L'Etat de connivence de Jean-Marc Daniel
Contre l’État protectionniste, Jean-Marc Daniel
signe un essai novateur qui s’inscrit dans le sillage de la pensée de
l’économiste libéral François Quesnay. Jean-Marc Daniel économiste français,
est professeur d’économie à l’ESCP Europe. Il est également chroniqueur sur BFM
Business et directeur de la revue intellectuelle Sociétal. Il travaille
essentiellement sur la politique économique, dans ses dimensions théoriques et
historiques.
« Soyons clairs, l’élite de la fin du XXe
siècle était keynésienne, il faut que celle du XXIe siècle soit quesnaysienne
», écrit-il dans l’État de connivence, par référence au grand physiocrate
François Quesnay (1694-1774). Dans cet essai à la fois brillant et provocateur,
Jean-Marc Daniel analyse les mécanismes modernes de la rente et dénonce le
retour des rentiers. Oui il y a montée des inégalités, mais pas comme on le
croit !
Quesnaysiens contre keynésiens
Pour commencer,
Jean-Marc Daniel renvoie dos-à-dos les défenseurs néomercantilistes de la «
compétitivité », et les protectionnistes qui se cachent derrière des
néologismes comme la « démondialisation », tous héritiers de théories réfutées
avec succès par Quesnay dès le XVIIIe siècle. La stratégie mercantiliste
consistait à capter la croissance des autres pays, tout en protégeant un
appareil productif obsolète. Or cela se faisait au détriment du pouvoir d’achat
de la population qui subissait une dévaluation de sa monnaie et un coût des
importations élevé.
À la fin du XVIIIe
siècle, l’école de la physiocratie avait compris que la réponse au problème de
la dette publique et de la pauvreté était la croissance économique. Pour lutter
contre les banqueroutes à répétition et leur cortège de faillites, il fallait
permettre la concurrence et ainsi encourager le progrès technique. Dans son
éloge funèbre de François Quesnay, le comte d’Albion résumait ainsi les travaux
de l’économiste pour assurer la croissance : «
Restreindre autant qu’il est possible les frais des travaux, des transports,
des fabrications de toute espèce. On ne peut y parvenir sans dégradation et
sans injustice que par la liberté la plus grande de la concurrence […]. Il faut
donc sur le travail ni prohibitions, ni taxes, ni privilèges exclusifs. »
Selon Jean-Marc
Daniel, comme le préconisait François Quesnay, il est temps d’en finir avec la
tentation du protectionnisme, il faut renforcer le libre-échange, lutter contre
les « prohibitions », les « privilèges exclusifs », et miser sur la croissance de
l’offre productive à long terme, seule capable d’élever durablement notre
niveau de vie.
Comment l’État génère des rentes
Quels sont aujourd’hui
les vrais obstacles aux réformes structurelles dont la France a besoin ? Dans L’État de connivence, son dernier livre,
Jean-Marc Daniel répond en un mot : la connivence. De quoi s’agit-il ? D’un
copinage entre secteur public et secteur privé, sur le dos du consommateur et
du citoyen. Des entreprises cherchent auprès de l’État des protections financières
ou réglementaires. Elles veulent échapper à la concurrence et demandent à
l’État de les protéger contre la perversité du marché ou la déloyauté de la
concurrence. Autant de fausses justifications destinées à maintenir un niveau
de prix largement supérieur à ce qu’il devrait être.
Connivence entre un
patronat qui craint la concurrence par-dessus tout, une gauche protectionniste
et un gouvernement qui affiche des tendances colbertistes. Connivence organisée
autour du maintien des rentes de toutes natures, et notamment celles des nombreuses
professions qui vivent des largesses de l’État-providence… Connivence, donc,
garantie par l’État, sorti de son rôle. Et seule la concurrence permettra de
mettre fin aux privilèges. Toujours stimulant, Jean-Marc Daniel défend ici une
société fondée sur le talent plutôt que sur la rente.
Une citation
résume bien son propos. Elle provient de Luigi Zingales, dont s’inspire
Jean-Marc Daniel et dont j’avais traduit un article :
« Les Tea Parties dénoncent
l’accroissement du poids de l’État, le mouvement Occupy Wall Street dénonce lui
le poids et l’emprise énorme de grandes entreprises. Ce qu’ils ne comprennent
pas, c’est qu’ils combattent deux faces d’un même monstre : l’entremêlement
entre l’État mammouth et les grandes entreprises. » (A
Capitalism for the People: Recapturing the Lost Genius of American Prosperity)
Comme Zingales,
Jean-Marc Daniel préconise un capitalisme au service du peuple, un capitalisme
qui tourne le dos à la connivence pour permettre à chacun d’exprimer ses
talents en se confrontant aux autres sur des marchés concurrentiels. L’enjeu,
c’est la défense du « travailleur pauvre, mal
protégé par les syndicats fonctionnarisés, qui paie trop cher les produits, qui
subit une pression fiscale devenue confiscatoire pour payer une fonction
publique pléthorique ».
Les vraies fonctions de l’État
Selon l’auteur, l’État
ne doit pas se tromper de priorité : il doit contribuer à créer un
environnement favorable à l’élévation du revenu des pauvres, plutôt que de
chercher à taxer les riches au nom de la lutte contre les inégalités. L’impôt
sur le revenu est punitif, il n’aide pas les pauvres, il punit les riches. Le
but de la politique n’est pas d’abaisser une partie de la population. C’est au
contraire de faire émerger les talents.
La politique monétaire
américaine des années 2000, menée pour permettre à l’État de s’endetter sans
limites et à moindre coût, a échoué.
La concurrence est
l’outil privilégié de l’action publique. L’État ne doit pas s’interdire de
réfléchir à ses propres missions en termes de concurrence. Dans beaucoup de
domaines, il n’a pas besoin d’agir lui-même, il doit laisser le secteur privé
s’organiser. « De maître d’œuvre, il doit devenir maître d’ouvrage », écrit
Jean-Marc Daniel.
La concurrence est à
la fois le plus puissant outil de régulation et de redistribution et en même
temps le plus juste. C’est pourquoi l’auteur plaide pour la suppression du
statut de fonctionnaire, à l’instar de la Suède et pour la privatisation de
l’assurance maladie
Finalement,
conclut-il, nous sommes arrivés à un stade où nous pouvons changer radicalement
de direction. Le communisme est derrière nous, le keynésianisme également. Il
devient possible de revenir à Quesnay et à la concurrence.
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