mardi 29 juin 2021

Billets-“Bambi”, portrait d’une femme d’exception

 


“Bambi”, portrait d’une femme d’exception

En 1958, quand Jean-Pierre devient Marie-Pierre, le terme “transsexuel” n'existe pas. Hors des clichés, Sébastien Lifshitz dresse le portrait d'une femme décidée.  
Marie-Pierre Pruvot, alias Bambi, meneuse pendant vingt ans de la légendaire revue transsexuelle du Carrousel de Paris, née en 1935 sous le prénom de Jean-Pierre et opérée en 1958...
De ce destin hors du commun qui ressemble à une invention de scénariste, Sébastien Lifshitz a fait un lumineux film documentaire, Bambi, déjà auréolé d'un prix au festival de Berlin et diffusé par Canal+  avant sa sortie en salles. Rencontre avec cette héroïne d'exception.

Comment est né ce portrait de vous ?
Sébastien Lifshitz m'avait rencontrée au moment où il préparait Les Invisibles, car il comptait m'y faire apparaître. Mais il a vite réalisé que je ne m'inscrivais pas dans la logique de son film sur l'homosexualité. La transsexualité, c'est autre chose. Disons que j'étais à part.

On sent dans le film que la revue du Carrousel a été la chance de votre vie pour devenir la femme que vous rêviez d'être.
Imaginez : j'ai pu quitter ma Kabylie natale, gagner ma vie à 18 ans, faire ­venir ma mère à Paris. Pour moi, ce fut un moyen merveilleux, et le seul à l'époque, pour être libre et être moi-même. Autrement, il fallait se prostituer La revue du Carrousel avait un succès fou. Marlene Dietrich ou Maria Callas venaient souvent nous applaudir. Après le spectacle, je rentrais vite dans ma petite chambre. C'était risqué de sortir dans les bars ou les petits restaurants d'artistes de Pigalle, car il y avait des contrôles d'identité et la police était terrible avec les transsexuels. Une fois, une amie a été raflée : elle a passé la nuit en prison et les policiers lui ont coupé ses longs cheveux blonds pour l'humilier. Le mot « transsexuel » n'existait même pas à l'époque ! Même sur les affiches du Carrousel, il était écrit : « Les plus beaux travestis du monde »…

Au bout de vingt ans sur scène, vous tournez sacrément la page !
Il fallait que je me renouvelle ! En 1974, je suis devenue professeur de français. J'ai mis du temps à préparer ce changement. En 1969, j'ai passé mon bac, puis j'ai étudié à la Sorbonne, jusqu'à obtenir mon Capes : j'allais aux cours l'après-midi et je dansais dans la revue le soir. Le plus dur était les stages dans les lycées : toute la journée en formation et la nuit sur scène, j'étais exténuée. J'ai enseigné pendant trente ans, j'ai adoré ça.

Vous avez d'abord été en poste deux ans à Cherbourg, puis vingt-cinq ans à Garges-lès-Gonesse. Avec l'évolution des mœurs, avez-vous fini par révéler votre transsexualité à vos élèves ?
Non. Ils ne l'ont su que lorsque j'ai publié ma biographie, une fois à la retraite. J'ai reçu une centaine de messages d'amitié. Sur Facebook, mes anciennes élèves se félicitent de m'avoir eue comme professeur et regrettent que leurs enfants ne m'aient pas comme enseignante ! C'est mignon.

Tout de même, personne ne s'est jamais douté de votre transsexualité ?
Jamais ! Pas le moindre doute dans le regard des autres. Vous pensez bien que je me méfiais. Je craignais surtout que des parents d'élèves qui avaient vu le spectacle me reconnaissent ! Il faut dire que j'avais bien fait attention à changer d'allure. Je ne voulais pas être le travelo de service. Je voulais être Madame Tout-le-monde, et je l'ai été.

Vous avez changé de sexe à une époque où le sujet était totalement tabou. Aujourd'hui, le transgenre est devenu un thème à la mode, étudié par les sociologues, et le mariage pour tous est voté…
La création d'un troisième sexe serait une chose abominable. Cela doit rester un problème personnel. Dans mon esprit, j'étais une femme, voilà tout, et j'ai fait des choix pour le devenir. On m'a encore demandé hier ma participation à un colloque sur les trans, j'ai accepté, mais je ne veux pas être une figure de proue, ce n'est pas mon métier. En revanche, je suis pour le mariage gay, même si je suis contre le mariage en général ! Ce désir des ­homosexuels redonne de la vitalité à cette institution bourgeoise en perte de vitesse chez les hétéros !


Source Télérama Propos recueillis par Guillemette Odicino

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