Bercy : Quand Macron dépensait 120 000 euros
en 8 mois pour ses repas en bonne compagnie
Le ministère de
l'Économie et des Finances est l'un des plus puissants de la République, mais
aussi l'un des plus secrets. Pendant deux ans, les auteurs sont partis en
exploration dans ses 42 kilomètres de couloirs austères. Nourri d'une
soixantaine d'entretiens confidentiels, leur livre révèle pour la première fois
les coulisses de cette forteresse. Ils ont interrogé ministres, anciens
ministres, hauts-fonctionnaires, acteurs de l'économie réelle et lobbyistes.
Qui gouverne vraiment ? Le ministre, l'administration, l'Europe ou les lobbys ?
Ils ont assisté à la genèse tourmentée de l'imposition à la source et révèlent
celle, avortée, de la privatisation de la Française des jeux, bloquée par un
seul fonctionnaire. Ils ont cherché la marge de manouvre réelle dont disposent
les ministres face à une Europe tatillonne. Ils ont recueilli les récits des
rivalités, des conflits, des ambitions et des petits (ou gros) arrangements
fiscaux, tel cet écrivain célèbre souhaitant faire exonérer les dons à son amie
et qui a obtenu que son dossier soit examiné directement par les conseillers du
ministre.
Les conseillers du ministre se sont rassemblés une dernière fois.
Une écrasante majorité d’hommes, dont quelques-uns, pour l’occasion, ont fait
tomber la cravate. Au septième étage de l’hôtel des ministres, dans le salon
Michel-Debré, ils devisent à voix basse. La vaste salle toute en boiseries
accueille les grandes conférences de presse du ministère. Ce 30 août 2016,
Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, y annonce officiellement sa démission
du gouvernement. Face à lui, sur un mur, une tapisserie des Gobelins qui a
demandé dix ans de travail.
Le jeune ex-ministre, lui, est resté moins de deux ans dans les
murs. Le temps de façonner sa cote de popularité, de renforcer ses réseaux,
d’acquérir l’expérience de l’État, bref, de préparer l’offensive, dans le
confort d’un ministère puissant. « Je souhaite aujourd’hui entamer une nouvelle
étape de mon combat […]. Je suis déterminé à tout faire pour que nos valeurs,
nos idées, notre action, puissent transformer la France dès l’année prochaine
», lance le jeune loup devant les journalistes, avant de s’éclipser par une
porte dérobée, au fond de la salle. Cette porte conduit à un ascenseur secret,
qui permet au ministre de descendre dans ses appartements. Mais Emmanuel Macron
a utilisé Bercy pour s’élever. Comme beaucoup avant lui, il en a fait une rampe
de lancement pour sa carrière politique. « La dernière année, il a levé le pied
(Entretien avec les auteurs, le 27 septembre 2016.) », soupire devant nous
Michel Sapin, le ministre des Finances.
Emmanuel Macron recevait à tour de bras les personnalités
influentes dans son bureau du troisième étage. Y compris des hiérarques
religieux, des philosophes, des responsables associatifs, tous estimables, mais
qui n’avaient pas grand-chose à voir avec les attributions officielles du
ministre, économie, industrie et numérique. Exemple : le politologue Stéphane
Rozès, consulté pendant deux heures un samedi matin, pour évoquer «
l’imaginaire politique des Français ». À Bercy, Emmanuel Macron réunit également
son « groupe informel », comme le raconte le journaliste Marc Endeweld : « L
’écrivain et ancien conseiller de François Mitterrand, Erik Orsenna, ancien
membre de la commission Attali, en fait partie, tout comme le journaliste des
Échos, Éric Le Boucher, […] ou le philosophe Olivier Mongin, de la revue
Esprit, ou bien encore le communicant Gilles Finchelstein, qui détaille des
enquêtes d’opinion réalisées pour l’occasion (Marc Endeweld, L’Ambigu Monsieur
Macron, Flammarion, 2015, p. 316.)… » « Il multipliait les dîners, parfois deux
par soir », raconte un autre membre du gouvernement installé à Bercy. Selon nos
informations, en 2016, Emmanuel Macron a utilisé à lui seul 80 % de l’enveloppe
annuelle des frais de représentation accordée à son ministère par le Budget. En
seulement huit mois, jusqu’à sa démission en août. « S ’il était resté, on ne
sait pas comment il aurait fini l’année », observe une source administrative.
L’enveloppe annuelle des frais de représentation du ministère de l’Économie dépasse
cent cinquante mille euros, soit au moins cent vingt mille euros utilisés en
huit mois par le jeune ministre pour ses seuls déjeuners et dîners en bonne
compagnie. « Pourtant, ici, il y a de quoi s’occuper. Le matin et le soir ! »
s’indigne Michel Sapin. Il a eu vent de ces repas par les huissiers et les
chauffeurs de Bercy. Dans les murs du ministère, Emmanuel Macron a aussi reçu
des centaines d’« amis » Facebook. Par deux fois, il a organisé avec eux des
soirées de discussion, dans le centre de conférences Pierre-Mendès-France, au
cœur de Bercy. « Je ne suis pas un pro de la politique. J’ai ma trajectoire,
expliquait alors le ministre à ses convives. Mais, j’ai toujours une
frustration de ne pouvoir voir assez de gens normaux.
A posteriori, ces rendez-vous ressemblent davantage à un
pré-meeting électoral qu’à une réunion Tupperware sur l’économie ou la
compétitivité. Autant de signaux d’alerte. Après coup, Michel Sapin se reproche
sa naïveté : « Avec Macron, nous avions une relation très simple, très fluide.
C’est un esprit alerte, très léger, pas lourdingue. Je m’en veux de n’avoir pas
vu assez vite qu’il avait une ambition cachée. Ce qu’il a fait, vis-à- vis du
président, c’est une trahison, nous lâche-t-il peu après le départ d’Emmanuel
Macron.
» Les autres locataires de Bercy ne se montrent pas plus tendres
avec ce curieux trentenaire, ministre le jour, animateur de réseau le soir,
puis dirigeant de son mouvement « E n Marche » le week-end, à partir d’avril
2016. « Je ne sais pas comment il trouve le temps de gérer un mouvement
politique, grogne Christian Eckert, dans son bureau de style Empire. Moi je
n’ai même plus le temps d’aller à la pêche, aux champignons, au cinéma, ni au
théâtre ! On a un boulot à faire pour les gens, c’est vraiment engageant
(Entretien avec les auteurs, le 1er juin 2016). » Il arrive que le président de
la République lui-même, sentant son chouchou prêt à s’émanciper, se joigne aux
critiques de ses ministres. Off the record, bien sûr. En mai 2016, lors d’un
déjeuner avec quelques journalistes, le chef de l’État compare Emmanuel Macron
à… Donald Trump ! « Trump est un milliardaire, donc les gens se disent :
“Tiens, il ne va pas être corrompu car il est déjà riche.” » Cette observation
s’appliquerait aussi à Macron, ancien banquier d’affaires chez Rothschild : «
Comme il n’est pas politique, il a pour lui une présomption de sincérité et de
vérité. Il n’est pas membre d’un parti, il n’est pas député, pas élu. Les gens
se disent : celui-là, il doit être plus pur que les autres ! » Devant ses
convives, le président de la République ajoute, l’air innocent : « Quand j’ai
rencontré Macron, sa première volonté était d’être député au Touquet. » Une
pique discrète, allusion aux déclarations du jeune ministre à l’automne 2015.
Invité à un forum, il avait qualifié de « cursus d’un ancien temps » le fait de
se présenter à la députation.
Extrait du livre "Dans
l'enfer de Bercy" de Marion L'hour et Frédéric Says, publié chez Jc Lattès
Source atlantico.fr
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