«Vendredi 13» : sous la grandeur, l’opportunisme
Quand François Hollande a pris place vendredi
soir au Stade de France pour assister à un match de foot amical entre la France
et l’Allemagne, c’était une soirée bien classique qui débutait pour lui. En
plus de l’intérêt du jeu, il pouvait seulement espérer ne pas se faire trop
huer par le public, contrairement à ce qui s’était passé à plusieurs reprises
lors de déplacements antérieurs. Malgré les sombres prévisions des services de
renseignements français quant à une nouvelle attaque depuis les attentats de
Charlie, il n’imaginait certainement pas qu’il en sortirait en urgence,
exfiltré par ses gardes du corps, pour échapper à titre personnel à la
boucherie répandue dans Paris par des terroristes islamistes à la fois très à
l’aise pour agir et totalement déterminés à tuer et à mourir.
Au-delà des réactions
de dégoût, au-delà des condamnations sans appel, au-delà de la promesse de ne
pas nous laisser intimider par des assassins, cet événement tragique nous a
soudainement tous placés dans une situation politique nouvelle. Nous les Français,
déjà largement déstabilisés par les attentats de janvier, sommes inquiets de
voir de telles tueries se reproduire et nourrissons des craintes pour notre vie
et celle de nos proches. Vendredi soir, le temps politique s’est pour ainsi
dire arrêté sur une seule dimension, et cela va rester vrai pendant encore
quelques semaines : notre demande de sécurité pour nous et de fermeté à
l’encontre des terroristes est plus élevée que jamais. Qui peut aujourd’hui,
mieux que quiconque, entendre cette demande et y répondre ? François Hollande,
Président de la République et Chef des armées, assisté de son gouvernement.
De façon parfaitement
imprévue donc, notre François Hollande, dont la cote de popularité était
toujours accrochée autour de son plus bas il y a seulement dix jours, se
retrouve au centre des attentions, au centre de l’action et au centre des
décisions pour nous faire passer ce cap authentiquement difficile. Dans le
contexte de l’union sacrée réclamée par les Français, les oppositions quelles
qu’elles soient en sont réduites à faire de la figuration sur une ligne de
crête extrêmement périlleuse : faire entendre une différence sans donner
l’impression de casser l’unité et la solidarité nationale.
Dès vendredi soir,
dans la foulée des attentats, dans l’ambiance de stupéfaction douloureuse qui a
suivi, les déclarations immédiates de François Hollande ont donc eu toute la
portée et toute la grandeur voulue. En substance, a-t-il déclaré, les terroristes
veulent semer l’effroi, mais la France est une Nation forte qui saura se
défendre « et qui une fois encore saura
vaincre les terroristes. » Pour ce faire, François Hollande a
annoncé avoir décrété l’état d’urgence dans toute la France, fait venir des
renforts militaires à Paris, et fermé les frontières. Le Conseil des ministres
s’est rassemblé immédiatement après pour décider de la marche à suivre. Le
lendemain, le Président de la République a décrété un deuil national de trois
jours et a annoncé qu’il s’adresserait aux députés et aux sénateurs réunis en
Congrès à Versailles le lundi suivant « pour
rassembler la Nation dans cette épreuve ».
Je pense qu’à ce
stade, tout le monde peut convenir que François Hollande a fait ce qu’il
fallait, qu’il a eu les mots de compassion, de réconfort, de résistance et
d’autorité qui venaient spontanément sur toutes les lèvres et qu’il a pris les
bonnes décisions, celles qui s’imposaient et que tout chef d’État dans sa
position aurait prises. La grandeur fut donc bien au rendez-vous.
Cependant, on ne peut
s’empêcher de relever quelques formules malheureuses ou ambiguës dans les
propos du Président. Tout d’abord, l’annonce du rétablissement des contrôles
aux frontières est légèrement déplacée ou très mal formulée. En effet, le
sommet international sur le réchauffement climatique COP21 qui doit s’ouvrir ce
30 novembre au Bourget et s’achever le 11 décembre 2015 réunira plus de
quatre-vingt chefs d’État et de gouvernement, dont Obama et le Président
chinois pour le jour d’ouverture. Dans cette perspective hautement protocolaire
exigeant une sécurité parfaite, Laurent Fabius a annoncé officiellement le 6
novembre dernier que nos frontières nationales seraient fermées du 13 novembre
au 13 décembre inclus, comme le permettent les accords de Schengen dans
certaines circonstances remplies par la conférence en question. Il n’y avait
donc aucun contrôle à rétablir, puisque c’était fait depuis le matin. Mais ne
chipotons pas, l’heure est grave.
Plus délicat, François
Hollande nous assure, comme indiqué plus haut, que la France « une fois encore saura vaincre les terroristes
». Formulation malheureuse s’il en est. Suite aux tueries de janvier,
après lesquelles le gouvernement nous avait garanti comme aujourd’hui sa plus
totale dédication à la lutte contre le terrorisme, la survenance des
spectaculaires attentats du « Vendredi 13 » sonne comme un terrible
échec. Ils sont au contraire la preuve accablante et sanglante que la France
n’a pas su vaincre le terrorisme. On nous a pourtant dotés ce printemps d’une
loi Renseignement qui devait tout résoudre en donnant à la police des pouvoirs
de surveillance des télécommunications de tous les Français sans exception, et
sans décision judiciaire. On nous explique maintenant qu’elle n’est pas
entièrement opérationnelle, alors que pour mieux faire passer son adoption on
nous garantissait il y a quelques mois qu’il ne s’agissait jamais que de faire
rentrer dans un cadre légal sécurisé des pratiques parfaitement courantes et
respectueuses des droits. C’est un élément qu’on est obligé de garder à
l’esprit alors qu’on peut s’attendre, comme en janvier, à un renforcement de
l’arsenal sécuritaire dans les prochains jours. Mais broutille que tout cela,
l’heure est trop grave pour ce genre de remarque indécente.
J’en arrive maintenant
aux mesures de plus long terme annoncées lundi dernier par François Hollande
aux parlementaires réunis dans la solennité républicaine du château de
Versailles. Dans la première partie de son discours, le Président de la
République a détaillé les éléments de la riposte militaire extérieure envers
Daesh, à savoir frappes aériennes sans relâche, renforcement de la coalition,
rapprochement avec Poutine et Obama. Mais je voudrais surtout souligner les
dispositions retenues pour lutter contre le terrorisme sur notre sol. Et de ce
point de vue-là, la rapidité avec laquelle François Hollande souhaite agir,
ainsi que le flou de ses intentions pour obtenir des pouvoirs élargis, ne sont
pas pour nous rassurer, même s’il insiste sur sa volonté de disposer d’outils
exceptionnels « sans compromettre
l’exercice des libertés publiques ».
Il s’agit d’abord de
voter dès la fin de la semaine une loi permettant de prolonger l’état d’urgence
des douze jours prévus par décret à trois mois en « adaptant
son contenu à l’évolution des technologies et des menaces. » L’état
d’urgence permet notamment d’effectuer des perquisitions à domicile et
de fixer des assignations à résidence, opérations très utiles dans le cadre
d’une traque de terroristes, mais il contient également des dispositions sur
l’interdiction des rassemblements ou sur le contrôle de la presse et des
spectacles qui en font un puissant, trop puissant, outil de contrôle des
citoyens dans la durée.
Il s’agit ensuite de
changer la Constitution dans les meilleurs délais pour repenser l’article 16
concernant les pleins pouvoirs dévolus au Président de la République et
l’article 36 dédié à l’état de siège. François Hollande, s’appuyant
astucieusement sur une ancienne proposition d’Édouard Balladur pour,
espère-t-il, piéger la droite, voudrait y inclure l’état d’urgence afin de
disposer de cet outil dans la durée sans avoir à passer par l’état de siège.
Heureusement que Monsieur Hollande a précisé son attachement aux libertés
publiques, car ces propositions, qui tendent à donner une permanence aux
procédures d’exception, ont tout d’une atteinte aux libertés fondamentales.
Enfin, cerise sur le
gâteau, la lutte contre le terrorisme va permettre bien opportunément de faire
sauter une contrainte colossale qui pesait sur les épaules du gouvernement : le
bouclage du budget 2016. Comme rien ne saurait être plus important que la sécurité
des Français, c’est « en conscience »,
depuis le plus profond de ses valeurs morales et républicaines, que François
Hollande a annoncé la création de 8500 postes dans la police, la gendarmerie,
la justice et les douanes, ainsi que l’abandon des suppressions de postes
prévues dans l’armée. Rien n’est précisément chiffré, mais on peut s’attendre à
« un surcroît de dépenses »
comme il s’en est expliqué lui-même devant les parlementaires (voir aussi la
vidéo de 2′ 21″ ci-dessous) :
« Toutes
ces décisions budgétaires seront prises dans le cadre de la loi de finances qui
est en ce moment même en discussion pour 2016. Elles se traduiront
nécessairement, et je l’assume devant vous, par un surcroît de dépenses mais
dans ces circonstances, je considère que le pacte de sécurité l’emporte sur le
pacte de stabilité. »
Quelle formule
magnifique ! « Le pacte de sécurité
l’emporte sur le pacte de stabilité », ce pacte de l’Union
européenne qui demande à chaque pays membre de maintenir son déficit public
sous la barre des 3% du PIB, cette contrainte synonyme d’austérité et de casse
du service public ! Ô surprise, Pierre Moscovici, ancien ministre français de l’Économie
bombardé commissaire européen par Hollande comme madame la baronne place sa
femme de chambre comme gardienne dans ses immeubles, nous donne son blanc-seing
!
Car, entendons-nous
bien, la justice, la police et l’armée ont besoin de moyens supplémentaires. Ce
qui ne va pas, ce n’est pas de leur en donner, à condition du reste qu’ils
soient bien utilisés, mais c’est qu’il aurait fallu procéder à des arbitrages sur
d’autres dépenses afin de ne pas empirer les dérapages de nos dépenses
publiques et de notre dette. Or de cela, il n’est bien sûr pas question. Il en
est d’autant moins question que dans des circonstances aussi graves, alors que
tant de familles sont en deuil, un peu de décence ne serait pas de trop. Sauf
que de décence en dépense, on risque de finir ruinés et privés de toute
capacité à agir.
Mais pour l’instant,
sur le plan politique, tout va très bien pour le Président, champion inégalé de
la dépense publique et de la « synthèse ». Le renforcement
sécuritaire risquait de froisser quelques sensibilités à gauche, mais pour ceux
qui seraient froissés ainsi, François Hollande a ouvert les vannes budgétaires.
L’abandon de la rigueur budgétaire risquait de froisser quelques sensibilités à
droite, mais pour ceux qui seraient froissés ainsi, François Hollande a tracé
une politique sécuritaire à faire peur à toute la famille Bush réunie.
Dans ces merveilleuses
conditions, pleines de décence et de solennité, il n’est pas exclu que François
Hollande réussisse à retourner à son avantage une autre contrainte pesante, les
élections régionales des 6 et 13 décembre prochains, dont il a annoncé le
maintien (on espère bien, elles ont déjà été repoussées deux fois) :
« Les rythmes de notre démocratie ne sont pas
soumis au chantage des terroristes. Les élections régionales se dérouleront aux
dates prévues. » (discours au Congrès le 16 novembre 2015)
Ces élections
s’annonçaient catastrophiques pour le parti socialiste. L’énorme investissement
du champ régalien par le Président Hollande dans une France encore sous le choc
pourrait lui apporter un peu de répit, voire quelques sièges supplémentaires,
d’autant plus que début décembre, il sera beaucoup trop tôt pour s’apercevoir
que le discours martial et dépensier de François Hollande a largement excédé
les résultats non seulement espérés mais réalisés.
Photo: François Hollande (Crédits : Mathieu Delmestre/Parti
socialiste, licence CC-BY-NC-ND 2.0, via Flickr)
Source contrepoints.org
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