Modifier la Constitution pour lutter contre le
terrorisme
Dans son discours
prononcé le 16 novembre devant le Congrès (prérogative dont disposent les chefs
de l’État depuis la réforme constitutionnelle de 2008 voulue par Nicolas
Sarkozy et combattue – à raison d’ailleurs – par la gauche !), le Président
Hollande a souhaité que la Constitution soit modifiée pour lutter « contre le
terrorisme de guerre ». Il a expliqué que les deux outils à sa disposition
dans le texte de 1958 modifié n’étaient pas adaptés, les articles 16 et 36
respectivement consacrés aux pouvoirs exceptionnels du Chef de l’État et à
l’état de siège. L’objectif est donc de réviser la Constitution afin
d’autoriser l’adoption de mesures exceptionnelles, sans que pour autant il
faille recourir à l’état d’urgence et sans compromettre l’exercice des libertés
publiques.
De prime abord,
pareille proposition peut surprendre de la part de François Hollande. En effet,
ses 60 engagements pour la France de 2012 n’en font nullement référence. Aucune
réforme constitutionnelle de ce type ne se trouve aux propositions 46 à 51. Quant
à la proposition 60 et dernière – une place qui marquait le peu de cas que le
candidat laissait à cette idée… -, elle est encore plus vague que les
précédentes : « Je serai toujours vigilant dans
l’action contre le terrorisme ». Pourtant, il y a trois ans, le
terrorisme était déjà d’actualité…
Le rejet de l’article
16 définit une grande partie de l’ADN constitutionnel de la gauche. Les
pouvoirs exceptionnels du Président sont couramment qualifiés par les
socialistes de liberticides, et il est difficile de leur donner tort. Pourtant,
François Mitterrand, maître ès reniements il est vrai, s’est fort bien
accommodé de son maintien. Et après le Comité Vedel, la Commission Balladur
s’est contentée en 2007 d’encadrer les pouvoirs exceptionnels en prônant la
possibilité d’une saisine du Conseil constitutionnel au terme d’un délai de 30
jours d’application afin de juguler les dérives de type gaullien en 1961. En
effet, « la diversité des menaces potentielles
qui pèsent sur la sécurité nationale à l’ère du terrorisme mondialisé justifie
le maintien de dispositions d’exception », était-il justifié. Le
constituant, lors de la révision de 2008, a suivi sur ce point l’avis de la
Commission, mais il n’en a pas été de même de la modification souhaitée de
l’article 36 qui visait à aligner le régime de l’état d’urgence sur celui de l’état
de siège, et à les définir dans une loi organique.
Un rejet que François
Hollande semble subitement regretter aujourd’hui. En effet, il juge les deux
articles constitutionnels inadaptés. D’abord, les conditions ne sont pas
remplies pour mettre en œuvre l’article 16 puisque le fonctionnement régulier
des pouvoirs constitutionnels n’est pas interrompu. À vrai dire, elles ne
l’étaient guère en 1961, mais le Président actuel n’entend point mettre ses pas
dans ceux, controversés, du Général de Gaulle, et cela est tout à son honneur.
Ensuite, au-delà des conditions de fond, le chef de l’État ne désire pas
transférer à l’autorité militaire les pouvoirs de police générale par le
truchement de l’article 36.
C’est la raison pour
laquelle le Président souhaite une révision de la Constitution afin que les
pouvoirs exceptionnels puissent être exercés, mais conformément à l’état de
droit. Il est difficile de le contredire sur le second point : à partir du
moment où les circonstances deviennent exceptionnelles, le droit a tendance à
devenir dérogatoire et les libertés sont en danger. Si le Président décide
d’utiliser l’article 16 – et il est susceptible de le faire de manière
discrétionnaire -, il peut prendre toutes les mesures exigées par les
circonstances, et ce au mépris de la « séparation des pouvoirs ». Quant à
l’état de siège, il donne un large pouvoir aux autorités militaires. N’oublions
pas non plus que l’état d’urgence, actuellement en vigueur, autorise entre
autres, selon une loi de 1955 modifiée par une ordonnance de 1960, les
perquisitions de jour et de nuit, et le contrôle de l’ensemble des médias.
Il est permis de ne
pas être convaincu par la proposition de François Hollande. La première
question est de savoir si elle n’est pas chimérique. Des mesures prévues en cas
de circonstances exceptionnelles peuvent-elles vraiment respecter les libertés
publiques ? N’est-ce pas faire le jeu des extrémistes que de porter atteinte
aux principes d’une démocratie libérale, qu’il s’agisse des terroristes ou des
partis radicaux ? Il ne faut jamais oublier que l’État s’accroît toujours avec
les guerres. Aussi François Hollande ne laisse-t-il pas d’inquiéter quand il
assume, avec force opportunisme, un surcoût de dépenses, le « pacte de sécurité » l’emportant sur le « pacte de stabilité ». Les finances
publiques, en déshérence, ne seraient-elles pas mieux tenues si l’État
remplissait ses vraies missions de défense intérieure et extérieure du
territoire plutôt que de s’éparpiller dans le « social » ? Un État omnipotent
verse inévitablement dans l’impuissance.
La question demeure
aussi de savoir si l’arsenal législatif et constitutionnel, complété par la
jurisprudence, n’est pas largement suffisant. Car il ne faut pas oublier que
l’autorité administrative dispose aussi de la théorie des circonstances
exceptionnelles qui assouplit le principe de légalité. Mais n’est-ce pas un
défaut bien français que d’appeler au vote de nouveaux textes avant de songer à
appliquer complètement ceux qui existent déjà ? L’expérience constitutionnelle
française prouve d’ailleurs depuis la Révolution que les mesures de suspension
de l’ordre constitutionnel normal ne sont guère probantes.
Faudrait-il de toute
façon accroître les prérogatives du Président alors même que le régime de la Ve
République est unique au sein des pays civilisés : un régime parlementaire à
présidence (très) forte ? Quitte à renforcer les pouvoirs de l’exécutif, ne vaudrait-il
pas mieux renforcer ceux du Gouvernement et du Premier Ministre, directement
responsables devant la représentation nationale ?
On pourra également
s’interroger sur le point de savoir si, devant les réalités du pouvoir, le
Président socialiste n’opère pas un revirement dans la pensée constitutionnelle
de gauche, guère favorable aux mesures constitutionnelles d’exception, quelles qu’elles
soient. D’ailleurs, lors des débats à l’Assemblée nationale le 26 mai 2008 sur
le projet de loi constitutionnelle, l’article 16 avait fait l’objet d’un tir de
barrage de la gauche pour le supprimer ou à tout le moins pour l’encadrer
drastiquement. Une disposition alors chaudement défendue par la droite aux fins
explicites de lutte contre le terrorisme…
Enfin, il semble
contradictoire que François Hollande, après avoir appelé à la création d’un
nouvel outil qui permette de prendre des mesures exceptionnelles sans pour
autant recourir à l’état d’urgence, annonce que le Parlement sera saisi d’un
projet de loi… prolongeant ce dernier pour une durée de trois mois !
Photo : déclaration des droits de l’homme credits Alain
Bisotti (licence creative commons)
Source contrepoints.org
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