Quand l’État se mêle de nos funérailles !
L’État présent tout au long de notre
vie ne pouvait qu’interférer dans notre mort. Il prend déjà soin de notre
santé. Il distribue nos organes. Il se propose de nous baptiser, nous éduquer,
nous marie et maintenant, il essaye de nous enterrer.
Mais où sont donc
passées les funérailles d’antan ? Aucune idée
et a priori, il y a de moins en moins de chance de les revoir. En effet, les
députés viennent d’adopter un texte relatif à nos funérailles, ce qui finalement n’est pas surprenant. L’État présent
tout au long de notre vie ne pouvait qu’interférer dans notre mort. Il prend
déjà soin de notre santé en nous interdisant de manger trop gras ou trop sucré,
de boire, de fumer. Il distribue nos organes.
Il se propose de nous baptiser, nous éduquer, nous marie et maintenant, il
essaye de nous enterrer.
Si les enterrements chrétiens étaient la règle, à partir
du 19ème siècle des mesures sont prises afin de permettre la liberté de conscience :
neutralité des cimetières (lois du 14 novembre 1881 et du
5 avril 1884), liberté des funérailles (loi du
15 novembre 1887), transformation du service extérieur des pompes funèbres
en service communal (loi du 28 décembre 1904) et principe de laïcité (la loi du
9 décembre 1905). Par ailleurs, le principe de liberté des funérailles est
inscrit dans notre Code pénal (article 433-21-1), qui prévoit un
délit d’atteinte à la volonté du défunt. On le
trouve également dans le code général des collectivités territoriales, qui interdit toute distinction établie par les
autorités selon le caractère civil ou religieux des funérailles.
L’État à nos obsèques
Aujourd’hui
30 % des obsèques sont civiles. Quant aux crémations, 53 % sont
réalisées sans cérémonie religieuse. La sécularisation de la société
n’empêche pas le besoin de sens et de rite face à la mort. Les demandes
d’obsèques civiles sont en constante augmentation et des difficultés se posent
pour y répondre, obligeant les familles à se tourner vers des obsèques
religieuses. En effet, les communes proposant déjà leurs salles pour ces
cérémonies sont trop rares.
Certains députés, dont Bruno Le Roux, notre nouveau
ministre de l’Intérieur, ont donc proposé une loi adoptée en première
lecture le 30 novembre dernier afin de
remédier à ces problèmes. L’examen des apports de cette fameuse loi laisse
dubitatif et prêterait à rire si le sujet n’était pas si sérieux. Il ne faut
pas se priver du plaisir de consulter les débats qui ont présidé à l’adoption
de cette loi. Ils sont édifiants, et mettent en lumière la façon dont une
proposition de loi insignifiante est vidée de son peu de sens à grands renforts
d’amendements successifs. Cette loi aboutit à un article
unique rédigé ainsi :
«Art. L. 2223-52. – Chaque commune, dès
lors qu’elle dispose d’une salle municipale adaptable,
met celle-ci à disposition des familles qui le demandent et garantit ainsi
l’organisation de funérailles républicaines qui leur permettront de se
recueillir. Par dérogation au premier alinéa de
l’article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes
publiques, cette mise à disposition est gratuite. À la demande de la famille du
défunt, un officier de l’état civil de la commune peut procéder à une cérémonie
civile.»
À
première vue la loi fixe une obligation de fournir une salle là où précédemment
il n’y avait qu’une possibilité. Cette obligation pourrait être une très bonne
chose, mais le législateur a trouvé judicieux de préciser que seules les
communes possédant une salle « adaptable » étaient concernées,
sans s’attarder sur la définition d’adaptabilité. Il amoindrit d’étrange façon
la portée de l’intention initiale. Il sera en effet très facile pour les
communes de s’exonérer de cette obligation surtout en l’absence de sanction
prévue. Est-il utile de rappeler que le cumul des mandats n’étant pas
interdit, beaucoup de nos députés sont également maires.
Rien n’est jamais gratuit
La mise
à disposition gratuite de la salle est également surprenante. Tout d’abord
cette disposition déroge au principe de non-gratuité des utilisations
privatives du domaine public. Ensuite, nous savons que rien n’est jamais
gratuit. Les coûts d’aménagement, d’entretien et de fonctionnement de la salle
devront bien être pris en charge. Avant le texte, ils étaient potentiellement
supportés par les utilisateurs. La gratuité les transfère à la charge du
contribuable. Chacun jugera de l’équité de la mesure.
De même
le législateur précise qu’un officier de l’état civil a la possibilité de
procéder à la cérémonie, sans préciser dans quelles conditions. Nous pouvons
donc supposer qu’il les fixera lui-même ; et après tout pourquoi pas, puisqu’il
remplira bénévolement son rôle, aucune rémunération pour cette mission
supplémentaire ne lui étant allouée. Et alors que cette cérémonie « si
importante » nécessite un texte, il n’est pas prévu de formation des
officiers à leurs nouvelles fonctions dont l’exercice ne s’improvise pourtant
pas.
Hervé
Feron se félicite de ce texte, car, maintenant « le défunt et sa famille seront accompagnés par la cité«.
Pourtant, l’accompagnement proposé par la République, ne rendent pas évidents
les motifs de s’enorgueillir. Ce texte est maintenant entre les mains du
Sénat. Il sera intéressant de regarder ce qu’il va devenir.
L’intervention d’Estelle Grelier, secrétaire d’État
chargée des Collectivités, laisse par contre songeur. Elle trouve « légitime et souhaitable que la
République puisse apporter son soutien dans les moments les plus difficiles,
comme elle le fait pour les plus joyeux« .
Difficile alors de ne pas repenser aux discussions préalables à l’adoption en
première lecture de la loi au cours desquelles a été cité le passage suivant
du contrat social (Rousseau) :
« il faut une religion civile vivant une forme de
sacralisation non religieuse du lien social. Une religion civile doit
pouvoir permettre, selon Rousseau, de générer une passion pour le régime
républicain. Ce dernier ne saurait en effet se réduire à des procédures :
il lui faut du rituel et une symbolique, ainsi que la possibilité de créer les
conditions d’un attachement. »
Nous
sommes en 2016, à l’orée d’un siècle nouveau. Certains de nos députés
trouvent, avec la logique imparable qui est la leur, qu’il est temps de
défendre la laïcité en l’instituant en religion officielle d’État.
Pour y parvenir, ils utilisent un texte ne changeant fondamentalement rien, si
ce n’est pour le contribuable, qui va donc être amené, au nom du principe de
liberté de conscience et d’équité, à financer des cérémonies privées, quand
bien même il ferait le choix de s’abstenir de toute cérémonie pour lui-même.
Sans commentaires.
Source contrepoints.org
Par Nafy-Nathalie.
Nafy-Nathalie
Profondément existentialiste, elle croit que chacun
est libre et responsable de ce qu'il est. C’est avec cette idée qu'elle essaie
de mener sa vie et de voir le monde.
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