La mort numérique est plus complexe
que la seule disparition d’un internaute de réseaux sociaux fréquentés plus ou
moins assidûment. Elle pose la question de la continuité à l’accessibilité des
éléments de la vie privée du défunt.
Par le
passé, le glas des clochers et le passage du corbillard drapé de noir
matérialisaient un décès. On buvait ensuite un verre et mangeait un morceau en
évoquant la vie du défunt. Cette biographie orale, ces souvenirs évoqués
s’éteignaient avec le temps.
Cette
mort physique et biologique, que nous affrontons tous un jour, est plus ou
moins présente à tous les esprits. La mort numérique est pour autant ignorée de
beaucoup de personnes n’en mesurant pas toutes les incidences de plus en plus
croissantes, au sein d’un monde ultra-connecté.
La mort
numérique est plus complexe que la seule disparition d’un internaute de réseaux
sociaux fréquentés plus ou moins assidûment. Elle pose la question de la
continuité à l’accessibilité des éléments de la vie privée du défunt.
Celui-ci
a tout au long de sa vie écrit ou semé sur les réseaux sociaux, blogs et sites
Internet, des parcelles de sa vie privée ainsi que des données personnelles.
Après la mort physique, lesdits écrits et souvenirs restent inscrits sur la
toile. Ils sont instantanément disponibles pour toute personne, bienveillante
ou non, désirant les consulter.
Ainsi
notre existence numérique ne s’arrête pas à notre mort physique. La persistance
des profils actifs des personnes décédées, sur les réseaux sociaux ou autres
sites et blogs, constitue une réminiscence souvent douloureuse pour les proches
et la famille. Ces proches éprouvés par le décès physique doivent alors
potentiellement affronter quotidiennement la persistance d’une identité
virtuelle qui n’est plus sur Terre.
La mort
numérique présente ainsi des enjeux sociétaux et juridiques. Elle concerne le
devenir de l’identité numérique du défunt, écrite pour l’essentiel sur les
réseaux sociaux. Déterminer le futur de cette identité après le départ de son
détenteur ou de sa détentrice appelle pour autant des questions auxquelles la
loi répond très précisément.
UN DEVENIR DES PROFILS ACTIFS DES PERSONNES DÉCÉDÉES
ENCADRÉS PAR LA LÉGISLATION FRANÇAISE :
La loi
pour une république numérique du 7 octobre 2016, principalement par son article
63, organise le devenir des profils actifs sur les réseaux sociaux. Le succès
de ce mécanisme repose sur l’information de l’internaute quant à ses droits en
la matière.
L’objectif
est ici que l’internaute soit prévoyant et définisse de son vivant ses
directives, quant à la conservation ou l’effacement des données personnelles et
comptes sociaux le concernant.
Il peut
confier ses directives à un membre de sa famille, un tiers ou un professionnel
comme un notaire. Il peut aussi désigner une personne de confiance, laquelle
choisira de conserver ou non, totalement ou partiellement, lesdites données,
après son décès.
LE CONTENU DES DIRECTIVES NUMÉRIQUES PRÉVUES PAR
L’ARTICLE 40-1 DE LA LOI DU 7 OCTOBRE 2016 :
Ces
directives peuvent être générales ou particulières.
Les
directives sont dites générales lorsqu’elles embrassent la totalité des données
et profils numériques concernant l’internaute décédé. Ces informations
numériques ont été inscrites par le défunt lui-même sur les réseaux sociaux.
Elles ont pu également être partagées avec son assentiment.
Le
devenir de ces directives générales peut être confiées à un tiers de confiance
certifié par la CNIL. Cette certification n’est pas obligatoire, elle est juste
rassurante. Dans le cas où une suppression est décidée, l’ensemble des supports
des données relevées (comptes tweeter, facebook, linkedln…) doit être
intégralement effacé.
Il en va
autrement des directives particulières. Celles-ci n’ont trait comme leur nom
l’indique, qu’à une ou plusieurs des activités de l’internaute décédé. Elles
vont concerner l’une de ses messageries, un ou plusieurs de ses mails, un ou
plusieurs de ses comptes sociaux mais jamais la totalité.
Pour
chacun des sites internet concernés doit pouvoir alors être identifié un
responsable du traitement. Ce responsable du traitement administre lesdites
données ou est chargé de les collecter lorsque l’internaute a autorisé leur
transfert.
Le
devenir des directives particulières peut être confié par l’internaute, au
moyen de volontés écrites, au responsable du traitement des données. Cette
manifestation de la volonté de l’internaute est impérative en ce sens que
lesdites directives particulières ne peuvent pas résulter des seules conditions
générales d’utilisations des sites concernés.
Celles-ci
pourraient trop facilement être invoquées par les responsables de traitement
pour décider du devenir des profils numériques des internautes décédés.
Les
volontés écrites du défunt sont donc là aussi essentielles pour qu’il soit
procédé à la conservation ou à l’effacement de ces données.
LE DEVENIR DES DONNÉES PERSONNELLES EN L’ABSENCE DE
DIRECTIVES DE L’INTERNAUTE DÉFUNT :
Un trop
grand nombre d’internautes ignore toujours aujourd’hui ces possibilités
d’organiser le devenir de leurs données personnelles et de leurs profils
numériques après leur décès.
D’autres
ont reçu cette information, mais considérant que cette prévision relève de la
prévention obsèques, ils la repoussent. Ces situations sont les plus
fréquentes, personne n’étant enthousiaste à imaginer le moment de sa mort.
Que se
passe t’il lorsqu’aucune directive numérique n’a été donnée avant le décès d’un
internaute ? Trois démarches sont possibles pour les ayants-droit des
défunts concernés. Ces trois démarches peuvent être cumulées dans la mesure où
elles ne rentrent pas en contradiction.
La
première est celle du droit d’accès, à la condition qu’il soit nécessaire pour
le règlement de la succession du défunt.
La
seconde est celle du droit d’opposition. Celui-ci permet de procéder à la
clôture des comptes utilisateurs du défunt. Il induit alors une opposition au
traitement post mortem des données personnelles issues de ses comptes
utilisateurs. Lesdites données doivent être intégralement effacées.
La
troisième action relève de la possibilité pour les ayants-droit de s’entendre
sur la désignation d’héritiers des profils actifs de l’internaute décédé.
Toutes les données personnelles issues de ces profils actifs sont alors
concernées.
Lesdits
héritiers pourront décider du maintien de ces profils (et continuer ainsi leur
gestion), ou de leur effacement. Ils pourront être à cette fin tenus de
respecter des directives leur ayant été données par les ayants droit.
LA LIMITE DE L’ACTION DES TIERS AYANT REÇU DES
DIRECTIVES NUMÉRIQUES
Le tiers
ayant reçu les directives de l’internaute défunt ou de ses ayants-droit, ne
peut porter atteinte à la mémoire de ce dernier. Les ayants-droit du défunt
peuvent ainsi attaquer ledit tiers sur la base de l’article 34 de la loi du 29
juillet 188, au cas où celui-ci se rendrait responsable d’une diffamation ou
d’une injure à l’encontre de la mémoire du défunt.
Ce tiers
est également attaquable au cas où, sans l’autorisation des ayants-droit, il
diffuserait et reproduirait l’image du défunt. La Cour de cassation dans son
arrêt de 1ère chambre civile du 22 octobre 2009 a ainsi arrêté que les
ayants-droit d’une personne décédée peuvent s’opposer à la reproduction de
l’image de celle-ci après son décès, s’ils en éprouvent un préjudice personnel,
direct et certain.
Pour la
Cour de cassation, ces ayants-droit doivent alors avoir subi un préjudice
personnel « déduit le cas échéant d’une
atteinte à la mémoire ou au respect dû au mort ».
DES RECOURS POSSIBLES CONTRE LE CHOIX PAR L’INTERNAUTE
OU SES AYANTS-DROIT, DES LÉGATAIRES NUMÉRIQUES
Sur la
question du choix d’un tiers bénéficiaire des directives numériques ou d’un
héritier de celles-ci en particulier, l’article 40 de la loi informatique et
libertés du 6 janvier 1978 (modifié par la loi du 7 octobre 2016), énonce que
les désaccords entre héritiers seront portés devant le Tribunal de Grande
Instance compétent.
Si ce
patrimoine est source de créations de richesses, les héritiers peuvent le
contester sur les bases juridiques de la contestation de testament.
UN DROIT À L’IMAGE CONCERNANT LA DÉPOUILLE MORTUAIRE
DU DÉFUNT :
Il est
certains cas où la mort physique et la mort numérique pourraient brusquement
emprunter la même voie visible, par la publication de l’image de la personne
décédée sur Internet. La publication de cette image sans autorisation, quel
qu’en soit le support, est strictement interdite.
L’image
de la dépouille mortuaire des défunts est fortement protégée par le droit et
notamment par des jurisprudences assez anciennes.
Ce droit
prend sa racine dans l’article 9 du Code civil, relatif à la protection de la
vie privée. Concernant le décès de l’acteur Jean Gabin, le Tribunal de Grande
de Paris a rendu une ordonnance en référé le 15 janvier 1977, rappelant que
le droit au respect de la vie privée s’étend, par-delà la mort,
à celui de la dépouille mortelle et nul ne peut, sans le consentement de la
famille, reproduire et livrer à la publicité les traits d’une personne sur son
lit de mort quelle qu’ait été la célébrité du défunt.
À
l’occasion du décès de l’ancien Président de la République François Mitterrand,
le même Tribunal de Grande Instance de Paris dans une ordonnance de référé du
18 janvier 1996, a interdit la publication du livre du Docteur Gubler, médecin
de l’ancien Chef d’État.
Cet
ouvrage attaquait violemment l’image du Président de la République défunt, en
publiant une photo de François Mitterrand sur son lit de mort.
Cette
décision a été justifiée au motif que
constituent par leur nature, une intrusion particulièrement
grave dans l’intimité de la vie privée familiale du Président François
Mitterrand, et dans celle de son épouse et de ses enfants ; que l’atteinte
ainsi portée est d’autant plus intolérable qu’elle survient dans les quelques
jours qui ont suivi le décès et l’inhumation du Président Mitterrand.
LA SANCTION DES DIFFAMATIONS ET DES INJURES FAITES AUX
DÉFUNTS :
L’article
34 de la loi du 29 juillet 1881 permet que les diffamations dirigées contre la
mémoire des morts puissent être poursuivies et réprimées dans le cas où les
auteurs de ces diffamations ont eu l’intention de porter atteinte à l’honneur
ou à la considération de leurs héritiers, époux ou légataires universels
vivants.
En
revanche, des recherches sur le passé des défunts peuvent être menées même si
elles aboutissent à la constatation de faits infamants, dès lors qu’elles
traduisent un souci légitime d’information du public.
Prenons
l’exemple suivant. Après le décès d’une personne ayant présenté un visage
d’honorabilité, il est découvert qu’elle a collaboré pendant la seconde guerre
mondiale. Cette information pourra être divulguée et des images publiées s’il
est estimé qu’elles correspondent à un besoin légitime d’information de la
population.
Source contrepoints.org
Par Paul Salaun.
Paul Salaün est Docteur en droit public. Spécialiste
en droit des médias et du numérique, il enseigne cette matière auprès de
différents établissements d’enseignement supérieur. Il a rédigé avec Pierre
Schweitzer le manuel de droit et économie des univers numériques, paru chez
Studyrama en 2015. Consultant de Cleverance, il intervient pour cette société
sur toutes les questions relatives aux mutations territoriales ainsi que sur
les fusions de communes et intercommunalités. Il a publié en 2013 le manuel de
droit de l’urbanisme de la collection Studyrama, réédité en 2017.
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