Bret Easton ELLIS
Moins que zéro
Traduit de l’américain par Brice Matthieussent
(4ème de couverture)
Un style sec, électrique, une narration cursive et lumineuse, un retour stylistique, qu’il va jusqu’à théoriser, à Hemingway et consorts, lui servant d’arme offensive contre toute éventualité de « postmodernisme ». Tout clin d’œil, allusion, métaphore joueuse, trompe-l’œil académique, fiction à double ou triple fond, lui semblant insupportable, sinon illisible. Si bien que l’on peut se demander si cette littérature n’est pas aussi celle d’un nouveau rigorisme, au moralisme aussi diffus que poisseux. A moins que la culpabilité, dans les sociétés postindustrielles, n’ait définitivement cédé le pas à l’angoisse, à une anxiété vide qui échapperait au déterminisme psychologique… Indubitablement, « Moins que zéro » est le roman de cette anxiété : un étudiant comme il faut se retrouve, le temps d’un congé scolaire, plongé dans la société de Los Angeles où habite sa famille ; adolescents aussi riches que blasés, bourrés de M.T.V., de cocaïne, d’héroïne et d’alcool, oscillant entre la piscine et la télévision, la bi- et l’homosexualité, la prostitution et les snurf movies…
(1ere phrase :)
Les gens ont peur de se retrouver sur les autoroutes de Los Angeles.
(Dernière phrase :)
Des images si violentes et perverses que pendant très longtemps elles me semblèrent être mon seul point de repère.
234 pages – Christian Bourgeois Editeur 1985 (1986 pour la traduction française)
(Aide mémoire perso :)
"Moins que zéro", un roman de jeunesse sur une certaine jeunesse, celle qui hante la cité des anges. La jeunesse dorée, désœuvrée, désabusée, déboussolée de L.A dans les années 80, les années fric dans l'univers frelaté des fils et des filles des riches producteurs hollywoodiens. Une ambiance et un style de vie "alanguie, décadente et dissolue". Un portrait violent et subversif où sourde, en continu, une angoisse aussi impalpable qu'effrayante. Une lente et inexorable descente aux enfers, un chaos intérieur, un vertige que l'auteur tente de fixer dans ce décor halluciné. Bien plus qu'un simple roman "trash", "sex, drug and rock" comme on l'a trop souvent vite étiqueté, "Moins que zéro" (titre inspiré par le titre du 1er 45 tours de Elvis Costello) est un traité du désespoir, une fuite en avant existentielle face à un ennui mortel au sens littéral du terme...
Un premier roman âpre, brut et oppressant. Comme un orage qui gronde et qui refuse d'éclater.
Il y a Blair, Trent, Kim, Pierce, Julian ou encore Rip leur dealer... Ils ont 15, 16 ou 17 ans et vivent à Los Angeles, dans les quartiers huppés de Mulholland, Bel Air ou encore Beverly Hills. Ils sont fils ou filles de richissimes producteurs ou réalisateurs hollywoodiens. Leurs (seules) préoccupations ? Savoir dans quelle party ils vont se rendre le soir, dans quel club ou chez qui ils vont bien pouvoir aller sniffer quelques lignes de coke ou s'envoyer en l'air avec d'autres corps tout aussi paumés, quelque soit son sexe...
Le jour ils végètent, "écroulés" ou "défoncés" devant leur piscine scintillante en tournant les pages de "People", de "GQ" ou de "Playboy"...
En désespoir de cause, ils fuient parfois en Porsche ou en Ferarri vers leur villa secondaire, au bord des plages de Palm Springs ou de Malibu...
Ce sont un peu les Paris Hilton des années 80.
C'est leur vie que Bret Easton Ellis a choisi de décrire dans ce fulgurant roman, prenant comme prétexte le retour en ville de son narrateur, Clay parti étudier dans le New Hampshire, à l'occasion des fêtes de Noël.
Ce contexte de Noël, fête de famille par excellence, permet de souligner avec encore plus d'emphase les rapports tendus voire inexistants entre ces enfants et leurs parents.
De façon générale c'est l'incommunicabilité qui domine dans ce roman. Incommunicabilité avec la famille (et le père tout particulièrement dans le cas de Clay, ce qui n'est pas sans faire écho à la brouille entre Bret Easton Ellis et son propre père qui n'a jamais su le comprendre).
Des dialogues d'une grande justesse (pour lesquels il démontre dés ce premier roman un vrai talent), en particulier dans leurs non-dits, hésitations et absences, autre marque de fabrique de l'auteur. Un art qui sera bien sûr porté à son comble dans American Psycho.
Une vie qu'il raconte comme des flashs hallucinogènes : sans réelle transition, il passe d'une scène à l'autre. Les actions s'enchaînent un peu mécaniquement, dans son fameux style minimaliste.
C'est un nihilisme et une passivité glaciale marqués par la maladie mortelle de l'ennui, de l'horreur de n'avoir "envie de rien" (au sens "Kinkergaardien" du terme).
Ellis installe une atmosphère psychologiquement étouffante.
Une atmosphère où le spectre de la mort plane tout du long qu'il s'agisse d'un coyote écrasé sur la route et dont ils observent la lente agonie jusqu'à sa petite amie Blair qu'il trouve avec un sac sur la tête en arrivant à une party ou encore ses jeunes soeurs qui jouent "à la morte" en restant le plus longtemps en apnée au fond de leur piscine, le tout jalonné de références à différents faits divers sanglants...
L'atmosphère particulièrement fascinante de ce roman tient aussi beaucoup à son décor : Los Angeles.
Un décor qui joue quasiment un rôle à part entière : les palmiers qui s'agitent sous les violentes bourrasques brûlantes, la canicule, le désert tout proche, les hurlements des coyotes, la vallée, les collines, les dunes, qui environnent les piscines miroitantes dans la nuit sous la lumière des néons, les jacuzzis "bleus et fumants".
C'est aussi l'un des premiers romans "rock" au sens de sa langue à la fois séche et électrique mais aussi et surtout par l'omniprésence de la musique dans ses pages. On "entend" ainsi en fond sonore différents groupes phares des années 80 rock et new Wave : Idol, Devo. Fleetwood Mac ou encore les Eagles...
Finalement il y a peu de scènes "trash" dans ce roman (comparé à un "American psycho") et l'ensemble reste plus suggestif et subversif qu'autre chose (comme le viol collectif d'une fillette de 12 ans ou le visionnage d'un porno snuff). Ellis introduit aussi la prostitution à travers le personnage de Julian, ami d'enfance du narrateur qui pour payer ses dettes de drogue est pris au piège de cet engrenage.
Paroles de l'auteur (extrait de son roman "Lunar Park" au sujet de "Moins que zéro") :
"Quand j'étais étudiant (...), j'ai suivi un cours d'atelier d'écriture et produit pendant l'hiver 1983 un manuscrit qui a fini par devenir "Moins que zéro". Il relatait en détail les vacances de Noël d'un jeune-homme riche, égaré, sexuellement ambigu, revenant de son université de l'Est à Los Angeles - plus exactement à Beverly Hills - et toutes les fêtes qu'il traversait et les drogues qu'il absorbait et tous les garçons et les filles avec qui il couchait et tous les amis qu'il observait passivement s'enfoncer dans l'accoutumance, la prostitution et l'apathie profonde. (...) C'était une mise en accusation non seulement d'un mode de vie qui m'était familier, mais aussi des années Reagan, et indirectement, de l'état présent de la civilisation occidentale.
(...) Le roman a été considéré comme une autobiographie mais c'était plutôt un roman à clés et ses scènes à sensation (le porno snuff, le viol collectif d'une fille de 12 ans, le cadavre en décomposition dans la ruelle, le meurtre au drive-in) étaient tirés des ragots épouvantables qui s'échangeaient dans la bande que je fréquentais à L.A et non d'une quelconque expérience personnelle. Mais les journaux se sont fortement inquiétés du contenu "choquant" du livre et tout particulièrement de son style : des scènes très brèves écrites sous la forme d'un haïku contrôlé, cinématographique. Le livre était court, c'était une lecture facile (on pouvait avaler ce "bonbon noir" - New-York Magazine- en deux heures) et en raison de sa typographie assez large (et des chapitres qui ne dépassaient jamais une page ou deux), il avait la réputation d'être le roman de la "génération MTV".
(Dernière phrase :)
Des images si violentes et perverses que pendant très longtemps elles me semblèrent être mon seul point de repère.
234 pages – Christian Bourgeois Editeur 1985 (1986 pour la traduction française)
(Aide mémoire perso :)
"Moins que zéro", un roman de jeunesse sur une certaine jeunesse, celle qui hante la cité des anges. La jeunesse dorée, désœuvrée, désabusée, déboussolée de L.A dans les années 80, les années fric dans l'univers frelaté des fils et des filles des riches producteurs hollywoodiens. Une ambiance et un style de vie "alanguie, décadente et dissolue". Un portrait violent et subversif où sourde, en continu, une angoisse aussi impalpable qu'effrayante. Une lente et inexorable descente aux enfers, un chaos intérieur, un vertige que l'auteur tente de fixer dans ce décor halluciné. Bien plus qu'un simple roman "trash", "sex, drug and rock" comme on l'a trop souvent vite étiqueté, "Moins que zéro" (titre inspiré par le titre du 1er 45 tours de Elvis Costello) est un traité du désespoir, une fuite en avant existentielle face à un ennui mortel au sens littéral du terme...
Un premier roman âpre, brut et oppressant. Comme un orage qui gronde et qui refuse d'éclater.
Il y a Blair, Trent, Kim, Pierce, Julian ou encore Rip leur dealer... Ils ont 15, 16 ou 17 ans et vivent à Los Angeles, dans les quartiers huppés de Mulholland, Bel Air ou encore Beverly Hills. Ils sont fils ou filles de richissimes producteurs ou réalisateurs hollywoodiens. Leurs (seules) préoccupations ? Savoir dans quelle party ils vont se rendre le soir, dans quel club ou chez qui ils vont bien pouvoir aller sniffer quelques lignes de coke ou s'envoyer en l'air avec d'autres corps tout aussi paumés, quelque soit son sexe...
Le jour ils végètent, "écroulés" ou "défoncés" devant leur piscine scintillante en tournant les pages de "People", de "GQ" ou de "Playboy"...
En désespoir de cause, ils fuient parfois en Porsche ou en Ferarri vers leur villa secondaire, au bord des plages de Palm Springs ou de Malibu...
Ce sont un peu les Paris Hilton des années 80.
C'est leur vie que Bret Easton Ellis a choisi de décrire dans ce fulgurant roman, prenant comme prétexte le retour en ville de son narrateur, Clay parti étudier dans le New Hampshire, à l'occasion des fêtes de Noël.
Ce contexte de Noël, fête de famille par excellence, permet de souligner avec encore plus d'emphase les rapports tendus voire inexistants entre ces enfants et leurs parents.
De façon générale c'est l'incommunicabilité qui domine dans ce roman. Incommunicabilité avec la famille (et le père tout particulièrement dans le cas de Clay, ce qui n'est pas sans faire écho à la brouille entre Bret Easton Ellis et son propre père qui n'a jamais su le comprendre).
Des dialogues d'une grande justesse (pour lesquels il démontre dés ce premier roman un vrai talent), en particulier dans leurs non-dits, hésitations et absences, autre marque de fabrique de l'auteur. Un art qui sera bien sûr porté à son comble dans American Psycho.
Une vie qu'il raconte comme des flashs hallucinogènes : sans réelle transition, il passe d'une scène à l'autre. Les actions s'enchaînent un peu mécaniquement, dans son fameux style minimaliste.
C'est un nihilisme et une passivité glaciale marqués par la maladie mortelle de l'ennui, de l'horreur de n'avoir "envie de rien" (au sens "Kinkergaardien" du terme).
Ellis installe une atmosphère psychologiquement étouffante.
Une atmosphère où le spectre de la mort plane tout du long qu'il s'agisse d'un coyote écrasé sur la route et dont ils observent la lente agonie jusqu'à sa petite amie Blair qu'il trouve avec un sac sur la tête en arrivant à une party ou encore ses jeunes soeurs qui jouent "à la morte" en restant le plus longtemps en apnée au fond de leur piscine, le tout jalonné de références à différents faits divers sanglants...
L'atmosphère particulièrement fascinante de ce roman tient aussi beaucoup à son décor : Los Angeles.
Un décor qui joue quasiment un rôle à part entière : les palmiers qui s'agitent sous les violentes bourrasques brûlantes, la canicule, le désert tout proche, les hurlements des coyotes, la vallée, les collines, les dunes, qui environnent les piscines miroitantes dans la nuit sous la lumière des néons, les jacuzzis "bleus et fumants".
C'est aussi l'un des premiers romans "rock" au sens de sa langue à la fois séche et électrique mais aussi et surtout par l'omniprésence de la musique dans ses pages. On "entend" ainsi en fond sonore différents groupes phares des années 80 rock et new Wave : Idol, Devo. Fleetwood Mac ou encore les Eagles...
Finalement il y a peu de scènes "trash" dans ce roman (comparé à un "American psycho") et l'ensemble reste plus suggestif et subversif qu'autre chose (comme le viol collectif d'une fillette de 12 ans ou le visionnage d'un porno snuff). Ellis introduit aussi la prostitution à travers le personnage de Julian, ami d'enfance du narrateur qui pour payer ses dettes de drogue est pris au piège de cet engrenage.
Paroles de l'auteur (extrait de son roman "Lunar Park" au sujet de "Moins que zéro") :
"Quand j'étais étudiant (...), j'ai suivi un cours d'atelier d'écriture et produit pendant l'hiver 1983 un manuscrit qui a fini par devenir "Moins que zéro". Il relatait en détail les vacances de Noël d'un jeune-homme riche, égaré, sexuellement ambigu, revenant de son université de l'Est à Los Angeles - plus exactement à Beverly Hills - et toutes les fêtes qu'il traversait et les drogues qu'il absorbait et tous les garçons et les filles avec qui il couchait et tous les amis qu'il observait passivement s'enfoncer dans l'accoutumance, la prostitution et l'apathie profonde. (...) C'était une mise en accusation non seulement d'un mode de vie qui m'était familier, mais aussi des années Reagan, et indirectement, de l'état présent de la civilisation occidentale.
(...) Le roman a été considéré comme une autobiographie mais c'était plutôt un roman à clés et ses scènes à sensation (le porno snuff, le viol collectif d'une fille de 12 ans, le cadavre en décomposition dans la ruelle, le meurtre au drive-in) étaient tirés des ragots épouvantables qui s'échangeaient dans la bande que je fréquentais à L.A et non d'une quelconque expérience personnelle. Mais les journaux se sont fortement inquiétés du contenu "choquant" du livre et tout particulièrement de son style : des scènes très brèves écrites sous la forme d'un haïku contrôlé, cinématographique. Le livre était court, c'était une lecture facile (on pouvait avaler ce "bonbon noir" - New-York Magazine- en deux heures) et en raison de sa typographie assez large (et des chapitres qui ne dépassaient jamais une page ou deux), il avait la réputation d'être le roman de la "génération MTV".
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