Peut-on être
« libéral-conservateur » ?
Quelle est la part de libéralisme
dans le « libéral-conservateur » ?
Au détour des conversations que j’ai pu avoir avec
différents membres de la famille libérale, il arrive souvent que mon
interlocuteur me dise en substance : « Pour ma part, je suis
libéral-conservateur, c’est-à-dire libéral en économie et conservateur sur le
plan sociétal. » Et il me demande ensuite où je me situe selon cette
variante particulière du libéralisme.
LES LIBÉRAUX, UNE PETITE FAMILLE TOUT
EN NUANCES
La famille libérale est certes petite en nombre, mais
il est vrai qu’elle se rattrape largement quand on en vient à faire la liste
extensive de ses mille et une nuances. À supposer que vous vous sentiez une
petite inclination libérale, savez-vous si vous êtes anarcho-capitaliste,
libéral-libertaire, minarchiste, libertarien, libéral classique, ordo-libéral…
?
La multiplication des étiquettes qualifiant les libéraux tient d’abord au fait que le mot
anglais liberal a été
progressivement préempté par la gauche américaine, rendant nécessaire
l’adoption de nouveaux vocables, notamment celui de libertarian. Mais en règle générale, les
différences entre ces termes s’expliquent par la place plus ou moins grande –
quoique toujours limitée – accordée à L’État.
LIBÉRAL DANS UN DOMAINE SEULEMENT ?
Avec « libéral-conservateur », rien de tel.
L’ampleur étatique n’est pas en cause. Elle est naturellement souhaitée la plus
réduite possible, notamment dans le domaine économique, par opposition à
l’interventionnisme et au dirigisme propres au socialisme ou même à la
social-démocratie. Nombreuses sont les personnes qui souhaiteraient que l’État
les laisse travailler en paix, sans les harasser de contraintes absurdes et
sans leur prendre en impôt des portions confiscatoires de leurs revenus. Mais
le terme renvoie plutôt à un tri effectué dans les activités humaines afin de
voir quels domaines peuvent relever ou pas du libéralisme.
À la question posée ci-dessus, je réponds ainsi
: « Je suis
totalement libérale, donc sur le plan sociétal, je suis ravie que des personnes
puissent bénéficier de la liberté de fumer, divorcer ou avorter (par exemple).
Mais à titre personnel, je mène une vie des plus classiques ; je trouve
que fumer est idiot car dangereux, et serais-je confrontée à une situation
d’avortement ou de divorce, que je me trouverais face à un grave problème de
conscience. »
LE CHOIX PERSONNEL DU LIBÉRAL
À titre personnel. Voilà le petit détail qui fait, je crois, que le
terme « libéral-conservateur » associe deux qualificatifs qui ne sont
pas situés au même niveau. « Libéral » renvoie au principe général de
responsabilité et de liberté des personnes dans une société qui valorise les
droits naturels, c’est-à-dire la liberté, la propriété et la sécurité, tandis
que « conservateur » donne une indication sur les préférences
spécifiques de la personne qui parle. Préférences que, dans un contexte
libéral, elle est parfaitement en droit d’avoir, mais qui ne sauraient
s’imposer à tout le monde.
Il est certain que nous vivons dans une
société où s’épanouit tous les jours un peu plus un constructivisme
progressiste rampant. Par exemple, il faut désormais se déclarer officiellement
opposé au don d’organe pour ne pas être considéré comme
donneur d’office, et il existe maintenant un délit d’entrave numérique à l’IVG qui consiste à pénaliser les sites
internet coupables, aux yeux du gouvernement, de diffuser de « fausses
informations » dans le but de décourager les femmes d’avorter.
Si « conservateur »
signifie qu’on refuse, à titre personnel, d’être entraîné à marche
forcée par décision gouvernementale dans les valeurs obligatoires du
progressisme et qu’on souhaite avoir
le droit d’adopter un mode de vie qu’on pourrait qualifier de
« classique » ou « traditionnel », tout en reconnaissant
aux autres le droit de faire des choix différents, il devient inutile d’accoler ce mot à
« libéral » dans la mesure où le libéralisme est justement
l’environnement qui laisse la société évoluer par elle-même et permet à chacun
de vivre à sa façon dès lors qu’il
n’y a pas d’atteintes aux personnes et aux biens.
LE LIBÉRAL-CONSERVATEUR SELON HAYEK
Mais l’on peut songer à une autre
définition du « conservateur ». Pour Friedrich Hayek dans son texte « Why I am not a conservative », il s’agit de quiconque se montre hostile
aux changements radicaux. Dès
lors, le « conservateur » sera enclin à protéger l’ordre établi, y
compris en recourant à l’autorité de l’État, afin de ralentir la marche de la
société et graver dans le marbre de la loi l’ordre ancien qui lui est cher
contre le « déplorable relativisme » qu’il attribue à toute personne
qui se déclare ouverte aux valeurs qui ne sont pas les siennes.
Cette attitude n’est pas libérale, mais le contexte
socialiste (au sens large) dans lequel nous vivons depuis plusieurs décennies a
contribué à créer une confusion et une forme d’assimilation erronée entre le
libéralisme et le conservatisme.
Dans un précédent article, je notais que lorsque le gouvernement est de gauche,
il pratique avec enthousiasme une politique typiquement socialiste selon la
trilogie « lubies écolo-sociétales, dépenses, impôts », ce qui
déclenche chez le blogueur libéral des réflexions peu amènes sur le sujet qui
lui attirent la sympathie de personnes qui détestent les socialistes mais qui
ne sont pas nécessairement très libérales.
De façon conjoncturelle, libéralisme et conservatisme
se rejoignent dans leur opposition au progressisme à marche forcée dont je
parlais plus haut, mais ces deux approches sont cependant à l’opposé dans leurs
valeurs essentielles. Car dans cette configuration, le libéral refuse le terme « marche
forcée » tandis que le conservateur refuse le terme
« progressisme », quitte à imposer d’en haut son conservatisme.
Le libéral ayant des préférences personnelles
conservatrices rejettera éventuellement l’avortement pour lui-même, mais il ne
l’interdira pas aux autres. Dans la formulation de Hayek, que je partage
totalement, cela donne :
Il y a maintes
valeurs des conservateurs qui me conviennent mieux que celles des
socialistes ; mais aux yeux d’un libéral, l’importance qu’il attache
personnellement à certains objectifs n’est pas une justification suffisante
pour obliger autrui à les poursuivre aussi.
À l’inverse, le conservateur tel que défini par Hayek
n’aura de cesse de mettre en place un gouvernement qui l’interdira. Notre conservateur n’est certes pas
progressiste, bien au contraire, mais il est néanmoins tout autant
« constructiviste » que le socialiste et use des mêmes coercitions pour faire advenir, ou plutôt revenir
l’ordre social auquel il aspire. Hayek à nouveau :
Comme le
socialiste, il (le conservateur) est moins soucieux de la façon dont
les pouvoirs du gouvernement devraient être limités, que du choix de qui les
exercera, et comme le socialiste il se considère autorisé à imposer aux autres
par la force les valeurs qu’il révère.
Dans cette seconde acception du terme
« conservateur », il y a bien un mot de trop dans la formule
« libéral-conservateur », mais contrairement à la première
définition, c’est le mot « libéral », le mot le plus important, qui
n’a plus sa place.
ALORS, PEUT-ON ÊTRE
« LIBÉRAL-CONSERVATEUR » ?
Le mot composé « libéral-conservateur » a-t-il un
sens ? J’ai tendance à répondre que non. Soit le conservateur est
conservateur pour lui-même sans chercher à voir ses opinions prévaloir pour
l’ensemble de la société, et dans ce cas il n’a pas besoin d’ajouter le terme
conservateur à libéral dans la mesure où son cas est prévu dans le libéralisme.
Soit le conservateur ne sera satisfait dans ses
convictions que si celles-ci s’imposent à tous. Pour ne pas être
progressiste, il n’en est pas moins constructiviste selon ses propres valeurs.
Cela l’écarte à tout jamais de la philosophie libérale qui appelle à la
tolérance et à l’esprit de responsabilité des individus, dans l’unique limite
du respect des personnes et des biens. Dans ce cas, le terme libéral est non
seulement de trop : il est incompatible avec le conservatisme en question.
C’est pourquoi, comme Hayek avant moi, « I am not a
conservative ».
Source contrepoints.org
Par Nathalie MP.
Nathalie MP est née en 1962. Depuis début 2015, elle
tient un blog dont les thèmes centraux sont : politique, libéralisme,
catholicisme. Quelques digressions vers le ski et la montagne sont possibles.
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