Ça s’est fait comme ça de Gérard Depardieu
Dans Ça s’est fait comme ça, écrit avec la
collaboration de Lionel Duroy, Gérard Depardieu apparaît bien différent de ce
que les envieux, les sans-talent, les pisse-copies disent de lui, surtout
depuis qu’il a décidé de ne plus se laisser tondre comme un mouton par l’État
français.
Ce qui frappe en le
lisant, ce sont les libertés de comportement, de ton, d’expression et de pensée
dont il fait montre, très naturellement. En cela, il est très français, enfin,
comme un Français pouvait ou devait l’être, avant la servitude volontaire et la
peur de ce qui pourrait arriver.
Gérard n’aurait pas dû
voir le jour. Sa mère, la Lilette, ne voulait pas de lui. Elle avait même
essayé les aiguilles à tricoter. Mais toutes ses tentatives avaient échoué. Et,
finalement, elle ne regrettait pas le moins du monde qu’il ait survécu.
Son père, le Dédé, le
laisse libre et lui apprend à sourire pour se sortir d’embarras: « Je grandis dans la rue, bien plus qu’à
l’école où j’ai tout juste appris à lire et à écrire. La rue ne te laisse rien
passer, tu dois croire en ta bonne étoile, ne compter que sur toi-même. »
Gérard se livre à des
petits trafics (cigarettes américaines, fringues, whisky). Il tombe pour un
« emprunt » de voiture. En taule, à Chateauroux, il fait la rencontre
d’un psychologue qui lui dit qu’il a des mains de sculpteur, des mains puissantes
et belles, faites pour pétrir, pour modeler.
« Je suis encore un enfant, si cet homme voit en
moi un sculpteur, un artiste, alors c’est sûrement que je vaux mieux que le
voyou dont j’étais en train de revêtir l’habit. » se dit-il, et
cette révélation va changer le cours de sa vie.
Une autre révélation
va également le changer : le Dom Juan de
Molière qu’il entend par effraction au théâtre de Chateauroux, après que son
ami Michel Pilorgé lui a dit qu’il voulait faire du théâtre: « Je ne comprends pas un mot sur cinq, mais
j’entends clairement la musique et je me souviens comme ça me plaît à
l’oreille, tout en me troublant. »
Il suit à Paris cet
ami, rencontré trois ans plus tôt à la gare, lieu de toutes les combines. Il
passe avec lui l’année 1965-1966 au cours Dullin, en dilettante. Quand, l’année
suivante, 1966-1967, Michel quitte ce cours et tente sa chance auprès de Jean-Laurent
Cochet, il le suit encore.
Le grand comédien
croit tout de suite en Gérard, contre toute vraisemblance et contre toute
attente : « C’est avec lui, grâce à lui,
qu’avant d’apprendre le théâtre, je vais commencer par réapprendre à parler. La
parole, ma parole, il y a bien longtemps que je l’ai perdue. »
« Enfant,
je ne bégayais pas, je ne bougonnais pas, j’étais capable d’énoncer clairement
les pensées qui me traversaient. Mais petit à petit, on aurait dit que les mots
s’étaient embouteillés, qu’ils ne parvenaient plus à sortir de ma poitrine,
comme s’ils en étaient empêchés par une sorte de confusion, ou de chaos, qui se
serait installé dans ma tête. »
Jean-Laurent Cochet
envoie Gérard chez un homme de lettres, M. Souami, qui entreprend de lui
expliquer les mots, leur musique, puis chez un ORL, Alfred Tomatis, qui
diagnostique une hyperaudition : « Je
perçois trop de sons, mon oreille ne les sélectionne pas, ce qui provoque une
sorte de saturation qui parasite mes facultés d’expression. »
D’où provient cette
hyperaudition ? « Tomatis estime que ça a
dû se mettre en place dans le ventre de la Lilette, quand j’ai pressenti non
seulement que je n’étais pas un enfant désiré, mais aussi qu’on en voulait
sérieusement à ma peau. »
Jean-Laurent Cochet
garde Gérard dans son cours l’année suivante, 1967-1968, sans lui demander un
sou. Fin 1968, il le fait démarrer sur scène dans Les
garçons de la bande de Mart Crowley, au Théâtre Edouard VII. Cette pièce
le fait connaître et, par la suite, il rencontrera Claude Régy qui le conduira
à Marguerite Duras et à Peter Handke.
Ça s’est fait comme
ça, sa carrière. La vie ne laisse pas de le surprendre et il aime ça. C’est en
fait la surprise de la vie qui l’intéresse et il ne veut pas que ça s’arrête,
dans la vraie vie comme devant une caméra:
« Si je savais ce que je vais faire, je ne le ferais pas. J’y vais, je
n’ai pas peur, c’est encore la vie. »
Gérard parle également
de sa vie personnelle dans ce livre, de sa difficulté à devenir père, de son
rejet de la famille : « Avec aucune des
trois femmes qui m’ont donné des enfants, je n’ai fait une famille. Je n’aime
pas l’idée de la famille. La famille, c’est une abomination, ça tue la liberté,
ça tue les envies, ça tue les désirs, ça te ment. »
De ses amours : « Personne ne peut se mettre à la place d’un
homme amoureux, c’est indescriptible, indicible, ça fait affreusement mal et en
même temps c’est une ivresse, tu ne t’appartiens plus, regarde comme Christian
est affreusement bête dans Cyrano, pris dans les filets de Roxane… »
De ses amitiés : « J’aime la Russie. Je suis l’ami de Poutine, je
me sens citoyen du monde autant que Français et je n’ai pas le sentiment de
faire du mal à qui que ce soit en m’accordant d’aller vivre où je veux et
d’aimer qui je veux. »
De pourquoi il s’est
tiré de France : « À soixante-cinq ans, je
n’ai pas envie de payer 87% d’impôts. Mais ce n’est pas pour autant que je n’ai
pas participé : j’ai donné à l’État français cent cinquante millions d’euros
depuis que je travaille, alors que depuis l’école je n’ai pas demandé un rond à
aucune administration. »
De ce qu’il considère
comme sa chance : « Je me dis que c'a été
ma chance de ne recevoir aucune éducation, d’avoir été laissé libre et en
jachère durant toute mon enfance, car ainsi je dispose d’une écoute
universelle, je suis curieux de tout, et tout m’élève, tout me semble beau,
miraculeux même, car personne n’a jamais encombré mon esprit du moindre
préjugé. »
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