Clubs S.M sur les Campus Américains
Les clubs sadomasos s'invitent sur les campus
des Etats-Unis.
C'est la tendance du moment dans les grandes
universités : les clubs SM prolifèrent. Leurs responsables affirment que leurs
pratiques sont fondées sur le consentement mutuel, mais la frontière avec
l'agression sexuelle est parfois floue.
Le bâtiment de la bibliothèque, sur le campus d'Harvard - Ernest
Bludger/FlickR/CC
Harvard
est l'université dont Maria (elle a demandé à apparaître sous un pseudonyme)
rêvait depuis des années. Après des études dans un lycée de
Nouvelle-Angleterre, dont elle est sortie première en terminale, elle est
entrée à Harvard avec une moyenne de 4.0 [équivalent d'une mention TB au
baccalauréat] et s'est inscrite en lettres. L'année dernière, elle a commencé à
chercher des activités hors programme pour enrichir son expérience
universitaire. Elle pouvait faire son choix parmi plus de 400 clubs pour
étudiants. Maria en a choisi un, appelé Munch. Son but était de rencontrer des
gens, d'explorer quelque chose de nouveau.
Maria est
une jeune femme menue aux cheveux blond miel et aux yeux marrons. Ils se sont
écarquillés à mesure qu'elle passait en revue certaines des spécialités qu'elle
comptait approfondir pendant son temps libre : "Bondage [pratique sexuelle
sadomasochiste dans laquelle un des partenaires est attaché], menottes, jeux
avec la glace, etc."
Maria se
définit plus comme une adepte de la soumission que comme une masochiste.
"Mon truc, c'est de recevoir des ordres, ce genre de choses,
explique-t-elle. Ce qui me plaît, surtout, c'est l'exhibitionnisme, les lieux
semi-publics, les miroirs..." Outre les réunions éducatives sur le campus,
les membres de Munch se rassemblent parfois en privé pour "jouer".
Depuis qu'elle a adhéré à ce club, Maria a pu réaliser certains de ses
fantasmes. "On m'a frappée avec une cravache, une ceinture, des cannes,
des martinets... ce que je préfère, c'est le martinet."
- Une culture en cours de banalisation
La
popularité du roman Cinquante nuances de Grey [romance
érotique et best-seller mondial de la
Britannique E.L. James] a accéléré la
banalisation de la culture SM, déjà tendance notamment dans nos meilleurs
établissements d'enseignement supérieur. L'université Columbia a son club de
bondage et SM, de même que l'université Tufts, le Massachusetts Institute of
Technology (MIT), Yale et l'université de Chicago. Brown, l'université de
Pennsylvanie et Cornell ont accueilli des formateurs en bondage et SM pour des
séminaires intitulés Le sexe coquin en liberté ou
Le sexe coquin pour tous. Ces
conservateurs qui depuis longtemps considèrent l'Ivy League [les huit plus
grandes universités américaines] comme un repaire de dépravés n'avaient
peut-être pas tort, finalement.
Mais
certains jeunes membres de ces clubs s'aperçoivent qu'ils y apprennent plus de
choses que prévu. Ils soulèvent notamment de vraies questions comme le
consentement, la transparence, l'anonymat, la violence sexuelle, la culpabilité
et l'innocence, le crime et le châtiment.
"Sans
danger, raisonnable, consensuel", tel est le mantra du milieu SM.
Pourtant, il n'est pas rare que ces principes soient foulés aux pieds. Au cours
des douze derniers mois, des centaines de personnes ont dénoncé les sévices
dont elles ont été victimes au sein du milieu. Ces victimes sont principalement
des femmes, et comme Anastasia Steele, la jeune héroïne de Cinquante nuances de Grey âgée de 22 ans,
beaucoup d'entre elles sont jeunes, soumises et incapables de dire non.
- Sans danger? Pas toujours
En
décembre, Victoria (pseudo), une étudiante en lettres de 20 ans d'une
université de l'Ivy League, a décidé de sécher ses révisions, de se maquiller
plus que d'habitude et de se rendre toute seule à une réunion coquine dont elle
avait entendu parler sur FetLife, un réseau social pour fétichistes. Victoria
n'avait aucune expérience masochiste, mais elle se sentait attirée par ces
pratiques depuis des années ; elle avait souvent des fantasmes de donjons,
de situations de contrainte ou d'entrave, et elle se rappelait que les soirées
en famille à Medieval Times [dîner spectacle à thématique médiévale] l'avaient
excitée au plus haut point.
La réunion
était très sympa. Victoria a eu des conversations intéressantes sur la
neurobiologie et la religion, et, bien entendu, sur les activités sadomasos. La
soirée était sur le point de se terminer quand un homme est entré. Elle le
connaissait : il avait essayé de fonder un club SM sur son campus quelques
années auparavant. Eric avait le teint cireux et les cheveux tirés en arrière,
et il portait son téléphone mobile à la ceinture.
Une
semaine plus tard, les deux étudiants se sont rendus à une "soirée
jeux". Après avoir manifesté certaines réticences, Victoria a accepté de
participer, en définissant des safe words [mots
permettant d'indiquer au partenaire qu'il va trop loin]. Mais une fois qu'ils
se sont retrouvés elle et lui dans un coin, raconte-t-elle, Eric lui a mis un
couteau sous la gorge et a commencé à l'assaillir. Victoria était perturbée,
mais elle ne pouvait s'empêcher de douter d'elle-même. Il n'y avait peut-être
pas de quoi s'inquiéter.
Le
lendemain, quand Eric l'a invitée à lui envoyer un courriel exposant les faits
et les décrivant comme quelque chose de consensuel, elle s'est exécutée.
"A l'époque, j'avais l'impression d'avoir affaire à des pratiques
normales, explique-t-elle. Maintenant, il me paraît évident qu'il préparait sa
défense".
- Prise de conscience
Par
définition, le milieu SM peut être violent. La contrainte physique et
psychologique est au cœur de l'expérience érotique sadomasochiste. Résultat,
l'agression sexuelle peut s'avérer difficile à définir et à prouver. Les
intéressés paraissent de plus en plus conscients du problème et, depuis un an,
un débat sur cette question agite la communauté fétichiste, particulièrement
soudée.
"Nous
sommes attachés à l'idée que l'on peut dire non à tout", commente Holli,
l'un des dirigeants du club SM de l'université Columbia baptisé Conversion
Virium. "Beaucoup de jeunes sans expérience viennent nous trouver pour se
faire conseiller et être introduits dans le milieu. Bon nombre d'entre eux
deviennent des proies faciles dans les 'soirées jeux'. Parfois, les jeunes
aiment dire oui, oui, oui à tous ceux qu'ils rencontrent lors d'une fête ou
d'un événement fétichiste, mais si ce oui signifie 'j'hésite un peu', les
limites entre refus et consentement commencent à se brouiller."
Samantha
Berstler, une étudiante à Harvard qui a étudié ce milieu, soutient Conversio
Virium, mais conteste la volonté du club de recruter des membres en dehors de
l'université. "Pourquoi ne pas mettre carrément une enseigne lumineuse sur
la porte qui dirait : ‘De jeunes étudiants nubiles et vulnérables vous
attendent, venez abuser d'eux' ?" s'interroge-t-elle.
Pour
Munch, le club SM de Harvard, le consentement est primordial, assure son
directeur qui demande à être cité sous le nom de Michael. L'université a
apporté à ce club son soutien officiel, pourvu qu'il adopte des mesures
éducatives permettant de faire face aux sévices.
Michael
espère que Munch jouera un rôle de chef de file dans des débats plus larges sur
le campus à propos des sévices sexuels et qu'il saura porter la bonne parole du
consentement parmi les jeunes aux pratiques sexuelles plus classiques.
Source
Courrier international
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire