagne
tous les ans de nominations trop nombreuses, très politiques et bien souvent
difficilement justifiables. À titre d’exemple, et sans vouloir incriminer
personnellement les personnalités suivantes, Mimi Mathy, Jack Lang, Arnold
Schwarzenegger, les chanteurs Stone et Charden ou encore Salma Hayek ont-ils des mérites éminents acquis au service de la
nation soit à titre civil, soit sous les armes dignes de la plus
haute distinction française ? Certes, les
critères d’attribution de cette récompense sont ouverts à l’interprétation,
mais on distingue sans mal à chaque promotion que les renvois d’ascenseur et le
copinage semblent être les seules raisons rationnelles pour expliquer la
présence de certains noms au Journal Officiel.
On estime aujourd’hui
à 92 000 le nombre de membres de la Légion d’honneur, un chiffre qui s’explique
en partie par l’Histoire sanglante de la France dans la première moitié du
XXème siècle (1ère Guerre Mondiale, 2ème Guerre Mondiale, Guerre d’Indochine,
etc.) et par la volonté des gouvernements de l’époque de récompenser le
sacrifice exceptionnel de plusieurs générations de Français (à titre
d’indication la Légion d’honneur comptait 362 000 membres en 1962). Seulement
voilà, alors que les conflits du siècle passé s’en sont allés, la Légion
d’honneur continue d’être distribuée allègrement dévaluant ainsi le prestige de
ses membres vivants ou morts les plus méritants.
Plus scandaleux
encore, cette appartenance à la Légion d’honneur ouvre aux médaillés la
possibilité de scolariser gratuitement leurs filles dans des établissements
d’élite dont l’accès est réservé aux filles, petites-filles et
arrière-petites-filles de membres de la Légion d’honneur, de Médaillés
militaires ainsi que de décorés de l’ordre national du Mérite. Malgré les très
bons résultats scolaires obtenus par ces établissements, on est en droit de se
demander si un tel privilège digne d’une société aristocratique a encore sa
place dans une démocratie moderne.
En 2015, 128 ans après
le scandale
des décorations qui avait à l’époque coûté son poste au président de la
République Jules Grévy, la Légion d’honneur est en passe de redevenir dans
l’opinion publique cette breloque républicaine ringarde à laquelle tout le
monde peut prétendre moyennant un minimum d’amitiés politiques.
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