Macron piégé par la
technostructure
Le Figaro a révélé que Macron
reprochait à ses ministres d’être prisonnier de leur technostructure. Il n’aura
pas été long à comprendre que son fétichisme du gouvernement profond conduisait
à une impasse politique.
Le 28 mars 2017, Emmanuel Macron alors candidat avait fait de tonitruantes
déclarations sur la composition de son
gouvernement. Il annonçait alors qu’il ne recruterait pas
« d’apparatchik » de partis mais qu’il privilégierait des ministres
compétents, issus de la société civile. Lors de leur nomination, le même
Président a expliqué que les
ministres ne bénéficieraient que de cabinets drastiquement réduits.
Moins de
deux mois après, les dégâts sont déjà visibles : les ministres
« compétents » sont prisonniers d’une administration qui leur mâche
le travail et les ramène au degré zéro de la politique.
MACRON, CANDIDAT DE LA TECHNOSTRUCTURE
On n’a peut-être pas assez dit, pendant la campagne et
aux premières heures de la Macronie, que Macron était d’abord le candidat de la
technostructure. La composante jeune-turcde
l’idéologie présidentielle a souffert d’un dédain de la part des commentateurs
et analystes politiques.
Elle est
pourtant au cœur de ce qui se passe en France depuis le 7 mai 2017.
Rétrospectivement, l’histoire jugera même sans doute que l’élection d’Emmanuel
Macron a constitué une tentative de la dernière chance pour le gouvernement
profond et pour la technostructure qui le cortique de sauver ses meubles dans
un monde qui bascule vers un autre chose numérique et civil.
Profondément,
Macron porte l’idéologie énarchique qui repose sur la conviction intime que
l’État est le sauveur de la modernité, mais qu’il en est empêché par une classe
politique décadente.
D’où
l’idée que le renouveau français passe forcément par une mise entre parenthèses
de ces élus (tout des apparatchiks) et par un triomphe des experts et des hauts
fonctionnaires (qui eux, bien entendu, ne sont pas des apparatchiks).
Pour le
comprendre, il faudrait ici mener une étude quasi-ethnographique sur le mépris
que les énarques et les bercyens portent pour la démocratie parlementaire.
L’opinion publique française n’a pas conscience d’être sous la pression d’une
technostructure convaincue qu’elle seule est la garante de l’efficacité
politique et que le Parlement constitue un obstacle essentiel sur ce chemin.
La
grande force d’Emmanuel Macron, qui se vantait il y a peu encore de sa
« virginité parlementaire », est d’avoir rallié sous cette bannière
anti-parlementaire tous ceux (libéraux compris) qui partagent le diagnostic
d’une dangereuse sclérose française. Le temps d’une campagne, Macron a
crédibilisé l’idée qu’une France gouvernée par des experts et des technocrates
trouverait les solutions qu’aucun gouvernement n’a mise en place depuis trente
ans pour sortir le pays des rails déclinants qu’il suit.
MACRON SOUTENU PAR LE GOUVERNEMENT PROFOND
Dans
cette fédération des énergies anti-parlementaires coalisées autour du jeune
Président, il faut évidemment souligner le poids structurant du gouvernement
profond, qui a cru avec une probable bonne foi à la réussite de cette
idéologie, comme il y avait cru le 10 juillet 1940, lors de l’expérience
technocratique la plus retentissante dans la France du siècle dernier.
Rappelons-nous du soutien accordé à Macron par des
piliers systémiques comme Pierre Bergé et
sa puissance de feu médiatique. Rappelons-nous que c’est Jacques Attali qui a
sorti Macron de l’ombre. Ce faisant, c’est bien ce gouvernement profond
européiste, hégémonique, cristallisé autour des valeurs du vivre ensemble et de
la diversité, qui a parié sur la victoire d’un jeune haut fonctionnaire.
Ce
soutien, disons même cette paternité, constituera pour Emmanuel Macron la
principale difficulté à surmonter. Tôt ou tard, le Président devra payer ses
dettes à ce petit monde qui l’a soutenu mais qui porte en lui un antagonisme
profond avec les aspirations majoritaires du pays. Avoir eu l’illusion qu’il
suffirait de recruter quelques experts pour contourner l’obstacle relevait de
la naïveté.
LA POLITIQUE RATTRAPE MACRON AU GALOP
Il aura
suffi de deux mois pour que les illusions se dissipent. Non, la présence
d’experts dans un gouvernement ne suffit pas à réduire le débat politique à de
simples questions d’expertise. C’est même le contraire qui se produit :
l’absence de politique renforce le besoin de politique.
La rapide baisse de popularité de Macron, qui vient de
battre le record sondagier de François Hollande, le montre. La technocratie n’hypnotise pas les peuples.
Il ne suffit pas de prendre, comme Édouard Philippe, des airs de garçon bien
élevé et propre sur lui quand on explique qu’on ne sait pas où on va, pour que
la pilule soit moins amère.
Au
passage, la curée n’en est probablement qu’à ses débuts. Par exemple, en cas de
difficulté, le gouvernement a un truc : il annonce une étude préparatoire
chargée de proposer des mesures. La blague joue sur tous les sujets : le RSI,
la fiscalité locale, la réforme des retraites. Le gouvernement Philippe ne
pourra éternellement cacher aux Français qu’il n’a aucune idée sur la façon de
décliner les promesses de Macron en recourant à cette grosse ficelle déjà
éculée sous Hollande.
Face
à la vacuité politique qui règne en France, une certitude est désormais
acquise. Le mythe d’une classe politique coupable de tous les maux s’effondre.
Le mythe d’une technostructure compétente aussi.
Reste à
savoir jusqu’où le quinquennat Macron déroulera la pelote de la désillusion
française. L’échec prévisible d’Emmanuel Macron n’est pas un échec comme les
autres : il signe l’effondrement de l’espérance en une transformation pacifique
et maîtrisée de nos institutions…
Source contrepoints.org
Par Éric Verhaeghe.
Éric Verhaeghe est président de Tripalio. Ancien élève
de l'ENA, il est diplômé en philosophie et en histoire. Écrivain, il est
l'auteur de "Faut-il quitter la France ?" (Jacob-Duvernet, avril
2012). Il anime le site "Jusqu'ici tout va bien" http://www.eric-verhaeghe.fr/
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